#3-Anita Dagorn, danseuse de flamenco et dompteuse de gitans

15 janvier 2011
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Anita vit et enseigne le flamenco dans le Sud de la France. Elle travaille actuellement sur un projet de spectacle cabaret et se décrit volontiers comme meneuse de revue. Ou comme dompteuse de gitans…

Dans un de tes cours tu t’étais définie comme « dompteuse de gitans » et ça m’avait beaucoup plu… C’est d’ailleurs ce qui m’a donné l’idée de cet entretien et c’est la première chose que j’ai dite lorsque je t’ai contactée…
J’ai adoré quand tu m’en as parlé et j’y ai repensé depuis. Hier soir, on parlait encore des gitans avec des amis. A un moment , je dis qu’il ne faut pas que je tarde, car j’ai une interview demain et je raconte cette histoire de domptage. Et là, ma copine me dit : « Mais bien sûr que t’es une dompteuse de gitans ! ».

D’où t’es venue cette expression ?
Quand tu m’as contactée, ça m’a fait rire, mais ça ne m’a pas étonnée. Puis j’y ai réfléchi… j’ai dû le dire en considérant les gitans comme une entité en soi, qu’on projette pour dire que c’est quelque chose d’intouchable, dans un sens mythique. Donc dompter, c’est dans l’idée de l’inapprochable que moi j’ai pu approcher. Quand je me suis attaquée au flamenco, je me suis dit « Oh là là, gitans, c’est pas quelque chose que tu vas côtoyer facilement – du moins, il faudra vraiment du temps avant de pouvoir te permettre de dire ou de faire certaines choses. Donc quand j’ai commencé le flamenco, je me suis dit, « Prends ton temps, mais vas-y à fond sinon c’est pas la peine » et c’est ce que j’ai fait. Et après je suis… on m’a, on m’a donné une place, si bien qu’au bout d’un moment on disait de moi : « Non mais celle-là, elle est plus gitane que nous ! ». Intellectuellement et dans ma manière d’être, j’étais alors prise dans un glissement. Je n’ai jamais cherché à être gitane, même si j’ai été élevée ou pas avec des gitans, même si j’en côtoie ou pas : ma préoccupation, c’est de continuer à faire mon chemin. Le flamenco, je le connais vraiment bien, les gitans… je les connais comme je connais d’autres personnes. Mais cette double part, le flamenco et les gitans, me donne la possibilité de ne pas me laisser faire quand on raconte des conneries sur les gitans ou des conneries sur le flamenco. Donc au bout d’un moment, j’ai pu ouvrir ma gueule. Et finalement les gitans, en voyant que je faisais plus de flamenco qu’eux, que je savais plus de choses qu’eux à ce sujet, me considéraient presque comme leur maîtresse dans le sens où ils venaient et me disaient « Oui oui, dis-nous Anita, parce que nous en flamenco… mais c’est toi qui connais ». Je me disais que c’était super parce qu’on me donnait un rôle… et s’il faut dompter les gitans, il y a des moments où je vais prendre aussi ce rôle-là en me disant « Ça c’est possible, ça c’est pas possible, ça ça se fait, ça ça se fait pas », tout en laissant bien sûr de la souplesse. C’est ça que j’entendais par « dompteuse de gitans ».

