Les Fauteuses de trouble ont mené une petite enquête toute simple auprès de leurs lecteurs. Quatre questions : Ça veut dire quoi pour vous, « féminisme » ? Êtes-vous féministe ? Un homme féministe, c’est possible ? Une femme machiste, c’est possible ?
Premiers constats.
Ceux qui ont eu envie de répondre à l’enquête se disent féministes, hormis quelques rares hommes, badins – ou pas. Aucune femme non féministe n’a fait le choix de répondre à l’enquête.
Absolument tous les interviewés, hommes et femmes, reconnaissent qu’il est possible pour un homme d’être féministe. Certains ont même la chance de « connaître au moins un homme féministe… » Même si la question reste posée : « Et pourquoi pas ? »
Aucun doute ne subsiste, en revanche, en ce qui concerne l’existence de la femme machiste. Accord unanime chez les sondés : « Bien sûr ! » « Oh oui ! » « MAIS CARRÉMENT ! » ça existe donc, une femme machiste. Pire, « on l’est toutes un peu ». Gasp.
Quant au sens de « féminisme », il est vaste, complexe, protéiforme. « Attitude », « lutte », « idéologie », « mouvement », « théorie », le mot désigne finalement « beaucoup de choses différentes ». Et l’éventail de réponses reflète bien la multiplicité de questions que le féminisme pose encore, pour le meilleur et pour le pire. D’ailleurs, c’est bien simple : « féministe moi ? Selon certains oui et certaines non ! »
Le féminisme, un combat « d’une autre époque » ou « toujours d’actualité » ?
On n’oublie pas que, pour certains, le féminisme, « c’était le bizness de maman quand j’étais petit ». Aussi peut-on se demander si ce n’est pas « un combat d’une autre époque qui ne trouve pas vraiment sa place actuellement. On a d’autres préoccupations. »
Sauf que de nombreux interviewés rappellent que « Le féminisme est là pour qu’il y ait de réelles égalités entre les femmes et les hommes, et c’est loin d’être gagné… » Pour eux, « malheureusement, encore aujourd’hui, quel que soit notre sexe, on est trop souvent habitué et éduqué à penser, agir et voir les choses dans un cadre masculin d’un côté, féminin de l’autre. »
Ceux-là assurent que « la lutte contre d’insupportables inégalités, malgré les ricanements sarcastiques de certains (et certaines), persiste. » Il semble que, pour une majorité des sondés, « beaucoup de chemin reste à faire, camarades » et que ce soit « un combat toujours d’actualité, toujours urgent. »
Le féminisme, une « posture de résistance »
Le féminisme serait aussi la « prise de conscience » que le combat reste à mener : « Cette année, la France a encore perdu 2 places au classement mondial de la parité des sexes et arrive en 48ème position. C’est une honte ! La femme est une minorité politique et sociale. »
« Le féminisme ne désigne en aucun cas les seules théories ou associations militantes qui se revendiquent du terme, bien que sans ces théories et associations, le combat, les déconstructions, etc. n’avanceraient pas d’un pas. Mais toute femme qui cherche à se constituer comme sujet face à des pouvoirs qui l’en empêchent (les situations sont continuelles) est féministe. »
Il s’agit donc d’une « posture de résistance dans un monde où s’exercent de nombreuses dominations, des hommes sur les femmes, mais aussi des riches sur les pauvres, des intellectuels sur les manuels, des blancs sur les personnes de couleur, des hétérosexuels sur les autres orientations sexuelles, etc. » Le féminisme s’inscrit alors dans « la lutte contre tous les autres systèmes d’oppression. »
Égalité et différences, différences et égalité : vers un antisexisme ?
Pour la plupart, le féminisme concerne avant tout « la conscience qu’il existe une ou plusieurs inégalités femme-homme ».
« Le féminisme c’est se battre pour que les hommes et les femmes aient une place égale dans la société, dans la loi, mais aussi dans les faits et surtout, le plus dur, dans les mentalités. Pour que les stéréotypes, qui entravent chacun et chacune, soient reconnus comme tels et disparaissent, pour que chacun vive en fonction de sa personnalité et pas de son sexe ! »
« De plus, cela intègre le fait que la femme ne se définit pas en creux de l’homme (femme faible / homme fort, femme créative / homme puissant, etc.), mais en tant qu’elle-même. »
Toute la délicatesse du combat consiste à allier lutte pour l’égalité avec respect des différences. D’une part, « il y a la conviction que les hommes et les femmes sont moins différents qu’on veut nous le faire croire. » D’autre part, une interviewée témoigne de « quand le féminisme veut aplanir les différences entre les hommes et les femmes, lorsque la lutte contre l’inégalité devient la lutte contre les différences. Le féminisme ne serait-il pas, au contraire, le fait de promouvoir les différences dans le but d’accéder enfin à la complémentarité dans la rencontre et la relation ? »
Plusieurs des interviewés voient dans le mot « antisexisme » la solution à ce débat : « défendre les droits et les intérêts des personnes de sexe féminin (et non des femmes : je dis bien, des personnes de sexe féminin) » aussi bien que ceux des personnes de sexe masculin.
