#17-Claque de la rentrée littéraire : Soudain trop tard de Carlos Zanon

15 septembre 2012
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Une grosse claque. Ou plutôt, pour rester dans le ton du roman, un gros coup de marteau. Voilà l’impression qu’on a quand on sort de Soudain trop tard de Carlos Zanon. Assommés. Non pas par la lourdeur ou la lenteur d’un roman qui serait mal écrit et n’en finirait pas de s’écrire, mais, au contraire par la beauté puissante et convulsive, noire définitivement, de ce premier roman écrit par un poète jamais traduit en France jusque-là. Tout se déroule sur une journée et chaque chapitre est le point de vue d’un personnage : celui de Tanveer dont le meurtre inaugure le roman, celui d’Epi son ami et son meurtrier, celui d’Alex le frère d’Epi, schizophrène qui cherche à protéger son petit frère, celui de Tiffany, fille paumée et séductrice que Tanveer a détourné d’Epi… Et tous les autres, toutes les voix qui se heurtent dans une Barcelone où se traînent l’asphalte, la crise, la misère.

Composé avec beaucoup de rigueur, le roman présente ainsi une galerie de personnages qui échappent à ce qu’on peut imaginer d’eux à leur première apparition. Imprévisibles, comme souhaite l’être Epi, ils se meuvent dans la ville, l’épousent, en reflètent les paradoxes et l’inattendu. Le pari de littérature urbaine fait par la maison d’édition, Asphalte, est tenu et ce roman s’insère parfaitement dans son projet éditorial : la ville est parcourue en long et en large, dans ses cafés, ses rencontres, sa nuit se révèle la noirceur désenchantée, souvent violente, d’un monde déglingué, dont les acteurs sont pris malgré eux dans ses rouages et rêvent pourtant d’une seule chose, de calme, de bonheur, d’amour et de sérénité. Ville étouffante et ville refuge, Barcelone est grouillante, proche et à distance, comme Alex. À l’image de l’avant-dernier chapitre, quelque chose nous échappe sans cesse, quelque chose pourtant qui nous poursuit aussi : difficile de refermer le livre sans être peuplé de visions et de voix. On devine dans l’écriture de Zanon, et ce malgré ou grâce à la traduction, fluide et précise d’Adrien Bagarry, le poète : le rythme des phrases qui joue avec celui de la ville et des personnages, le flot d’un langage populaire qui sonne comme un refrain sourd et entêtant, la simplicité des évocations prosaïques mêlée à la complexité des dédales psychologiques. Barcelone sue, baise, saigne : toute la matière de l’homme est dans la ville.

Au milieu de toute cette noirceur, une lueur cependant dans le personnage de Jamila, la sœur de Tiffany. Un léger regret ici aussi : que ce personnage ne soit pas un peu plus présent. Elle demeure écrasée par sa sœur, énervante, « méchante », manipulatrice – la légère faille du roman, c’est d’ailleurs peut-être cette Tiffany, dont le passé douloureux est très, trop attendu et qui n’apporte rien, sinon une explication assez convenue à son comportement, explication dont ne bénéficient pas les personnages masculins – mais Jamila est la seule note d’espoir du roman, le seul sourire dans une Barcelone qui se réveille avec une sacrée gueule de bois.

Découvrir un extrait et la playlist associée au roman sur le site d’Asphalte.

Envie de découvrir un autre ouvrage publié chez Asphalte ? Lisez la critique de Barcelone Noir par Paul Art !

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