Tu as donc été élevée avec des gitans ? Tu as grandi avec eux ?
En fait, quand j’étais enfant, j’ai été élevée avec des gitans de l’Europe de l’Est. J’ai été élevée à la campagne, au fin fond de la Sarthe et par moments ils venaient faire la cueillette des pommes. A l’école, il y avait des enfants de gitans et moi je les kiffais car, les pauvres, ils arrivaient tout juste, ils étaient complètement isolés. Alors à la récré je les prenais un peu sous mon aile. Ils étaient les pauvres exclus mais moi ils m’intéressaient, donc je m’en occupais, car ce n’est jamais une position facile quand tu es enfant. En même temps, je les enviais car ils n’allaient pas à l’école tout le temps. Puis à l’adolescence, j’enviais leur liberté, celle de ne pas être attaché. J’avais une bonne vie, comme j’ai aujourd’hui, dans le sens où je suis libre, mais j’avais la vie pourrie par des détails de rituels qui me faisaient chier. Mais sinon je les enviais, car ils avaient une vie de dehors : ils ont une vie du dehors, même s’ils ont les mêmes choses que nous, comme une famille. Mais eux, ils avaient vraiment une vie libre, même s’ils travaillaient, comme tout le monde. Chez moi il fallait marcher avec les patins et je me disais « Ah là là mais eux, ils sont cool, ils sont là avec leurs caravanes dans les champs » et moi j’enviais ça.

Dans les mots que tu emploies, je vois que tu utilises gitans de façon générale…
Gitan, au départ, c’est celui qui va voyager. Après il y a des différences entre ceux de l’Est et du Sud, ne serait-ce que par les langues, même par les coutumes. De toute façon, rien que d’une tribu à une autre, il y a des différences, alors entre les gitans selon leurs parcours il y en a forcément aussi. Après je connais plus les gitans d’Andalousie. Le mot gitans, c’est comme pour genre humain, un ensemble avec des spécificités.

Et comment as-tu été amenée à connaître les gitans d’Andalousie ?
Par le flamenco, qui m’a fait les rencontrer beaucoup plus tard.

Quand as-tu commencé le flamenco ?
Maintenant ça va faire une vingtaine d’années. Je faisais déjà de la danse. Puis un jour, j’ai fait un stage de flamenco, et là ça m’a… chamboulé la vie. Dans le sens où au niveau de la danse, c’était la première fois que je vivais une expression physique. La danse, j’en ai toujours fait, et bien sûr que c’est physique, mais ça ne renvoie pas une expression physique. Alors que le flamenco, c’est quelque chose où il faut tellement parler, et sur les mots et sur la puissance du corps, que ça m’a donné envie d’explorer ça, parce que ça, c’était puissant, plus puissant que toutes les danses que j’avais faites. Je me suis embringuée là-dedans et j’ai commencé à faire des stages en Espagne. Ensuite, il se trouve que les chanteurs, les guitaristes sont gitans pour la plupart. Donc c’est comme ça que j’ai commencé à côtoyer les gitans. Ce n’est pas moi qui suis allée les chercher en fait, c’est eux qui sont venus. Parce que quand à Aix, on a su que je faisais du flamenco, quelques-fois les gitans sont venus frapper à ma porte en me disant : « Ah c’est vous Anita, on a appris que vous donniez des cours de flamenco ». Ils sont carrément venus se présenter pour me rencontrer, comme si j’étais une bête curieuse ! Il faut dire qu’il y a vingt ans c’était moins à la mode que maintenant. J’ai trouvé ça super.

