#6 Interview d’Ariane Grumbach, diététicienne gourmande

5 mai 2011
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« Je suis devenue diététicienne par gourmandise »

Ariane Grumbach est diététicienne… mais gourmande ! Autrement dit, une diététicienne qui ne vous fera pas faire de régime, mais cherchera plutôt à vous réconcilier avec la nourriture et le plaisir de manger. Elle tient un blog, L’art de manger, où la gourmandise est à l’honneur. Elle a répondu à nos questions sur ce vilain défaut… qui n’en est pas un.

Elenore Song : « Diététicienne gourmande » : vous vous définissez ainsi sur votre blog. Mais ces deux termes ne sont-ils pas contradictoires ?
Ariane Grumbach : Pour moi, ces deux termes ne sont en aucun cas contradictoires. Je suis devenue diététicienne par gourmandise, et j’accompagne aussi mes patientes vers la vraie gourmandise, qui est selon moi d’avoir du plaisir à manger.

Justement, pouvez-vous revenir là-dessus : la gourmandise, qu’est-ce que c’est pour vous ? Quelle place occupe la gourmandise dans l’alimentation ?
Etre gourmand(e), c’est manger de tout avec plaisir, écouter ses envies, avoir une relation décomplexée avec l’alimentation, sans pour autant trop manger.

Ce n’est pas votre premier métier. Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir diététicienne ?
J’ai d’abord travaillé 20 ans en entreprise après avoir fait HEC. J’ai toujours été intéressée par l’humain dans mes différents métiers et, à un moment donné, j’ai eu envie d’approfondir cet aspect en accompagnant des individus et je l’ai marié avec mon autre passion, pour l’alimentation, la gourmandise dont je vous parlais ! Le métier de diététicienne tel que je l’envisage est parfaitement au carrefour de ces deux passions.

Que vous apporte ce métier sur le plan personnel ?
Enormément de satisfactions. Une grande joie quand je permets à des personnes de retrouver une relation apaisée avec l’alimentation après souvent des années d’obsessions alimentaires et de régimes yoyo. Le plaisir de rencontrer de nombreuses personnalités passionnantes car l’alimentation est au carrefour de disciplines multiples : médecins, psychologues, psychiatres, chercheurs, sociologues, chefs, passionnés de cuisine… Le plaisir d’être mon propre patron après des années de salariat, et de gérer mon temps, mes projets, mes priorités librement.

Quelle distinction faites-vous entre « gourmandise » et « gloutonnerie », voire compulsion ? L’excès est-il inévitable pour un gourmand ?
Pour moi, la gourmandise, c’est avoir du plaisir à manger.

Or, ce plaisir gustatif, sensoriel, diminue au fil de la prise alimentaire. En effet, ce qu’on appelle le goût est majoritairement défini par notre perception olfactive, ce que l’on sent des arômes d’un aliment ou d’un plat quand on l’a en bouche. Et, de la même façon qu’on finit par ne plus sentir un parfum dans un lieu, la perception du « goût » de l’aliment diminue et cela finit par devenir monotone.

La vraie gourmandise est donc plus présente au début, dans les premières bouchées. Du coup, elle ne me paraît pas correspondre à ce que l’on dit communément (« j’ai fini le plat » ou « je me suis resservi » « par gourmandise »), qui est souvent dû au fait d’avoir commencé à manger un peu machinalement. Car, pour ressentir ce plaisir, il faut d’abord avoir suffisamment faim et y mettre une certaine attention, être conscient de ce que l’on mange. On peut donc peut-être éviter de manger devant la télé ou l’ordinateur…

Etre glouton, c’est autre chose, c’est plutôt manger beaucoup et à toute vitesse, là encore sans beaucoup d’attention, de façon un peu vorace. On calme cela en apprenant à ralentir, en n’attendant pas d’avoir une faim trop insupportable et urgente, et en comprenant les causes de ce comportement. Par exemple, une personne qui a été élevée dans une famille nombreuse où il fallait « se battre » à table pour avoir sa part, se dépêcher de manger pour se resservir avant que le plat soit vide, peut parfois développer ce comportement.
La compulsion, c’est encore autre chose, c’est souvent un comportement plus ponctuel, c’est une envie irrépressible de manger, contre laquelle on ne peut pas lutter. Cela peut être lié à une émotion que l’on cherche à fuir car elle est désagréable (angoisse, colère, frustration…) ou au fait de s’être trop privé(e) d’un aliment, par exemple dans des régimes : on finit par craquer sur cet aliment (le chocolat, le pain, le fromage, les biscuits…) et on en mange beaucoup, à toute vitesse, sans apprécier ce qu’on mange, et en culpabilisant. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’aller vers une meilleure acceptation des émotions et d’abandonner la « mentalité régime » pour se réconcilier avec tous les aliments.

Et entre « gourmand » et « gourmet » ?
Le gourmand et le gourmet aiment tous les deux manger. Toutefois, je dirais que le gourmand a ses goûts personnels, plus ou moins raffinés, et que toutes sortes d’aliments peuvent le satisfaire, tandis que le gourmet sera celui qui va aller vers des mets fins et être exigeant sur la qualité de ce qu’il mange. Dans le langage courant, on imagine de plus que le gourmet va manger de plus petites quantités.

Est-il possible d’allier plaisir et santé autrement qu’en ayant le temps de cuisiner de manière raffinée ?
Bien sûr. On peut manger sain et bon sans que cela prenne beaucoup de temps ou soit compliqué. Il suffit d’avoir de bons produits, et de passer quelques minutes à cuisiner, que ce soit une omelette, des pâtes qu’on peut agrémenter de façons multiples ou une salade composée. J’accompagne de nombreuses femmes actives très occupées (et quelques hommes aussi) et je leur montre qu’il suffit d’un peu d’organisation et de mobiliser un peu d’imagination qu’on a tous, pour se débrouiller très bien sans forcément de grandes compétences culinaires.

