#Étés 2012 – Je bande donc je suis: Nietzsche, ou les figures de la femme (1)

1 juillet 2012
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« A supposer que la vérité soit femme, n’a-t-on pas lieu de soupçonner que tous les philosophes, pour autant qu’ils furent dogmatiques, n’entendaient pas grand chose aux femmes et que l’effroyable sérieux, la gauche insistance avec lesquels ils se sont jusqu’ici approchés de la vérité ne furent que des efforts maladroits et mal appropriés pour conquérir les faveurs d’une femme ? »

La préface de Par delà bien et mal s’ouvre ainsi sur une figure à double titre énigmatique : celle de la femme.

Pourquoi, à double titre ? D’abord dans la mesure où elle est convoquée pour déjouer le piège des attitudes « dogmatiques » qui, croyant saisir la vérité, n’ont finalement à cœur que d’enfouir celle-ci sous le pseudo-savoir des assertions invérifiables (les énoncés métaphysiques qui postulent l’existence d’un « arrière-monde » invisible ou celle de Dieu, par exemple). Ensuite, parce que le choix de cette figure elle-même et de l’ensemble de la métaphore séductive qui s’organise à partir d’elle, ne laisse pas d’étonner. Comment ? Les philosophes (en tout cas ceux que Nietzsche qualifie de « dogmatiques ») ne seraient donc que de pauvres amants malhabiles dès lors qu’ils prétendraient détenir, dans leurs rets théoriques et rhétoriques, la vérité ? Pour comprendre Nietzsche, et peut-être éviter certains contre-sens, force est de souligner le caractère par lui-même douteux de toute vérité ?

« Cette volonté inconditionnée de vérité, qu’est-elle ? Est-ce la volonté de ne pas être trompé ? Est-ce la volonté de ne pas tromper ? (…) « Volonté de vérité », cela pourrait être une secrète volonté de mort. » (Le Gai savoir, §344)

Dès lors le recours à la figure féminine peut s’entendre de deux façons distinctes et néanmoins complémentaires. D’une part, elle permet à Nietzsche de souligner le ressort psychologique de toute aspiration à la vérité ; ressort psychologique qui constitue un premier niveau généalogique dans lequel toutes nos prétendues aspirations à l’objectivité n’ont finalement d’ancrage que dans le sentiment incontrôlée de la peur (peur de se tromper, peur et tentation de tromper). Cette peur, est au fond le fondement réel de nos conduites : la femme est alors une tentation dangereuse à laquelle le philosophe aspire.

D’autre part, il faut prendre à la lettre l’ambiguité foncière de cette féminisation du savoir. A la lettre, c’est-à-dire en insistant sur le syntagme grec qui veut qu’ a-lethéia, que traduit « vérité », signifie (la leçon de Heidegger sur le sujet est désormais un quasi lieu commun philosophique) « Dé-voilement ». Partant, « si la vérité est femme », il faut « voir » en elle ce qui est en un sens quelque peu invisible : ce qui est caché (voilé) et qui dans une érotique maîtrisée du savoir philosophique se doit d’être appréhendé comme ce qui est d’abord pressenti plus que saisi, sous le visible qui s’offre à l’évidence.

La conséquence quant à la compréhension de la figure de la femme d’une telle conception est peut-être importante quant au situs conceptuel du féminisme actuel : à proprement parler, en effet, il est impossible de poser l’idée d’une quelconque substance de la femme. Celle-ci n’est en effet ni ceci ni cela : elle est une hypothèse ( « A supposer… ») à partir de laquelle se libère l’espace du possible en termes de savoir. Dire qu’à la femme seraient dévolues, en vertu de son « essence », telle ou telle tâche, telle ou telle comportement ou manière d’être, serait précisément retomber dans le piège du dogmatisme qui rigidifie et réifie des êtres pour en faire des normes de manière d’être (« Tu dois être ceci »). A contrario, si la femme est d’abord et avant tout figure du dévoilement de ce qui est, ce qui importe alors en elle est moins ce qui se découvre, que ce qui demeure caché et insaisissable ; à proprement parler in-définissable (la définition organisant les frontières – la fin- de ce dont elle est définition).

On comprend alors pourquoi le philosophe dogmatique est à ce point un séducteur maladroit : l’équivalent du dragueur ringard et peut-être misogyne, incapable de s’apercevoir que ses idées toutes faites sur les femme ou la prétendue « substance » éternelle de la femme lui fait manquer le réel et constitue déjà son désir en délire pseudo-savant, pseudo-informé (« vous, les femmes »…).

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