#17-Barcelone Noir : l’envers d’une ville dans un recueil de nouvelles

15 septembre 2012
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« Parcours urbains »

Avec ses coins sombres ou ses avenues pleines de lumières, avec ses types franchement louches ou ses messieurs en costard finalement pas si nets, avec ses carrefours où se croisent la misère et le pouvoir, la ville offre au romancier une matière inépuisable. C’est sur Los Angeles que repose par exemple le célèbre quatuor d’Ellroy, et, avant lui, Chandler avait aussi arpenté les rues de cette même ville avec son personnage Philip Marlowe. Jean-Bernard Pouy dans Une brève histoire du Roman Noir, va jusqu’à parler d’« urbanité essentielle » en nous rappelant que la ville, loin de n’être qu’un simple cadre pittoresque ou anecdotique, fait corps avec le roman noir : « Avec l’aide de Marlowe, Chandler va patiemment, à coups de descriptions, de monologues désabusés, et surtout grâce à un humour décapant, dresser un portrait de Los Angeles d’une efficacité d’entomologiste. Il y a quelques années, le journaliste Philippe Garnier a refait, en voiture, les parcours urbains décrits dans les romans de Chandler. Il a pu ainsi, tout aussi patiemment, en démontrer l’inexactitude quasi ethnographique. » Voilà qui donne envie d’oublier les guides et les plans, et de partir à la découverte d’une ville en compagnie d’un auteur de romans noirs.

« Délaissant les grands axes, j’ai pris la contre-allée » (Alain Bashung, Aucun express)

Emprunter les contre-allées, c’est justement le pari de la collection « Asphalte noir » qui nous emporte d’une ville à l’autre. « Barcelone noir » rassemble par exemple quatorze auteurs et l’introduction écrite par Adriana V. López et Carmen Ospina annonce la couleur, ou plutôt l’absence de couleur : « Si elle est connue pour son raffinement, Barcelone n’a pas toujours été capable de réfréner les aspirations les plus sombres de son côté madame Hyde. […] Les quatorze histoires qui vont suivre détourneront votre attention de l’animation des Ramblas et des spirales de Gaudí, la reportant sur la face la plus sombre de la ville. Celle que ne traversent jamais vos visites guidées. » Alors, qu’est-ce qu’on retient de ce voyage ?

Barcelone(s)

Difficile, tout d’abord, de ne pas souligner le souci de variété qui anime ce portrait éclaté de Barcelone.

Les époques se croisent : la nouvelle d’Andreu Martín, la toute première du recueil nous emporte en 1922, à l’époque où « Barcelone était considérée comme la « ville des bombes » et considérée comme la capitale mondiale de l’anarchisme » tandis que la savoureuse nouvelle de David Barba, Sweet Croquette, qui nous plonge dans la vie à la fois délirante et inquiétante d’un boucher, nous ramène dans les années 2000.

Le recueil, solidement ancré dans la ville comme nous le rappellent les multiples indications géographiques ainsi que la carte présente au début de l’ouvrage, nous promène aussi dans des lieux différents, des Quartiers Chics de la nouvelle de Jordi Sierra i Fabra aux coins mal famés ou aux taudis que l’on trouve dans bien d’autres textes. Au début de sa nouvelle intitulée Le Charme subtil des femmes chinoises, Raúl Argemí n’écrit-il pas que « Le secret d’une grande ville, disons Barcelone, c’est qu’elle comporte dans son sein une multitude de villes juxtaposées, vivant côte à côte, mais avec très peu de connexions entre elles. » ?

Les styles se succèdent également et se confondent rarement. La très belle nouvelle d’Andreu Martín se distingue par sa pureté tandis que Lolita Bosch cultive l’art de la digression en proposant un texte pour le moins baroque. Sa nouvelle, En ce monde,en ce temps-là… dessine les couloirs d’un labyrinthe dans lequel les notes de bas de page enflent pour mieux perdre le lecteur. Un auteur peut nous entraîner vers le fantastique, d’autres vers le réalisme le plus exigent et le plus sombre ou encore du côté de l’humour.

Conséquence logique : ce recueil peut tout à la fois séduire et ennuyer, plaire et agacer. C’est le risque de la variété, mais c’est aussi son charme…

Fils rouges, fils noirs

En refermant ce recueil aux visages si différents, on reste pourtant convaincu que des fils rouges ou noirs unissent les lieux, les époques, les auteurs ou les personnages. Des événements qui ont marqué la ville et en ont modifié l’architecture pour le meilleur et pour le pire, comme les jeux olympiques de 1992. Des blessures pas tout à fait cicatrisées, comme celles, profondes et nombreuses, ouvertes par le franquisme. Autant d’éléments qui sont propres à l’Espagne en général ou à Barcelone en particulier.

Mais ces fils se prolongent et s’étirent, unissant également Barcelone à des villes plus lointaines. On trouve ainsi dans ce « Barcelone noir » des histoires qui pourraient avoir bien d’autres cadres : la domestique des Quartiers chics de Jordi Sierra i Fabra, qui vit écrasée par le mépris de la famille pour laquelle elle travaille, a sûrement des sœurs cachées dans les quartiers chics de Rome, de Paris ou de Los Angeles.

Envie de découvrir un autre ouvrage publié chez Asphalte ? Lisez la critique de Soudain trop tard de Carlos Zanon par Luise Yagreld !

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2 Responses to #17-Barcelone Noir : l’envers d’une ville dans un recueil de nouvelles

  1. 21 octobre 2012 at 12 h 31 min

    Un autre regard sur la ville justement, très intéressant, et très différent de ce que l’on voit « en surface ».

  2. jim
    13 octobre 2012 at 16 h 24 min

    Chouette article ! Merci !

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