#12-Je bande donc je suis. Martin Heidegger et Hannah Arendt : « Le savoir de l’amour »

15 janvier 2012
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C’est elle. Elle-même qui ce jour-là entra dans le bureau de Martin Heidegger, brillant professeur à l’Université de Heidelberg. Elle que le philosophe Hans-Georg Gadamer décrit : « La jeune fille toujours en robe verte qu’on ne pouvait manquer de remarquer. »
Elle est belle.
S’appelle Hannah Arendt.
Dix huit ans .
Heidegger en a trente-six.

Lui, si habitué à séduire ses étudiantes se sent vaciller : la jeune Hannah possède « une intensité, une direction intérieure [...] une façon d’aller au fond des choses qui répand autour d’elle une aura magique », ainsi que l’écrira plus tard son ami, Hans Jonas.
Nous sommes en 1925. Bientôt il l’appellera « sa muse », son « démonique ».
Pour l’heure, cet amour instantané qui nait entre eux, ne sourd, sous la plume de l’auteur d’Être et Temps (1929) que sous la forme compassée, prudente (Heidegger est marié) d’un échange qui trahit un vain effort de distanciation :

« Chère Mademoiselle Arendt,
il faut que je vienne ce soir encore auprès de vous, en m’adressant à votre cœur. Tout doit être simple, limpide et pur entre nous. Alors seulement nous aurons l’heur de nous rencontrer. Que vous ayez été mon élève, et moi votre maître, cela ne fut jamais que l’occasion propice à ce qui nous est arrivé… Quant à la voie que va prendre votre vie encore si juvénile, cela demeure en réserve. Qu’il nous suffise de nous plier à cette vie à venir. Ma loyauté envers vous vise uniquement à vous être de bon secours pour que vous demeuriez loyale envers vous-même. » (10 février 1925)

Hannah Arendt vers 1925

Cette distanciation n’est pas encore « l’amitié d’étoile » que Nietzsche appelait de ses voeux : amour paradoxal, ancré simultanément dans l’affirmation de l’autonomie affective et dans le refus de la soumission à et/ou de l’autre en tant qu’image subjective de la Nécessité, forme destinale et humaine de l’emprise.
Elle est pure prudence. Teintée d’un paternalisme fictif qui dessert avant tout la dissimulation de ce savoir de l’amour que Heidegger décrira au paragraphe 29 d’Être et Temps : un amour qui contrairement à l’item bien connu ne rend pas aveugle mais au contraire ouvre le regard ; déssillement et dé-voilement : autrement dit, rencontre avec la vérité, puisque selon l’analyse désormais connue du terme grec désignant la vérité, celle-ci est opération négative-positive de dé-voilement de ce qui est. Aléthéia, traduit par « vérité » se lit, en effet, en insistant sur le préfixe : alétheia, littéralement « non- oubli ». Elle est alors réminiscence au présent de ce qui toujours fut sous nos yeux et que nous étions incapables de voir : toute vérité est ainsi une « Lettre volée », au propre, comme au figuré.

Vérité qui transforme tout entier :

« Chère Hannah,
Pourquoi l’amour est-il d’une richesse sans commune mesure avec d’autres possibilités accordées à l’être humain, et un suave fardeau à ceux qu’il atteint, sinon parce que nous nous métamorphosons en ce que nous aimons tout en demeurant nous-mêmes ? » (21 février 1925)

Martin Heidegger vers 1925


Dix jours ont passé, qui ont suffit à l’émergence de l’émerveillement de cette découverte. Désormais, ils le savent tous deux, ils ne se quitteront plus.
La « métamorphose » du soi en l’autre n’est pas, ils le savent aussi, transitoire, épisodique. Elle constitue le premier moment de l’avènement réciproque de soi dans l’autre qui est une co-advenue au monde. Par elle, cette métamorphose se fait monde, configurée sous les aspects existentiels d’une question adressée au cosmos :

« Nous nous sommes reconnus tout entiers ou l’univers n’est qu’une vaste supercherie », écrira (ou plutôt proférera, puisqu’il s’agit de la transcription d’un cours sur Hölderlin donné en 1929) Heidegger.

C’est au fond le même défi herméneutique – celui qui clame l’injonction du sens et et de la signification au Cosmos et aux dieux perçus comme autant de sphinx indifférents – qu’exprimait le poète Aristophane dans ce passage célèbre du Banquet de Platon.

C’est elle.
Elle qui le savait.
Elle eut beau écrire à un ami, en 1950 :

« Heidegger ne semble pas s’être fait à l’idée que tout cela remonte à un quart de siècle . »

Elle non plus. Le temps n’est pas un rapport chronologique aux choses, mais un lien émotif aux êtres.
Elle le savait. Tout comme lui.

Et lorsque, en 1933, elle, juive, dut fuir la barbarie nazie tandis qu’il devenait Recteur des universités du Reich, ils savaient tous deux qu’en dépit de cela ils demeureraient unis. Plus tard, elle le défendra lors des procès de dénazification, comme si seule l’herméneutique de leur amour était à même de conférer sens à leur être-au-monde par delà la contingence et les errances de l’histoire individuelle, séparée.

Elle est morte.

1975.

Lui, un an après elle.

Cinquante ans plus tôt il lui écrivait :

« Tu m’as dit lors de notre première promenade que l’angoisse t’étreignait de ce qui pourrait advenir. Mais que pourrait-il encore advenir qui ne soit déjà advenu, et cela à jamais ? »

Cinquante ans plus tôt.

A jamais.

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3 Responses to #12-Je bande donc je suis. Martin Heidegger et Hannah Arendt : « Le savoir de l’amour »

  1. Paul Art
    10 février 2012 at 18 h 21 min

    Très bel article. Je trouve au contraire le style à la fois dense et limpide.

  2. Alithia
    15 janvier 2012 at 2 h 00 min

    (ne le prenez pas comme une critique gratuite, j’ai apprécié plusieurs articles de cette série)

  3. Alithia
    15 janvier 2012 at 1 h 59 min

    Je trouve ce texte inintelligible. Vous semblez savoir écrire, mais trop de style tue le style, ou en tout cas, tue le lecteur. Personnellement je ne retiens rien de très concret de cette lecture, bien que le sujet m’intéresse.

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