Cette puissance dont tu parlais dans le flamenco, je trouve que tu la rends vraiment bien. Ce qui m’a frappé dans les cours que j’ai suivis avec toi, c’est à la fois la simplicité avec laquelle tu abordes et transmets le flamenco et le fait que tu arrives à montrer l’essence même du flamenco, ce langage du corps, cette adéquation avec la musique, le chant…
Ce qui m’éclate, c’est de donner un cours où les filles peuvent être d’origine gitane, espagnole, qu’elles soient là par hasard, ou que quelqu’un se trompe de porte et soit là aussi, ou qu’une autre rêve depuis vingt ans de faire du flamenco. Pour moi chaque démarche est importante, chaque individu est important, et comme rien ni personne ne se compare, je peux balancer les infos sur mon cheminement personnel, qui peuvent concerner tout le monde, même si je ne suis pas espagnole. Je pense que le flamenco est une notion encore plus subtile. Bien sûr c’est une culture, une histoire, mais moi la manière dont je vais le transmettre tient à mon histoire et à encore plein de nuances au-dessus de cette histoire.
Du moment où tu es généreux, à l’écoute et que tu as envie de partager, ça c’est flamenco. Après il y a la notion de culture, mais il y aussi une attitude qui va être propre à ça, et qui est très simple et à la portée de tout le monde. Mais pour cela, il faut avoir débroussaillé plein de parasites, de choses qu’on se met dans la tête sur l’écoute, sur ce qu’est apprendre, se former, échanger, recevoir… Et ça se travaille aussi bien sûr. Ça se côtoie, ça se travaille, ça se fête… Après, à l’intérieur de ça, c’est à la portée de tous. Il y a des gens qui sont nés dans le flamenco et qui, pour moi, ne sont pas forcément flamenco. Etre flamenco c’est un état d’esprit.
J’ai envie que les gens à qui j’enseigne continuent à avancer là-dedans, qu’ils ne se bloquent pas, ne pensent pas : « Je n’y arriverai jamais, ce n’est par fait moi, je ne me mélange pas parce que les autres sont vraiment flamencos… » Au contraire, je veux ouvrir le champ flamenco. Et les artistes flamencos, les purs, sont à mon sens d’une grande ouverture d’esprit et ça c’est vachement important. D’autant plus que le flamenco peut vite être stigmatisé à cause des clichés. Le nombre de gens qui te racontent des conneries sur le flamenco…

Et c’est quoi ces conneries sur le flamenco ?
C’est faire croire aux gens que c’est un truc inaccessible, que de toute façon vous pouvez un peu essayer, mais vous ne pourrez jamais pénétrer dans cet univers, vous pourrez juste le côtoyer. Ou à propos de la danse, ce serait transmettre uniquement des conneries complexes de techniques de pied, qui au bout d’un moment sont à contre-sens, car s’il en faut un peu, je continue de revendiquer que ce n’est pas fondamental. Ce qui est fondamental c’est ce qui est ici ou là [elle montre son ventre et son coeur] mais dans une manière particulière à la danse flamenca. Donc si t’es incapable de faire entrer les gens dans cette énergie-là, tu peux faire plein de pieds pendant des années, ça ne servira à rien… Le moteur, c’est aussi une manière d’être physique dans la danse. Et je continue d’ouvrir à cela, pour que certaines personnes ne se fassent pas piéger par des trucs miteux sur ce qu’est l’allure flamenca. Il n’y a pas d’allure flamenca. L’allure flamenca c’est à chacune de la développer. Dans le flamenco, tu peux être discret, tu peux être pudique, tu peux être sauvage. Justement il faut arrêter les clichés, comme si dans le flamenco, il fallait être échevelé, crépiter ! C’est comme en chant ou en guitare : si ton tempérament est plus enclin à être effréné, tu danseras comme ça et tu choisiras des gens pour t’accompagner, pour te porter là-dedans. Si tu es plus retenu, le flamenco peut être aussi très sobre. C’est à chacun de choisir les éléments qui vont l’inspirer.

