Suffit-il d’être féministe pour que ses enfants le soient ? On pourrait remplacer ici féministe par utopiste, socialiste, raciste, bouddhiste, syndicaliste, écologiste, opportuniste, pacifiste, la question reste la même.
Faites ce que je fais, pas ce que je dis
En effet, il ne suffit pas d’avoir un discours féministe pour transmettre cette valeur, le mieux est encore de l’appliquer au quotidien. Si Maman prône l’égalité des sexes, mais accepte que ce soit toujours Papa qui paie au restaurant (parce que quand même, ça serait bizarre, et puis il serait vexé…), le résultat sera plutôt mitigé dans l’esprit des petits spectateurs. De même, un discours moralisateur sur le respect et la solidarité, même rabâché régulièrement, ne produira pas les effets escomptés si vous continuez à vous garer sur les places réservées aux handicapés (parce que, quand même, elles sont plus près, et puis vous avez la poussette…). Au lieu de l’habituel « faites ce que je dis, pas ce que je fais », en matière éducative, il serait plus juste de dire « faites ce que je fais, pas ce que je dis »… Lorsqu’il s’agit de donner l’exemple aux enfants, les actes comptent plus que les mots. Et il s’avère que les enfants sont justement très forts pour découvrir les incohérences entre les deux et vous le faire savoir. Connaissez-vous beaucoup d’enfants de fumeurs qui n’aient pas un jour dit à leurs parents : « Tu dis que moi je dois pas fumer, parce que c’est pas bon pour la santé, mais toi tu continues ! ». Ça fonctionne aussi avec : « Tu me dis qu’il faut pas mentir et toujours respecter les règles, alors pourquoi t’as dit à la caissière au cinéma que j’ai que huit ans ? »…
Ce sont les réactions des parents, leur attitude, leur comportement que les enfants vont copier, pas la leçon de morale du dimanche, pour faire bien devant la famille. Cela dit, si la leçon du dimanche colle avec l’attitude au quotidien, elle n’en aura que plus de poids. Et attention, les silences en disent parfois bien plus que les mots. Laisser Pépé faire ses blagues xénophobes sans jamais réagir ( ben aussi, Pépé, dès qu’il a un verre dans le nez…), ça induit un message, malgré tout. Même si personne ne rit. Là, d’ailleurs, ça induit un autre message, c’est qu’il ne faut pas réagir aux propos qui vous dérangent.
Les valeurs qu’on transmet le mieux sont celles auxquelles nous croyons réellement
Finalement, les valeurs qu’on transmet le mieux sont probablement surtout celles auxquelles nous croyons réellement, et non celles que nous croyons avoir, ou que nous aimerions avoir. Sans compter qu’il est difficile de partager des idéaux avec ses enfants quand le monde extérieur nous empêche de les vivre. Comment faire comprendre à son fils qu’il est essentiel de travailler quand on est soi-même confronté au chômage contraint depuis des années ? Comment convaincre sa fille d’être respectueuse et tolérante quand on se fait insulter régulièrement en bas de l’immeuble ? C’est le grand combat des idéaux versus la triste réalité… Ça rend le travail plus difficile, mais heureusement pas impossible (si, si, y a des preuves!).
Et à l’adolescence, pas de panique, l’enfant peut -et il faudrait peut-être dire « il doit »- passer par des phases d’opposition vis à vis de cet héritage, ce qui ne veut pas dire qu’il va tout renier en bloc et pour toujours. On voit beaucoup de gothiques de 16 ans, nettement moins de 30… Cette remise en question, qui peut parfois être spectaculaire, est pourtant nécessaire à la construction de l’identité.
Et histoire de compliquer encore un peu la tâche des parents, rappelons l’importance de toutes les sources d’influence extérieures. Elles peuvent être néfastes (votre fille de 13 ans veut se faire un piercing au nombril parce que le beau Brandon dans sa classe, celui qui a redoublé deux fois, il lui a dit qu’il adorait ça), mais tout de même positives, car elles vont amener l’enfant à adapter sa position par rapport à ce qu’il a reçu de ses parents, pour finalement se forger sa propre façon de vivre et ses propres valeurs (finalement, c’est débile de vouloir se faire percer pour un garçon, surtout que Kevin il lui a juste dit ça pour lui faire comprendre qu’il kiffe Tiffany, qui, elle, a déjà un piercing…) .
La construction de l’identité
Bref, les enfants font des rencontres, lisent des livres, voient des films, assistent ou participent à des évènements privés et publics qui vont confirmer ou infirmer ce qu’ils pensaient savoir, et peu à peu fonder leur personnalité. Plus les valeurs défendues au sein de la famille sont claires, mais aussi constructives et compatibles avec la vie en société, plus l’enfant aura de facilité à mûrir et à devenir un individu capable de penser de manière autonome. A l’inverse, il lui sera beaucoup plus difficile s’il est issu d’un milieu instable, où les discours ne correspondent pas aux comportements, où il y a un trop fort décalage entre le dehors et le dedans, de parvenir à cette maturité.
Bien sûr, nous avons plutôt parlé ici de valeurs qui ont la côte, comme la tolérance, la solidarité, l’écologie mais n’oublions pas que ça marche aussi pour le racisme, le machisme, et d’autres idéologies nettement moins populaires, du moins, en public. Mais pour celles-ci comme pour les autres, l’enfant une fois adulte fera le tri, et retiendra ce qui lui correspond. Dans la mesure où son milieu familial est assez sécurisant et lui permet de se différencier sans être exclu, il pourra trouver sa position d’adulte, et continuer à partager certains idéaux avec ses parents. Lorsque le milieu familial est trop instable, voire toxique, et que la différenciation est impossible, il peut finir par rompre totalement le contact, ou adopter une position néfaste pour lui, mais acceptée par sa famille, pour pouvoir continuer à en faire partie.
Pour conclure, à la question « suffit-il d’être féministe pour que ses enfants le soient ? », je répondrais : « non, mais ça aide ! ».
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