#14-Grossesses « nature » : l’expérience de Sophie

14 mars 2012
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L’idée d’en savoir un peu plus sur ce qu’est une grossesse dite « nature » est venue suite à la lecture de quelques passages que j’ai trouvé plutôt violents dans l’ouvrage d’Odile Buisson, Qui a peur du point G ? – et pourtant je n’avais pas d’avis tranché sur le sujet et n’ai jamais été enceinte !
Dans mon entourage, deux mamans ont accepté de me parler de leur conception de la grossesse « nature » : Amandine et Sophie. Leurs témoignages, très riches, se complétant bien, j’ai choisi de séparer les deux entretiens, qui reposent sur un même principe : déconstruire quelques clichés et y voir plus clair dans cette histoire de grossesse « nature » (petite précision : les clichés formulés ne sont pas des extraits de l’ouvrage d’Odile Buisson, même si, dans leur contenu, ils se rapprochent de ses critiques).
Voici celui de Sophie.
Sophie est enseignante et elle est la maman d’une fille et d’un garçon. Sa première grossesse fut normalement médicalisée, mais la seconde plus « nature » : c’est cette double expérience qu’elle a bien voulu partager avec nous.

Comment définir en quelques mots une grossesse et un accouchement « nature » ?

Pour moi une grossesse « nature » c’est une grossesse vécue naturellement, c’est-à-dire pas comme une pathologie traitée par le corps médical. Je ne sais plus combien de rendez-vous j’ai eu pour ma première grossesse, pas moins de dix je crois, sachant que ma grossesse se déroulait « normalement ». Chaque rendez-vous était l’objet d’angoisses et de frustrations, on m’infantilisait : ils étaient les spécialistes de la grossesse, ils savaient, pas moi.
J’ai souvent entendu des phrases aberrantes en réponse à mes questions: « vous verrez bien », « laissez-nous faire », « c’est comme ça », « c’est le protocole », « c’est le gynéco qui décide » et la meilleure : « parce que »…
- Comment je saurais si j’ai des contractions?
- Quand vous en aurez, vous le saurez!
- Je préfère ne pas avoir d’épisiotomie.
- C’est pas vous qui décidez…

Ça et les imprécations, les menaces, les jugements.

Pour ma deuxième grossesse, je me suis retrouvée tout bonnement incapable de « subir » un suivi classique, je voulais une grossesse « naturelle », c’est-à-dire tout simplement humaine, qui considère la santé de mon bébé mais aussi la mienne, qui me considère comme être humain, comme adulte mais aussi comme femme et comme mère.
J’ai opté pour un suivi régulier mais minimaliste, non intrusif (refus du toucher vaginal notamment, qui est une spécificité française. Les gynécologues se plaisent à dire que c’est la seule manière de vérifier le col parce qu’une femme ne sait pas s’il s’ouvre : c’est faux, une femme qui s’écoute sait).

© Luise Y.

Cliché 1.
Accoucher sans péridurale, c’est insupportablement douloureux. Il faut être maso pour s’imposer ça.

C’est ce que je croyais aussi et pour cause, de l’accouchement on ne m’avait dit que deux choses : « Ça fait maaaaaaaaaaaaaallllllll » et « Mais quand tu tiens ton bébé, tu oublies tout ». Pour moi les deux sont fausses.

Mon premier accouchement a eu lieu un mois avant terme. Il a été rapide : j’ai demandé la péridurale mais la nature a été plus rapide que l’anesthésiste. J’ai été submergée par la violence des contractions et me suis retrouvée comme anesthésiée naturellement. Dès que j’ai commencé à pousser, je n’ai plus rien senti. Mais je n’ai pas oublié, les injonctions de la sage-femme, ni ce « Mais poussez mieux, vous l’aidez pas là, vot’ bébé » qui m’a tant blessée…

Pour mon deuxième accouchement, j’ai choisi de ne pas avoir de péridurale puisque je savais être capable de faire sans et je voulais être actrice de mon accouchement. Je ne voulais plus qu’on m’accouche, je voulais accoucher.

Il n’est pas question de masochisme ! La douleur n’est pas la même pour toutes simplement. Un simple mal de tête et une migraine, ce n’est pas pareil, on ne blâme pas celui qui prend un antalgique parce qu’il souffre, pourquoi blâmer celui qui n’en prend pas parce qu’il sait que « ça va passer ».