Et les conneries sur les gitans ?
Déjà, quand t’es une femme, on te dit : « Oh là là, tu vas traîner avec les gitans, mais c’est des dragueurs! » Comme s’ils étaient plus dragueurs que les autres ! Puis, « Oh mais tu vas voir, ces menteurs vont te raconter des bobards… » Et aussi : « Tu ne vas jamais pouvoir travailler avec eux ! Au début, ils vont être contents, mais après ils ne seront jamais à l’heure… » Oui, mais comme les autres musiciens ! « Tu ne vas jamais pouvoir entrer chez eux, c’est un milieu à part. Les fêtes, ce n’est réservé qu’aux gitans, entre eux… » Tout ce qu’on raconte tout le temps, tout le temps… Tout ce qu’on m’avait dit ne m’est jamais arrivé. J’ai toujours été très bien accueillie, j’ai toujours été respectée parce que j’ai respecté. Il y en a qui ont été cons et que j’ai envoyé chier, parce que je les trouvais cons et non pas parce qu’ils étaient gitans ! Et puis on peut plaisanter aussi, se moquer gentiment, comme je peux me moquer de moi-même et les gitans ça les fait rire aussi. J’ai une amie, un jour, qui me dit en parlant des gitans : « Viens on va voir les nuques longues. » C’était l’époque où ils portaient les cheveux plus longs sur la nuque. Comme ils jouent aussi entre eux de leurs mots sur des clichés gitans, eux aussi riaient de leur coupe de cheveux, de la même manière qu’ils plaisantent entre eux : « Non, on ne va pas voler que des poules ! » [Cliché largement répandu également en peinture. Ndlr]C’est sur les grands clichés que tu fais de l’humour, mais il n’y a rien de particulièrement gitan qu’il faudrait éviter ou au contraire aller chercher.
J’aimerais revenir à cette histoire de domptage… Dompter, c’est aussi par rapport à moi, qui suis enfin un peu devenue une femme – même si je suis encore une gamine – quelqu’un qui apparaît comme un référent en qui on peut avoir confiance, comme quand les gitans ou d’autres viennent en me disant : « Anita on veut être avec toi, parce que toi tu sais ». Je dis dompter, parce que j’ai l’impression d’avoir des gens autour de moi qui sont comme des petits poussins : « Montre-nous, on est à disposition si tu as besoin, n’hésite pas à nous dire si ça ne va pas. » C’est une manière de les dompter aussi sur leurs questionnements. Il y a aussi des gitans qui ont été enfermés dans ce mode gitan et qui ne demandent qu’à s’ouvrir de l’autre côté, car on leur a dit de ne pas trop fréquenter les payos [NDLR : non-gitan dans le vocabulaire gitan]. Ça aussi c’est de la connerie. Enfin, dompter, c’est aussi dans ma manière d’être au travail, où je suis très rigoureuse. Et quand il fallait gueuler, plusieurs fois, je me suis mise à dire : « Non non, vous faites ça, vous irez rigoler, picoler et faire la fête après, mais là écoutez-moi, hein. » Mais quand même, t’imagine selon comme on l’entend, si on ne me connaît pas ? Elle dompte les gitans, mais pour qui elle se prend cette folle ?!

Photographies : Luise Yagreld

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7 Responses to #3-Anita Dagorn, danseuse de flamenco et dompteuse de gitans

  1. Carmen
    20 janvier 2017 at 19 h 40 min

    Anita mi Amiga. Séductrice tendre rebelle qui me fascinera toujours. Souvenirs de ma première profesora de sevillana. J’ai adoré te lire. Hasta pronto guapa. Carmen india morena

  2. delgado
    1 septembre 2015 at 13 h 10 min

    Bonjour,
    Je reste toujours touché par le personnage, Anita à toujours marqué les personnes qui l’on croisées.
    Les cours de sévillanes sur Aix en Provence restent mémorables par le partage de cette passion.

  3. 9 février 2015 at 14 h 19 min

    anita superbe ton ecrit

    Besos maria et jose via malaga

  4. Maria del Carmen Bergeaud
    7 mars 2014 at 16 h 16 min

    Bonjour.
    Nous sommes en 2014 et j’aimerai savoir si l’aventure continue !
    Puis correspondre avec Anita Dagorn ?
    Merci de votre réponse .M.Del carmen

    • anita dagorn
      21 octobre 2015 at 20 h 20 min

      Oui….. je viens juste de mire votre message…
      Anita

  5. 10 février 2011 at 0 h 33 min

    Me sens très proche de cette pensée et aimerais rencontrer Anita. Cecile

    • anita dagorn
      21 octobre 2015 at 20 h 21 min

      Cécile, je viens de vous lire, moi aussi j’aimerai vous rencontrer….

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