« Le féminisme, à mon avis, en tant que lutte antisexiste, ne permet pas de considérer que tous les hommes sont des agresseurs potentiels et toutes les femmes des victimes potentielles. Ce serait contradictoire : il s’agit de casser la vision binaire de la société. À mon sens, nous sommes tous victimes du sexisme (avec des dommages variables) et tous responsables de son maintien. Les hommes comme les femmes. »
Être féministe, d’accord, en théorie ou en pratique ?
« Il existe plusieurs féminismes, en réalité, car les chemins pour arriver à cet idéal sont divers et variés. Dans cette optique, le féminisme est plus une pratique de tous les jours, qui varie avec les circonstances, et pas une théorie figée avec des règles valables pour toutes les femmes et à tout moment. »
Comme le rappelle une internaute qui se déclare féministe : « quelques fois, je me laisse aller. » Il semblerait qu’on ne puisse pas être féministe 24/24. Une autre témoigne : « Je dirais que je suis féministe au quotidien, dans ma vie privée et professionnelle, mais je ne suis pas une militante engagée. »
C’est une différence de fond qui revient dans les résultats de l’enquête, d’un côté, il y a le féminisme militant, de l’autre, le féminisme pratique. Les interviewés se revendiquent de l’un ou de l’autre, pas forcément des deux à la fois. Et beaucoup affirment se sentir féministes au quotidien, mais « pas de façon activiste et revendicatrice… » Une féministe explique ainsi son fonctionnement pratique :
« je ne participe pas à des événements ou des manifestations sur le sujet, j’agis auprès des enfants de mon entourage et des adultes quand c’est possible. Comment ? J’ai une grande famille avec beaucoup de cousins et cousines entre quatre et dix ans, et je n’achète pas des « jouets de fille » ou des « jouets de garçons ». On fait des travaux manuels (construction de cabane, jouer aux legos par exemple) et des pâtisseries tous ensemble (crêpes, gâteaux), le but c’est de leur montrer que tout le monde peut jouer au foot ou à la corde à sauter, faire la cuisine, le ménage, bricoler… »
Accords et… « désaccord ».
Égalité, différence, théorie, pratique… Il apparaît assez clairement que les féministes eux-mêmes s’opposent parfois les un(e)s aux autres. « Je suis souvent en désaccord avec les personnes qui disent « défendre la cause de la femme », ce qui m’aura valu quelques agressions verbales acerbes, cependant je me sens pleinement, profondément féministe. »
Les nuances se multiplient. « Si je suis idéologiquement pour une égalité et une équité, cela ne veut pas dire pour moi mimétisme ou copie conforme. »
Les divergences s’expriment. « Il y a plusieurs féministes à mes yeux, mais je différencie vraiment celui plutôt bourgeois, avec des associations comme OLF, etc., et celui plus populiste, plus underground, tourné vers le queer, le pro sexe, le porno, etc., qui s’intéresse du coup plutôt aux personnes non blanches et non hétéro. »
« À la fois galvaudé et chargé de sens multiple », cela « rend difficile le dialogue autour de la notion de féminisme ! surtout qu’autour de ce sujet, les gens sont souvent remontés !! Moi la première, certaines réflexions et certains positionnements que prennent des femmes se disant féministes m’exaspèrent vraiment ! »
La place des hommes.
« Si je reconnais la lutte courageuse des mouvements féministes dans les changements de mentalités et pratiques des dernières décennies, je suis parfois en désaccord avec l’agressivité manifestée envers les hommes par certains. Les hommes actuels n’y sont pour rien, consciemment, dans les siècles d’asservissement des femmes. » Il s’avère même que l’homme d’aujourd’hui a toute sa place dans le féminisme. D’une part, comme allié des femmes, d’autre part, pour son propre compte.
D’abord, qu’on se rassure, donc, « le féminisme n’est en rien la domination de la femme sur l’homme, comme on peut parfois l’entendre ».
Ensuite, la formule qui considèrerait à dire que le féminisme ne concerne que les femmes est balayée.
