Bill Bryson, « Promenons-nous dans les bois » pendant que l’ours y rôde

13 juin 2014
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Qu’on se le dise, « Promenons-nous dans les bois », récit autobiographique écrit par Bill Bryson, écrivain américain prolifique, n’a pas grand-chose en commun avec la comptine enfantine. C’est un livre didactique qui mêle avec habileté le récit d’aventure à la description très détaillée du vivant, parfois digne d’un manuel de SVT. Le tout est empreint d’une petite touche cathartique qui fait plaisir à lire.

Le pitch

C’est à 44 ans que Bill décide de se lancer à la conquête du sentier des Appalaches (l’Appalachian Trail  ou AT), une randonnée de légende, longue de 3500 km qui relie la Géorgie au Maine, à l’est des Etats-Unis. Un sentier à peine balisé traversant des forêts denses, des montagnes hostiles aux dénivelés vertigineux offrant au lecteur l’infini des possibles. Les faits divers, parfois sanglants et meurtriers, vont joncher le parcours de notre valeureux marcheur. Vous l’aurez compris, il s’agit d’une terre rude et sauvage que l’auteur choisit de dompter pour pouvoir affirmer en toute virilité qu’il est enfin « un vrai homme des montagnes ». Pourtant, Bill n’est pas un guerrier, c’est un randonneur novice, un père de famille qui connaît une vie tranquille. Ce qui fait la force du récit réside dans la teinte humoristique et la sincérité poignante de l’auteur, sorte d’anti-héros des temps modernes qui mesure les risques d’une telle entreprise et avoue sans honte sa crainte des dangers qui menacent sur l’AT.

Mieux vaut partir mal accompagné

Si l’idée de partir seul est gratifiante, elle n’est est pas dénuée de risques. À mesure que les préparatifs avancent, que les équipements se veulent de plus en plus techniques et compliqués (la scène relatant le choix du sac à dos en boutique spécialisée est particulièrement tordante), l’appréhension gagne du terrain. Et l’idée que la survie pourrait dépendre exclusivement de l’intervention rudimentaire d’un coéquipier parcourt les gyri de la conscience pour s’y installer durablement. Ainsi, Bill décide d’annoncer son ambitieux projet sur chacune de ses cartes de vœux, qu’il adresse soigneusement à l’ensemble de ses connaissances, même celles tombées aux oubliettes. Il ne reçoit aucune réponse jusqu’au coup de fil de Katz, ami d’enfance dont Bill n’a pas eu de nouvelles depuis 25 ans.

ʺJ’ai hésité à t’appelerʺ a dit Katz lentement. Il semblait ne pas être sûr de la tournure à adopter. ʺ Mais ce truc des Appalaches, tu penses que je peux venir avec toi ?ʺ. « Je n’arrivai pas à y croire […] Je n’allais pas être obligé de marcher seul. Je sautillais sur place. Je n’allais pas être obligé de marcher seul […] J’ai rejoint ma femme dans la cuisine et lui ai annoncé l’excellente nouvelle. Son enthousiasme s’est avéré plus tiède que je ne l’avais escompté. ʺTu pars en forêt pendant des semaines et des semaines avec quelqu’un que tu as à peine vu depuis 25 ans. As-tu réfléchi à ça ?ʺ a-t-elle demandé avec l’air d’insinuer que je n’avais de toute façon jamais réfléchi à rien […] ʺVous n’avez rien en communʺ. ʺOn a tout en commun, on a 44 ans. On parlera d’hémorroïdes et de douleurs dorsales, on constatera qu’on n’arrive plus à se rappeler où on met les choses. Ensuite, je dirai : ʺ Hé je t’ai raconté mes problèmes de dos ʺ. Il répondra ʺ Non, je ne crois pas ʺ et on recommencera tout depuis le début. Ça va être génial ʺ.
- ʺ Ça va être l’enfer ʺ.
- ʺ Ouais, je sais ʺ.

