Chère lectrice, cher lecteur,
Lorsque j’ai découvert le thème de ce numéro, une association d’idées aussi infernale que le Grand 8 de Palavas-les-flots a vu le jour dans mon esprit, engloutissant ce dernier dans les labyrinthes les plus infâmes du Désespoir-avec-un-grand-D. Vintage ! Vintage ! Friperie ! Vieillerie ! Temps qui passe ! Vieillesse… Vieillir. Une conversation lointaine a alors jailli fielleusement des méandres tortueux de mon cerveau : j’avais 18 ans et me trouvais à l’entrée d’un complexe de boîte de nuit, prête à en découdre avec le dance-floor. Une de mes top-mega-cops-à-la-vie-à-la-mort-les-filles-d’abord-big-bisou-bien-baveux m’a proposé d’aller au Palace :
- Haaaaaaaaaaaaa ! Non ! C’est une boîte de vieux, ils ont tous au moins 25 ans là-dedans, ai-je répondu outragée, façon jeune pucelle agressée par des propos orduriers.
Oui, j’ai proféré cette ignominieuse affirmation. Et maintenant, « ô rage, ô vieillesse ennemie », comme dirait l’autre vieille peau d’un ton tragique, ayant dépassé la vingtaine, cette phrase me revient en pleine face, telle un boomerang ultra perfectionné de Tortue Ninja, me précipitant au fond du gouffre du trou de l’angoisse de prendre de l’âge. Mais je n’en suis pas à mon premier coup de vieux, crois-moi. Tout a commencé une nuit de pleine lune, en automne, alors que la ville était profondément endormie…
Je me trouve au cœur d’un rêve absolument extatique : un gargantuesque chariot de fromages affinés roule, roule, roule en une course effrénée et passionnée jusqu’à moi puis stoppe net face à mon corps secoué de frissons délicieux. C’est le coup de foudre Shakespearien : Roméo and Juliette peuvent aller se rhabiller. Mon palpitant frémit devant tant d’attraits, mes narines se dilatent taurinement sous l’effet de l’odorant fumet. Je ne sais où donner de la tête : roquefort, brie, cantal, saint marcellin… Tout attise mon désir et mon ventre se noue en un spasme de pure délectation. Je me pourlèche les babines, tenaillée par l’envie insoutenable de croquer dans un vieux Pélardon bien sécos, approche une main tremblante d’envie quand soudain….
- Non, non, non, arrêêêêêêêêête !!!!!!! Tu vas me décoiffer !!!!!! Rends-moi ma clooooooooope !!!!!!
(Rire hystérique) (cri hystérique) (rire hystérique)
- Bon, d’accooooooooord, je te la rends mais on fait moit’ moit’ alors !
(Cri hystérique) (rire hystérique) (cri hystérique)
- Allez Titouan, laisse-la ! Fais pas ton relou !!!!!!
(Bruit de moteur) (Bob-Sinclar-à-fond-les-ballons) (rires hystériques) (extinction du moteur) ( re-Bob-Sinclar-que-quand-y-en-a-plus-y-en-encore)
Je me réveille en sursaut, quittant avec rage mon songe délicieusement fromager et réalise, outrée, qu’une abominable bande de djeuns vient de troubler mon rêve érotique mon repos dûment mérité. Lorsque je prends connaissance de l’heure : 2 heures du matin, un vilain rictus haineux se dessine sur mon visage enfariné. Telle une star du catch, je sers les poings à m’en faire blanchir les phalanges et couiner les articulations. NON, ça ne se passera pas comme ça. Je ne laisserai pas ces boutonneux-tendus-du-slip impunis. Je secoue doucement LHLV * afin qu’il se réveille et venge cet affront aussi efficacement que Oui-oui contre les gobeurs de son. Un grognement conclut ma vaine tentative. Je tente une tapette légèrement plus violente sans aucun résultat probant, si ce n’est un vague gargouillis couvrant une phrase ensommeillée et incongrue : « Des gougeons et des boulons ». Je subodore finement que je vais devoir vaincre seule, telle Pégase face au chevalier d’argent du lézard lors du 556ème épisode des Chevaliers du Zodiaque. Le feu sacré de la combativité entre en moi, ze eye of ze tiger‘s spirit me pénètre et je rejette d’un geste altier ma couette-double-plumetis-pour-des-nuits-sans-soucis.
Je me dirige impétueusement vers le balcon, ma robe de chambre virevoltant, fouettant mes mollets comme une cape Supermanienne et repère mes ennemis : trois boutonneux de 18 ans, armés de Kro, appuyés sur une Super 5 remasterisée à la sauce tuning. Les petits saligauds…. Déchaînée, désespérée par la perte de mon Pélardon, me sentant super menaçante, presque autant que la nana de l’Exorciste quand elle tourne la tête à 360 degrés en insultant le père Machin, je décide d’attaquer vigoureusement :
- Hooo ! Vous pourriez pas dégager plus loin pour hurler, les merdeux ? Il est deux heures du matin. Y’en a qui travaillent demain, hein, j’vous signale ! Non mais !
