#3-Nomade non gitane

15 janvier 2011
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Si j’avais un compte FB, dans mon profil, j’écrirais « Nomade ».

D’accord, c’est une façon de parler… Un joli adjectif que j’ai fini par trouver pour tenter de définir ce truc qui est en moi et que je ne comprends pas vraiment, au point de m’avoir sérieusement inquiétée. Je ne suis pas du tout gitane, ni de près ni de loin, je danse mais pas le flamenco, je ne chanterais pour rien au monde que ce soit en public ou en privé, et le camping, même en caravane, me fait horreur. Qu’est-ce que c’est que cette nomade à deux francs six sous, pensez-vous ? Et bien, c’est la nécessité quasi vitale de se promener sur la planète, et la panique de l’installation à long terme. Huit déménagements en dix ans depuis le départ du cocon familial, en France du Nord au Sud, et maintenant à l’étranger, avec comme ambition de faire le tour de la Terre, en s’arrêtant deux, trois, quatre ans par-ci, puis par là. Souvent, ça fait envie aux autres. Enfin, c’est ce qu’on me dit. Mais en vrai, je n’y crois pas. Parce que pourquoi, sinon, tout le monde ne le fait pas ? Si j’y arrive, c’est que c’est facile, croyez-moi, je n’ai aucun talent particulier !

Migration

Le premier grand voyage du Nord au Sud a davantage ressemblé à une fuite, de la misère vers le soleil. Fuite précipitée et atypique, qui a demandé des sacrifices financiers (plus qu’un seul salaire sur deux), et qui a pour cela suscité l’incompréhension voire la réprobation des proches, mais qui semblait rester logique et libératrice. C’est lorsque j’habitais un petit coin de Paradis dans le sud de la France que j’ai commencé à me poser de sérieuses questions. Ma vie était juste super, bien remplie d’une foultitude de choses qui me passionnent, mais après deux années… l’angoisse a commencé à monter. Je suis là pour toujours ? Impression morbide d’être enterrée vivante, encore jeune. J’essaye de me calmer, de me raisonner. Je n’ose même pas en parler : ceux qui ont atterri là ont perdu la clé, certains depuis vingt, trente ans, voire plus, dans la même ville, avec souvent le même travail. Socialement, visiblement c’est une réussite, et pour rien au monde ils ne changeraient de place. D’autres sont nés dans le coin, ont connu un exil professionnel forcé de quelques années avant de revenir au pays et de s’épanouir pleinement. Et je les comprends, c’est vraiment un petit coin de Paradis ! Alors, c’est quoi mon problème ? Parce que le sentiment dure, et s’intensifie même, au fur et à mesure que les mois passent… En désespoir de cause, je commence à en parler à demi-mots à Chéri (qui a aussi fait les cartons des huit déménagements), et là, surprise : il complète parfaitement mes bouts de phrases, éprouvant exactement la même chose ! On n’est pas chéris pour rien, ouf ! On est incapable d’expliquer pourquoi on ressent ça, mais c’est là, et c’est fort. Plus fort que nous, on dirait.

« Mais c’est pas possible, on a échangé mon bébé à la maternité ! » dixit la mère

Je cherche à comprendre. Du côté des gènes peut-être ? La piste s’arrête vite. Certes, du côté grand maternel, pied noir, il y a eu des va-et-vient, mais pour ce que j’en sais, essentiellement pour des raisons professionnelles. Ma mère est même la plus grande sédentaire que je connaisse : l’idée de quitter sa maison pour un week-end l’affole six mois à l’avance ! Du côté paternel, c’est pire encore : ancré dans la terre d’une région depuis Mathusalem, le déplacement de la Grand-Mère d’un village à un autre distant de vingt kilomètres pour son mariage a été la Grande Migration familiale ! Moi-même j’adore aller dans ce coin perdu de France, où je sens avoir de profondes racines, mais…
Déjà petite fille, je ne voulais pas être maîtresse ou infirmière, je voulais faire des reportages sur les éléphants en Afrique. Je m’en souviens d’autant mieux que personne – à commencer par moi – n’a jamais su d’où pouvait sortir une idée pareille. Au collège, je passais des heures à discuter avec mon voisin sur la mappemonde de l’agenda : un jour j’irais là, et puis là, et là… Je ne suis jamais partie en vacances avec ma famille en dehors du fameux village familial, et les colo d’été en Vendée ont longtemps été toute mon expérience de l’exotisme.

