#19-« Liberté, égalité, fraternité, mariage gay » : entretien avec un membre de l’association SOS Homophobie

21 novembre 2012
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Dire que le débat fait rage autour de la question du projet de loi sur le mariage pour tous serait enfoncer une porte ouverte… Quoi qu’en disent certains, le débat est bien en train d’avoir lieu au sein de notre société et dans les médias (en témoigne par exemple les discussions régulières consacrées à la question dans l’émission matinale du « 7/9 » de France Inter, et donc au sein du service public). Parce qu’il suscite autant d’émotions aussi bien du côté des opposants que des partisans du projet de loi, il amène à réfléchir à la notion du « vivre ensemble » et à faire un point sur la société française, son histoire passée, actuelle et sur la direction qu’elle souhaite prendre. Cette question finalement ramène à notre devise, « Liberté, Égalité, Fraternité », cette devise qui est intrinsèquement liée à notre identité française, à nos propres yeux comme hors de nos frontières. Une devise qui se retrouve malmenée et piétinée ces derniers temps, notamment par les opposants les plus violents au mariage gay. Difficile alors de ne pas parler d’homophobie et de discrimination. Face à cette violence (physique et verbale) et cette incompréhension, j’ai voulu donner la parole à Adel, membre de l’association SOS Homophobie.

Tu fais partie de l’association SOS Homophobie, créée en 1994 et basée à Paris. Peux-tu nous en dire plus sur cette association, son fonctionnement et ses objectifs ?

SOS Homophobie se bat contre la discrimination faite aux personnes LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres) et, plus largement, contre toute forme d’exclusion. Cette lutte passe par un premier outil : une ligne d’écoute anonyme qui a pour but d’aider et de conseiller les victimes d’homophobie, qu’il s’agisse d’agression physique, de harcèlement moral, de problèmes de discriminations au travail, etc. Cette ligne d’écoute est très importante parce qu’elle nous permet de rassembler les témoignages et produire des chiffres sur l’état de l’homophobie en France. L’association publie chaque année un rapport qui permet de prendre la mesure de la discrimination homophobe dans notre pays.

Autre outil important, et dans lequel j’essaie d’investir de mon temps : ce sont les IMS (Interventions en Milieux Scolaires). Le principe : pendant deux heures, deux intervenants de SOS Homophobie rencontrent une classe (de la sixième à la terminale) et tentent de déconstruire les préjugés des élèves, d’établir un débat et un dialogue, d’apporter des réponses aux questions que les élèves peuvent se poser sur ce sujet. L’idée principale, c’est de leur faire comprendre que peu importe les opinions personnelles de chacun concernant les personnes LGBT, la discrimination est d’une part illégale, et d’autre part injustifiable.

Le travail sur le terrain, au contact avec les gens (et les jeunes plus particulièrement), est en effet le meilleur moyen de prévenir l’homophobie et de lutter contre les préjugés et l’incompréhension. Peux-tu partager un peu avec nous ton expérience en la matière ?

J’ai rejoint l’asso il y a un peu moins d’un an, donc je n’ai pas encore beaucoup d’expérience sur ce point. J’ai observé quelques interventions et je démarre tout juste en tant qu’intervenant autonome. Avant d’entrer dans une classe c’est à chaque fois la même chose : une certaine nervosité, un peu d’appréhension, de l’excitation aussi, puis on commence à parler et tout se met en place.

Très vite on se rend compte combien de façon générale les jeunes générations sont beaucoup plus à l’aise avec le sujet de l’homosexualité que lorsque j’étais moi-même lycéen, le tabou est rapidement brisé ; même si ça varie, il y a toujours des fois où certains jeunes vont se braquer et soutenir que tout ça « n’est pas bien ». Mais dans la plus grande majorité des cas, du moins dans les interventions auxquelles j’ai participé, la discussion est apaisée et on sent bien qu’ils ne sont pas encore figés dans une pensée, une vision des choses, et qu’ils sont ouverts à la réflexion. On essaie un maximum de leur donner la parole pour qu’ils puissent formuler par eux-mêmes des arguments contre l’homophobie.

Si je devais choisir un souvenir en particulier, ça serait celui de ma première observation, dans un collège des quartiers nord de Marseille. On était arrivé à un moment de l’intervention où l’on essaie de réfléchir au sens réel des insultes. Dans ce cas-là, ce n’était pas centré sur les insultes homophobes, mais sur celles que l’on peut balancer à un homme et à une femme en général ; on voulait démontrer le lien entre sexisme, misogynie et homophobie. Pour faire bref, on demande à la classe quelle est la différence entre deux insultes qu’ils nous ont proposées, c’est-à-dire entre « pute » et « salope ». On leur demande la différence entre les deux et ils répondent : « L’une fait payer pour des rapports sexuels, et l’autre fait ça pour le plaisir ». On leur demande lequel des deux est le pire, et là, un peu à l’unisson, la classe répond : « Beh la salope, puisqu’elle fait ça pour le plaisir ». J’étais au fond de la salle, j’observais, et à côté de moi il y avait un élève, le genre d’élève pas méchant mais fauteur de troubles, qui se murmure à lui-même : « Mais, est-ce qu’on peut insulter quelqu’un parce qu’il fait un truc pour son plaisir ? » Je voyais qu’il avait comme fait une découverte. Sa surprise a été la mienne, c’est un moment qui m’a fait me dire que ça valait le coup d’aller voir tous ces jeunes et de leur parler. Ils ne demandent qu’à être entendus.