Souvent, les femmes, comme les hommes, aiment cuisiner occasionnellement, le week-end, pour recevoir des amis, mais ils bloquent sur le fait de préparer à manger chaque soir et vivent cela comme une corvée. Pour ma part, j’essaie de les réconcilier avec la cuisine du quotidien et je leur montre qu’on peut se faire plaisir tous les jours ! Si on vit à deux et qu’on alterne la présence en cuisine, c’est encore plus facile d’autant plus que faire à manger, c’est donner de l’amour !

Est-ce que le goût peut s’éduquer ?
Absolument, ce n’est pas du tout inné. On éduque le goût en goûtant des aliments nombreux et variés, en étant attentif aux sensations qu’ils procurent, en apprenant à mettre des mots sur ce que l’on ressent, en inscrivant dans sa mémoire des souvenirs olfactifs…(la fameuse madeleine de Proust !). On peut s’y mettre à tout âge mais plus on commence tôt, plus c’est facile. On montre même que la diversité de l’alimentation qu’a la femme enceinte aura un impact sur son futur bébé ! On a intérêt à diversifier l’alimentation de l’enfant le plus tôt possible. Il est important de développer sa curiosité et de ne pas avoir d’a priori : certains jeunes enfants adorent les huîtres ou le Roquefort !

C’est à faire notamment avant 3 ans pour que l’enfant ait déjà acquis un répertoire alimentaire riche. Car entre 3 et 7 ans environ, la plupart des enfants entrent dans une phase de néophobie alimentaire où ils refusent de goûter des aliments nouveaux, voire certains qu’ils mangeaient auparavant. Il ne faut pas trop s’en inquiéter et de toute façon être toujours davantage dans l’incitation souple que dans la contrainte. La variété revient en général ensuite.

Par ailleurs, cette éducation au goût nécessite un peu de persévérance : les études montrent qu’un enfant doit goûter un nouvel aliment 7 à 8 fois avant de l’apprécier. Courage !

Pensez-vous que la société dans laquelle nous vivons nous facilite la tâche, en matière de conciliation gourmandise – santé ?
La société actuelle manifeste deux tendances qui selon moi, ne rendent pas cette conciliation très simple.
D’une part, elle met beaucoup l’accent sur la santé au détriment de la gourmandise : nous parler d’alimentation santé en permanence nous fait trop réfléchir à ce que nous mangeons. Cela crée des inquiétudes, des angoisses, qui diminuent le plaisir. A force d’entendre que certains aliments sont pollués, que tel ou tel jus de fruit ou baie pourrait être anti-cancer… on mange beaucoup avec sa tête et moins avec ses papilles ! Manger devrait être un des plaisirs de la vie et on l’encombre de trop de savoir, alors que les connaissances nutritionnelles ne cessent d’évoluer : ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera probablement plus demain…
D’autre part, on trouve une multitude de produits transformés qui constituent des tentations pour beaucoup et qui ne sont pas nécessairement le top pour la santé.
Le point positif est qu’on a accès à des produits multiples pour satisfaire notre curiosité gourmande et le monde actuel nous facilite la vie avec par exemple les surgelés.

Vous dites recevoir davantage de femmes que d’hommes… comment l’expliquez-vous ?
Les femmes subissent bien davantage la dictature de la minceur et n’acceptent pas leur silhouette. Du coup, elles sont toujours en quête d’un poids inférieur, d’une silhouette idéale, proche de celles des magazines, et elles se lancent très souvent dans des régimes pour l’atteindre.

Or, les régimes ne marchent pas, ni pour la tête ni pour le corps, et leur font peu à peu prendre de plus en plus de poids. Au bout d’un certain temps, et avec une relation à l’alimentation très perturbée, elles viennent voir quelqu’un comme moi (une diététicienne anti-régime, membre du GROS-Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids) pour se réconcilier avec les aliments, réapprendre à manger en fonction de leurs sensations alimentaires et atteindre peu à peu leur juste poids.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Stop aux régimes ! Acceptons-nous comme nous sommes et vive la diversité, la beauté est plurielle ! Et, surtout, pour celles qui ont des filles adolescentes, que celles-ci ne commencent pas le premier régime, début d’un engrenage, mais aidons-les à s’accepter.

Le blog « L’art de manger » : http://ariane.blogspirit.com/
Le site pro d’Ariane Grumbach : http://www.arianegrumbach.com/

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2 Responses to #6 Interview d’Ariane Grumbach, diététicienne gourmande

  1. Ombeline
    19 juin 2011 at 16 h 34 min

    si un jour j’ai du diabète j’irai chez le psy !
    ah non, les diéts maintenant sont psy ah ben cool c’est rassurant !

  2. Paul
    5 mai 2011 at 19 h 35 min

    Madame Grumbach a raison de parler de l’importance du plaisir et de la frustration engendrée souvent par les régimes ainsi que la dépendance psychologique à certains aliments
    cependant, c’est insuffisant pour expliquer un certain nombre de dérèglements alimentaires, il existe également une dépendance physiologique avec l’alimentation occidentale : dépendance au sucre et aliments à index glycémique élevé (sucreries, céréales du petit déjeune, etc.)
    d’autre part, il est possible de concilier recherche de la santé en s’alimentant et plaisir, se renseigner sur les aliments, leur origine, etc. peut augmenter le plaisir qu’il procure !
    il faut arrêter de tomber dans le pseudo romantisme de la diététique à la française de même que la recherche du produit la plus sain à l’américaine serait néfaste !

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