« Cela reviendrait à dire que pour s’engager dans la défense d’une cause, il faut être directement concerné par cette cause : finie la défense des enfants victimes pour les adultes, finie la défense des droits des sans papiers pour les heureux détenteurs d’une carte d’identité, finie la défense des animaux en voie d’extinction pour les humains… Absurde… »
Une interviewée fait la liste de différentes attitudes féministes et néanmoins masculines,
« un papa qui arrête de travailler six mois, après la naissance de son enfant parce que sa compagne souhaite reprendre rapidement son emploi, par exemple, c’est une forme de féminisme. Un homme qui ne fait pas de distinction entre son travail et celui d’une collègue (à travail égal), c’est aussi du féminisme. Un homme qui ne se sent pas dénigré ou menacé par ses collègues de sexe féminin… »
Enfin, un autre met en garde, « il ne s’agit pas d’être des grands « défenseurs » des femmes ou de l’égalité, car cette posture ne viendrait que renforcer un parti pris machiste, à savoir que les femmes ne peuvent se défendre toutes seules. »
Un féministe conclut : « je pense être une homme féministe, puisque je n’attribue pas de caractère particulier à aucun des deux sexes. »
Ce qui est sûr, c’est que le féminisme a changé la donne pour les hommes aussi.
« Je ne pense pas être féministe, mais ma position actuelle d’individu masculin est la conséquence du féminisme des années 60. Moins héroïque et minéral, bref, un homme moins monumental »,
confie un interviewé.
Approche qui semble propre au XXIe siècle : le féminisme agit aussi en faveur de la condition masculine.
« La plupart des hommes féministes le sont car ils refusent de se plier au modèle de l’homme viril et dominant. » Plusieurs internautes le rappellent, les hommes « ont énormément à gagner dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Pour eux aussi c’est intenable. Une femme qui fait une activité d’homme est valorisée, mais un homme qui fait une activité de femme… »
Une femme devrait forcément être féministe.
Lapalissade ? « Je choisis de me reconnaître dans cette entité : la femme ; je ne peux donc pas, sans me tirer une balle dans le pied, ne pas être féministe. » Pourtant, toutes les personnes interrogées le reconnaissent, le machisme féminin existe bel et bien. « C’est souvent insidieux, inconscient, et souvent pire encore que le machisme masculin. »
Et la liste est longue des comportements machistes féminins.
« Une femme peut être convaincue qu’elle a davantage sa place à la cuisine qu’au boulot, trouver qu’il est inimaginable que son mec prenne un congé parental et estimer qu’il est normal qu’un homme soit jaloux et possessif, parce que, ma bonne dame, les hommes sont comme ça ! »
Ou encore
« des femmes qui tiennent à habiller leur homme, à faire les tâches ménagères parce que les hommes le font mal, à ne pas vouloir descendre les poubelles parce que c’est sale et que les hommes le font beaucoup mieux, … Bref, J’en passe ! D’un autre coté, revendiquer des qualités spécifiques aux femmes ne revient-il pas à ne pas mettre sur un pied d’égalité l’homme et la femme et donc à encourager le machisme ? Par exemple pour moi l’affiche « si c’était si facile les hommes le feraient » revient à accentuer nos différences… »
témoigne un interviewé.
Finalement, « une femme machiste, c’est une femme qui se complaît dans un rôle genré que la société attend d’elle et qui critique les personnes de sexe féminin (et masculin) qui s’émancipent du genre, et perpétue cliché, violence, sexisme, voire homophobie. » Le machisme féminin n’est donc pas qu’une attitude personnelle, c’est aussi un comportement envers autrui.
« Et c’est d’ailleurs l’un des obstacles majeurs au changement des mentalités, puisque beaucoup de femmes ont elles-mêmes fortement intégré le principe et les manifestations de la domination masculine (cf. Bourdieu), elles les considèrent comme inhérentes à un ordre naturel / biologique. La reproduction de la domination masculine de génération en génération vient d’ailleurs aussi du rôle et de l’attitude de la mère qui influence fortement les enfants. »
Les chiens ne font pas des chats.
Les internautes insistent sur le « poids des valeurs inculquées par l’éducation ». Indépendamment « de leur situation familiale ou sociale… », ces femmes machistes « ne peuvent accepter de voir leur modèle de vie remis en cause », préférant plutôt « penser que « ce n’est pas si grave » ».
Culture toujours relayée et toujours très en vogue. « On en voit pas mal à la télé mine de rien… », rappelle un interviewé.
« Les femmes sont moins souvent machistes que simplement pétries des stéréotypes et des préjugés dominants dans la société. Parfois, elles s’y accrochent un peu plus vigoureusement encore car les personnes, quel que soit leur sexe, ont souvent besoin de se raccrocher à des certitudes et à un ordre établi. Penser par soi-même et différemment de la masse, c’est courir le risque de se faire remarquer, juger, voire agresser. C’est là-dessus que je voudrais terminer : se dire féministe aujourd’hui, quand on a trente ans, c’est s’exposer à beaucoup de stigmatisations, être obligée de se justifier sans cesse, ne plus être simplement qu’une personne qui a des opinions, mais une espèce à part dont il faut un peu se méfier mais qu’on peut chambrer à loisir. Pffff ! Il y a encore du boulot! »
La phrase « Il y a encore du boulot! » et le « combat » feministe commencent a fatiguer. Baladez-vous donc avec des mitraillettes mais foutez-la paix aux autres, surtout aux hommes qui doivent payer tout cela…