Je suis hyper satisfaite de ma pointe ultra cinglante et souris avantageusement (si c’est possible avec un chouchou rose dans les cheveux et un pyj à l’effigie de Snoop doggy dog Snoopy). L’armée du Réveil Nocturne Relou me fait face, prête à en découdre. Le silence s’installe (même Bob Sinclar la ramène pas). Lucky Luke face aux Dalton, c’est moi. La tension est insoutenable-que-si-on-avait-des-spectateurs-ils-se-rongeraient-les-ongles-à-s’en-faire-morfler-les-articulations. J’ai presque envie de siffloter un air de western, histoire de fignoler l’ambiance mais m’abstiens, me concentrant à fond sur mon lancer de regard-de-la-mort-qui-tue. Soudain, l’un d’eux (le chef, je suppose) me répond dédaigneusement :
- Ok, la vieille, pas la peine de s’affoler comme ça. On bouge !
Immédiatement, ils s’enfournent tels des petits pains dans leur voiture et filent prestement.
J’ai gagné à la pointe de ma langue acérée, d’un coup d’un seul, ze eye of ze tiger, ze power of ze Big Phèdre….Mais ma joie tombe comme une chiure de pigeon Montpelliérain. Une question me taraude : La « vieille », MOI ? Mais je n’ai QUE 29 ans ! Je tente de me rassurer en jetant un œil sur ma robe de chambre ayant probablement joué un rôle majeur dans la sinistre appellation donnée par le chiard et me rends au frigo que je fouille consciencieusement à la recherche du fromage de mes rêves quand je réalise soudain avec horreur que j’ai DEJA VECU CETTE SCENE ! Oui ! A Carnon-Plage, en dessous du balcon de Monsieur et Madame Coste qui nous avaient jeté, à mes amis et moi-même, une casserole d’eau sur la tronche parce que, je cite, nous braillions tels des gorets affamés en bas de chez eux. « Horreur, malheur », comme y disent dans la Salsa du démon : je suis devenue calife à la place du calife, vieux con à la place du vieux con.
Ne trouvant qu’un misérable Babybel à me mettre sous la dent, je me dirige tristement vers le lit, me promettant de bouger mon corps au rythme du son dance-floor au lieu de vociférer la prochaine fois que des boutonneux viendront faire la teuf sur mon parking.
Voilà, chère lectrice, cher lecteur, la triste histoire de mon premier coup de vieux. Je t’épargne le lugubre récit de la découverte de ma première ride « d’expression », ne souhaitant pas assombrir ton humeur, la déprime étant, c’est bien connu, hautement vieillessogène.
Je t’embrasse sans trop sourire (ça creuse les sillons) et te retrouve le mois prochain, si ma GPF* me le permet, pour de nouvelles aventures !
Glossaire Phédrien
* LHLV : L’Homme Le Vrai
* GPF : Grande Ponte finale… Accouchement, quoi.
Merci pour cette anecdote. Je me sens un peu moins seule. Il m’est arrivé la même chose il y a deux mois. 3h du matin, gloussements de jeune fille en fleur manifestant ainsi son désir face à deux rires gras de deux chevaliers servants. Parade nuptiale en somme… Cadeaux offerts à la dame de leurs pensées : « Tiens, une bière… » « Tu veux une clope » (le 2nd, ne voulant pas rester sur la touche). Questions métaphysiques : « La vie, c’est trop nulle. Oh p.., quand je pense que demain, je vais devoir aller en cours » Bruit entre l’éructation et le grognement animal pour exprimer l’accord.
Le tout suivi de chants : la jeune fille chante, les jeunes hommes séduits l’accompagnent…
Après une heure à me retourner, je me suis levée, ai ouvert ma fenêtre, mais non mes volets et ai hurlé « C’est pas bientôt fini, non ? »
La jeune fille m’a alors donné un conseil pertinent sur ma vie sexuelle.
Merci les filles !
Toujours un plaisir de mésaventurer pour vous !
Très drôle, j’ai eu beaucoup de plaisir à te lire. Sans compter que je me reconnais beaucoup dans ton anecdote : les voisins font la fiesta et l’homme dort malgré tout profondément… Il faut donc aller râler toute seule, et en peignoir de surcroît :)
C’est toujours un plaisir de lire tes aventures, Phèdre.
Tu dois être en manque de fromage pour en rêver ainsi la nuit ;-).
Allez, bonne raclette !
Bises.