©Photo prise par la maman de l’un des deux garçons du couple

Depuis que le gouvernement a annoncé son projet de loi sur le mariage pour tous, on assiste à un vrai débat dans notre société. Ce qui est une bonne chose en soi. Mais on entend en même temps un peu tout et n’importe quoi sur la question, et les arguments contre le projet de loi ne volent souvent pas bien haut. Qu’est-ce qui te hérisse le plus dans ce brouhaha actuel ?

Comme tu le dis, le débat est une bonne chose ; le problème survient lorsque l’argumentaire du camp d’en face sous-tend une logique discriminante, et ce même si dans ce camp on trouvera toujours des personnes de bonne foi. Cet argumentaire se résume souvent à ceci : « Nous ne sommes pas homophobes, nous considérons les personnes homosexuelles comme des gens tout à fait normaux, mais le mariage doit leur rester inaccessible ». Il y a là une hypocrisie énorme, tout réside dans ce petit « mais ». Si réellement on considère les homosexuels comme des citoyens ordinaires, ils devraient pouvoir avoir les mêmes choix et les mêmes droits que les autres citoyens. On entend beaucoup d’énormités, mais ce qui me fait le plus réagir c’est cette hypocrisie ordinaire, à la manière d’un certain racisme latent, cette prétention à la tolérance qui ne vise au final qu’à cacher, pire, qu’à présenter comme acceptable l’idée qu’il peut y avoir des catégories différentes de citoyens, ce qui est profondément incompatible avec l’esprit de notre république. À moins que je n’aie rien compris aux leçons des politiques et que l’on vive effectivement dans une république à multiples vitesses.

Du coup, c’est ça qui m’est le plus intolérable. Ce pseudo-débat, qui n’est rien d’autre au final qu’une contestation unilatérale (on voit bien à la manière dont ont été traitées les membres du Femen à Paris ce weekend qu’il n’y a pas de discussion apaisée possible), montre combien notre société traite les sujets différemment les uns des autres. Par exemple, il y a quelques jours le brouhaha est monté en puissance, on a entendu des officiels de l’Église appeler à la manifestation et des politiques expliquer que l’Église a un point de vue humaniste qui devait peser. Là, je me suis dit qu’il y avait un véritable problème.

©Olivier Ciappa

Effectivement, ces réactions finissent par brouiller le débat autour du projet de loi en lui-même, puisqu’il ne concerne que le mariage civil, et non le mariage religieux.

Oui, c’est un glissement qui est particulièrement révélateur, je pense. Quand l’Église mobilise contre le mariage pour tous, la classe politique, et notamment celle de droite, s’offusque beaucoup moins de l’atteinte à la laïcité que ça peut constituer que lorsqu’il est question d’ »Islam ». Ce qui me hérisse le plus, c’est de voir combien ce sujet révèle des paradoxes, des hypocrisies et des doubles langages, qui stigmatisent toujours les mêmes, c’est-à-dire les minorités, toutes les minorités.

Aux États-Unis, les défenseurs du mariage gay ont créé des parallèles entre leur lutte actuelle et celle de la communauté afro-américaine dans les années 50-60. Ils font valoir que ce qui était à l’époque considéré comme inacceptable et immuable (l’égalité des droits pour les Afro-Américains) fait à présent partie de la norme. Trouves-tu ce parallèle bienvenu ?

Oui, c’est un parallèle très pertinent. À mon avis, cette stratégie est difficilement applicable à la France. Cette culture de lutte pour des droits par les minorités elles-mêmes serait très mal vue en France, et le gros mot « communautarisme » ne serait jamais très loin. Ce qui, encore une fois, est une hypocrisie au regard de la situation qui entoure le mariage pour toutes et tous. Qui constitue le cœur de la contestation à la loi ? Le camp d’en face, comme je l’ai appelé, regroupe certes beaucoup de tendances et de mouvements, mais il est principalement « catho-centré ». Pour moi, il n’y a absolument aucun problème à ce que les catholiques manifestent contre cette loi. Ils ont le droit de le faire tant que ça reste sans débordements, et je suis conscient qu’ils n’expriment pas l’opinion de tous les catholiques. Là où je m’insurge, c’est contre les politiques qui instrumentalisent les luttes des uns et stigmatisent les autres. En faisant ça, ils créent un modèle communautaire et inégalitaire, là où la loi française soutient un modèle unitaire et indifférencié, où les citoyens sont tous égaux, point final. C’est en ce modèle-là que je crois.

Retrouvez SOS Homophobie sur son site (http://www.sos-homophobie.org/) et sur Facebook.

Ligne d’écoute anonyme (lundi au vendredi 18h-22h ; samedi 14h-16h ; dimanche 18h-20h ; écoute jusqu’à minuit tous les premiers lundis du mois) : 0 810 108 135 (N°Azur) ou 01.48.06.42.41

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