Cliché 2.
L’accouchement « naturel » représente une prise de risque par rapport à un accouchement classique très médicalisé.

Un accouchement naturel peut très bien avoir lieu sous surveillance médicale. Surveillance ne veut pas dire intervention. Pourquoi intervenir si tout se passe bien ? Le médical entraîne souvent une médicalisation en chaîne : dès lors qu’on pratique un acte, souvent d’autres suivent. Un accouchement, s’il n’est pas pathologique, n’est pas « risqué ».

Cliché 3.
L’hypermédicalisation de l’accouchement a pour unique but le bien des femmes et des bébés. Refuser cela, c’est se comporter en gamine pourrie gâtée.

Le mot gamine est intéressant. Je n’ai jamais été aussi infantilisée qu’enceinte. C’est une violence qu’on m’a faite. On me répondra que j’exagère, que le mot est fort, que si les médecins n’avaient pas été là, je n’aurais sans doute pas mes enfants. C’est évident : avant le tout-médical on n’avait pas d’enfant… Oui dans certains cas, l’hypermédicalisation sauve des vies, dans d’autres elle est inutile. Les femmes enceintes s’effacent pour le bien du bébé, elles acceptent « pour le bébé ». On pratique encore souvent certains actes médicaux sans prévenir la patiente, mais comme c’est « pour le bébé », elle ravale sa colère/ sa pudeur/ sa fierté : le décollement des membranes ou « déclenchement » par exemple, parfois pratiqué sans rien dire, à l’occasion d’un contrôle… Personnellement ça me choque : c’est comme si vous alliez faire un contrôle chez le dentiste et qu’il vous arrachait une dent sans vous demander votre autorisation avant…

Cliché 4.
Accoucher sans péridurale, c’est une régression pour la femme, c’est anti-féministe.

Ce qui est anti-féministe, c’est de dire à la femme ce qu’elle doit faire comme si elle ne pouvait pas penser par elle-même. Si une femme souhaite sentir la naissance de son enfant, si elle souhaite l’allaiter, le porter, utiliser des couches lavables, lui fabriquer des purées, qu’elle le fasse ! Si elle souhaite accoucher sans aucune douleur, utiliser une poussette, utiliser des couches jetables, acheter des purées qu’elle le fasse ! Et si elle veut mélanger les deux ? La vraie régression, le vrai anti-féminisme, c’est de penser que les femmes sont toutes les mêmes et qu’elles doivent toutes être mère de la même manière.

Cliché 5.
Vouloir accoucher « naturellement », c’est refuser le progrès et la science. C’est totalement rétrograde.

Si on pouvait se nourrir de pastilles couvrant tous nos besoins nutritionnels, renoncerions-nous pour autant à une bonne côte de boeuf-frites-verre de Bordeaux?
De nos jours, on ne transmet plus de l’accouchement que l’idée de douleur, mais il y a du bonheur à donner naissance à son enfant, à l’aider à venir au monde, à être le premier à le toucher, à l’accueillir.

La douleur n’est rien à côté de ce sentiment de puissance…

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2 Responses to #14-Grossesses « nature » : l’expérience de Sophie

  1. maelle
    16 mars 2012 at 12 h 39 min

    Totalement d’accord avec ce qui a été dit. Mais il y a d’un côté les médecins qui se prennent pour Dieu, et d’un autre la peur ancestrale qui reste liée aux risques de l’accouchement. Aujourd’hui tout peut se faire « naturellement » parce qu’il y a, en cas, une aide vers laquelle se tourner si besoin est. L’idéal serait un juste milieu, laisser la femme gérer mais avec de l’aide et une intervention si elle le ressent nécessaire… Pour ma grossesse, beaucoup d’angoisses, mais justement parce que je ne l’ai pas trouvée assez médicalisée. Suivi en Angleterre, justement, grossesse gémellaire avec possibilité de risque de STT. en France, de nombreuses (toutes les 2 semaines) échographies sont recommandées (pas toujours suivies mais bon…) pour surveiller un éventuel développement de ce problème. Ici j’ai dû le réclamer à plusieurs reprises. C’est un problème qui peut se développer très (trop) rapidement et qui entraîne, s’il n’est pas pris à temps, le décès d’un ou des deux jumeaux… Donc où est le juste milieu?

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