Envol

Et puis un jour j’ai eu mon bac, à l’arrache, et pas de projet réel derrière, et je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé parce que tout est allé très vite, mais je me suis retrouvée dans un car Eurolines en partance pour l’Angleterre, où j’allais rester un an comme jeune fille au pair. A l’époque, préhistorique – internet n’existait pas chez les particuliers – ça a été un choc : je croyais aller chez les voisins, j’étais à l’étranger, et je découvrais que la jeune idéaliste qui se sentait pour le moins européenne, voire plus (terrienne ?), se révélait être française à 300%. Ça aurait dû me calmer. Mais non. J’ai rongé mon frein, étudiante, et dès que j’ai commencé à bosser et eu trois sous, je les ai claqués en billets d’avion. Et ça ne s’est jamais arrêté. Quand je ne suis pas partie ailleurs, je passe mon temps libre à élaborer de nouveaux départs, en rédigeant de longs dossiers laborieux pour un poste à l’étranger, ou en passant des soirées entières sur des sites de comparateurs de vols, avec en onglet les sites du Routard et du Lonely… Ça se soigne docteur ? Et attention, hein, je ne me considère pas du tout comme une baroudeuse. Je répète : le camping, je déteste. « Les rencontres avec les locaux » est pour moi la phrase la plus énigmatique du monde : c’est quoi un local ? et une rencontre ? Sérieusement en dix ans de vadrouille, je comptabilise une vraie rencontre avec une locale, en l’occurrence, et c’est resté un échange muet, bien que vrai et fort. Non, moi, ce qui me fait triper pour de vrai, attention vous allez être épatés, c’est… prendre un bus dans une gare routière. Pour moi (et j’ai bien conscience que c’est complètement subjectif), c’est ça voyager. Se déplacer, sans trop savoir où on va arriver, encore moins à quelle heure, parfois sans être bien sûr d’être dans le bon bus… Le confort est souvent rudimentaire, la conduite terrifiante, les arrêts pipi improbables, et le trajet très long, mais j’adore. Regarder par la fenêtre d’un bus, c’est toucher du doigt l’infini. Je m’envole ? Ben oui, mais justement !

Sur la branche

Tout ça pour dire quoi, au juste ? Que même si je vis tout cela avec beaucoup de plaisir, et que j’ai la chance d’avoir rencontré un chéri qui partage mon délire (quand je l’ai rencontré il déménageait toutes les six semaines pour être près de son bahut du moment, allant de gîte rural en camping sous tente dans le Pas-de-Calais, en bon nomade de l’Education Nationale, j’ai nommé les remplaçants ultra précaires, mais c’est un autre sujet…), je me suis longtemps demandée si ça tournait rond là-haut. Pourquoi vouloir quitter un nid douillet pour une jungle urbaine et tropicale où on ne comprend rien ou presque ? Pourquoi signer un bail de trente mois me donne des sueurs froides (d’ailleurs, c’est signé avec l’arrière pensée qu’on n’ira sûrement pas au bout, et tant pis pour la caution !) ? Parce qu’en même temps, j’attache beaucoup d’importance à la maison où je vis, aux robes que je porte (le meilleur vêtement pour le bus, d’ailleurs, croyez m’en !), et je ne peux pas survivre sans un ratio minimum assez conséquent de livres, films et spectacles dignes de ce nom… Alors ? Le Nomadisme, c’est un syndrome connu ou bien ?

Ou bien

J’ai peut-être trouvé le début d’une explication rationnelle (?) dans un documentaire vu il y a deux ans : Le Sacre de l’homme, Homo Sapiens invente les civilisations, de Jacques Malaterre (c’est la suite du fabuleux L’Odyssée de l’espèce, voyez le genre ?), où l’on apprend au détour d’un massacre à coups de machette (ou presque), que l’évolution, c’est la civilisation, qui est elle-même la sédentarisation. En gros, il y a eu un moment où nos grands-papis et grands-mamies en ont eu ras la peau de bête de faire des kilomètres pour trouver à bequeter, et comme les grandes inventions sont souvent des remèdes contre notre flémingite aiguë, ils ont découvert l’agriculture. Avec elle est née l’idée de conservation (des graines récoltées en été pour manger en hiver, il devait y avoir des observateurs de fourmis). Mais les graines pour tout un hiver, c’est lourd à transporter, sans compter que ça pousse où ça a été planté, ou pas bien loin. Ni une, ni deux, on s’adapte, c’est-à-dire, on s’installe. Sauf que, tout le monde ne s’installe pas en même temps, et ceux qui n’ont pas encore pigé l’histoire (les observateurs de cigales ?) veulent manger les graines de ceux qui ont bossé tout l’été. Ces derniers ne sont pas d’accord, ils organisent leur défense, choisissent un chef, etc. Les autres finissent par percuter, et vont s’installer un peu plus loin pour faire pareil. Les civilisations sont nées (avec leur immanquable cortège de pouvoir et d’argent, enfin de troc à l’époque) ! Mais mais mais, quelques irréductibles ne peuvent s’y faire. Ils sont peu nombreux, mais n’arriveront jamais à se sédentariser, et resteront nomades. Plus pauvres, mais plus libres (?). Apparemment, il n’y a pas d’explication, c’est comme ça, un des mystères de la Nature. Vous n’imaginez pas comme ce docu m’a fait du bien…

Post-scriptum : Pour ceux qui se sentent nomades dans les tripes, je recommande chaudement Désert de JMG Le Clézio, récit dans lequel il ne se passe rien si ce n’est une traversée du désert par des Nomades qui font ça depuis toujours. La plume magique de ce grand auteur de voyages a réussi à me faire vivre par procuration ladite traversée le temps d’une lecture – confortablement installée dans mon canapé, bien sûr !…

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