C’est pourtant bien Katz qui débarquera quelques semaines plus tard chez Bill pour partir à l’assaut de l’AT. De forte corpulence, plutôt grossier, Katz semble d’ores et déjà peiner à se déplacer dans les couloirs de l’aéroport…  Je laisse le soin au livre de vous dévoiler la suite sur ce duo improbable aux répliques drôles et bien senties.

La vie (et la mort) sur le sentier

Elle se résume d’abord par des kilomètres et des kilomètres de marche, de douleurs physiques en tout genre exprimées pleinement et sous toutes leurs formes. La vie sur le sentier c’est aussi des rencontres, plus ou moins agréables, dont on ne peut se défaire pour peu que les protagonistes partagent la même foulée (telle cette randonneuse bavarde particulièrement agaçante au début du périple). Ce sont aussi des étapes dans des petites bourgades et la joie des plaisirs simples oubliés.

« J’ai commencé à comprendre que la privation était au cœur de la vie sur le sentier des Appalaches, que tout l’intérêt de l’aventure était de s’affranchir si complètement du confort quotidien que les choses les plus ordinaires – du fromage industriel, une canette de boisson gazeuse sur laquelle perlait une condensation prometteuse – vous remplissent d’émerveillement et de gratitude. »

Bill ne manque pas de nous faire ressentir sa peur panique d’une attaque d’ours (Ursus horribilis) meurtrier pour dégoter un Snickers planqué dans son paquetage. La couverture du livre, une tête d’ours coupé au niveau de la gueule ne laisse pourtant pas apparaitre sa puissante mâchoire. Et pourtant, cette menace est quasi-maladive tant la crainte de l’auteur est palpable et si l’imagination alimente sa peur, on ne résiste pas à y croire, nous laissant les mains moites et les frissons parcourir le dos.

Une leçon d’humilité

Bill Bryson, à travers son voyage, dresse le tableau accablant d’une Amérique à la logique consumériste implacable sans pour autant se perdre en jugements sans fondement. Il apporte une juste vision des choses, traversant des villes industrielles désertées, relatant des aberrations écologiques au travers des siècles et les espèces de la faune et de la flore que l’Homme a décimées. Il ne peut cependant s’empêcher de ressentir une profonde déception pour le manque cruel de curiosité au profit d’une routine bien installée.

Dans une société qui valorise la performance et le dépassement de soi, où l’être humain pour exister doit avoir et faire toujours plus, se donner encore et toujours pour atteindre des buts ultimes, le récit nous renvoie alors à la notion de limite. Savoir identifier, reconnaître et accepter ses limites avant qu’elles ne vous poussent à commettre l’irréparable. En d’autres termes, il s’agit de savoir renoncer avant qu’il ne soit trop tard. Et en reconnaissant qu’un objectif n’est pas une fin en soi, l’auteur rend la course à la performance ridicule et dérisoire au regard de ce que la vie nous réserve et plus généralement, de ce qu’on lui réserve.

 Promenons-nous dans les bois, de Bill Bryson, 352 pages, aux éditions Payot.

2 Responses to Bill Bryson, « Promenons-nous dans les bois » pendant que l’ours y rôde

  1. dionysiac
    23 mars 2016 at 15 h 16 min

    Le livre m’a semblé plus drôle et plus intéressant que l’adaptation cinématographique qui en a été tirée (sortie cette année en France), avec Robert Redford et je ne sais plus quel autre acteur.

  2. Kidman
    6 septembre 2014 at 22 h 21 min

    Livre tres drole surtout au début, ensuite par moment. En effet, description très réaliste des trek, des sentiments contradictoires par rapports a la vie normale que l on a ailleurs, des envies, des joies, des manques et des sensations exacerbées dans de telles conditions. Les dangers, les sensations et un descriptif et analyses écologiques complètes ce portraits de randonneurs particulièrement authentique et attachants dans leur différence et leur vomplicité.
    Je le recommande a tout lecteur qui a envié de passer un moment de détente et de voyage agéable et tellement vrai. Un portrait de personnages éclectiques que l on reconnais dans certains trekkers croiser ailleurs mais ici dans un style purement américain.

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