Cher lecteur, chère lectrice,
Cher lectrice, cher lecteur,
Cher lecteur,
Che…
Déstabilisant comme un fumet de chaussettes sales, un terrible doute m’assaille quant à la formulation à employer… Je ne voudrais commettre d’impair fatal dans ce numéro placé sous le signe du féminisme…
Féminisme, féminisme, féminisme…
Au sein de mon foyer aussi égalitaire qu’une tarte aux pommes coupée en quatre, ma moitié et moi-même partageons équitablement les tâches. Prenons un exemple : la corvée des courses : Un tour l’un, un tour l’autre, c’est l’jeu ma pauv’ Lucette. La semaine dernière, je devais me farcir l’achat du repas du soir. Après avoir essayé de feinter telle une crème-te-jurant-sur-la-tête-de-sa-mère-qu’elle-va-t’effacer-tes-vilaines-ridules-sous-yeux, et constatant le total manque d’attendrissement de mon compagnon face à mes viles manœuvres, je me plie de mauvaise grâce à l’exercice. J’enfile un vieux legging datant d’il y a des siècles et des siècles (et des siècles), une veste pelée comme le cul d’un vieux chat, fourre ma carte bleue dans une poche, ma fille La Terreur dans l’autre la voiture et file, armée de l’essentiel pour parer à nos besoins les plus essentiels : shopper une fondue.
Je pénètre dans le royaume de la consommation, poussant avec panache mon chariot sur lequel trône La Terreur qui lance des « Cacas » enflammés au public en délire et pilote habilement mon bolide en direction du rayon Cholestérol. Je m’empare avidement d’une préparation pour fondue et d’une fournée de charcutaille 100% Real Pig. M’approprier ces joyaux gastronomiques me met en joie et j’esquisse presque un pas de bourrée auvergnate au rythme de Radio Monop’. Le boucher, l’œil bovin, contemple mon sourire Colgate ultra bright épanoui et hausse les épaules, affligé. Je m’en tamponne le coquillard : comme dans le monde merveilleux des Bisounours, rien ne pourra briser mon allégresse.
La Terreur participe à l’euphorie maternelle et croque vaillamment dans le pain destiné à être voluptueusement trempouillé dans la mixture fromagère. Tout ça, bien sûr, lui donne soif et on fait péter la bouteille de Volvic. Armées jusqu’au bout des ongles pour une soirée calorique à souhait, nous entamons la longue, longue file menant au paiement des victuailles savoureuses.
Au moment de régler, je dégaine promptement ma carte bleue et l’introduit dans le lecteur, sous les vociférations de ma fille qui veut s’en emparer et déjà entrer dans le monde impitoyable de la dépense. Je la calme vite fait, bien fait, usant de ma GAMQFPMFCQM (Grande Autorité Maternelle Que Faut Pas Me Faire chier Quand Même) et me tourne vers le lecteur… Le monde s’effondre, le sol croule sous mes pieds, le ciel me tombe sur la tête, le soleil se planque derrière de monstrueux nuages annonçant une catastrophe imminente… Bref : Carte périmée, veuillez reprendre votre carte.
Carte périmée. Périmée comme un vulgaire yaourt à la cerise au fond du frigo (c’est toujours la cerise qui trinque, c’est dégueu). Comme un vulgaire mouchoir souillé de morve enfantine. Comme la flopée d’œufs de poules que ma propriétaire tente de me refourguer à tout prix, histoire de s’en débarrasser.
La caissière, détendue, me propose évidemment de régler les articles avec un autre moyen de paiement… que je ne possède pas puisque j’ai quitté la maison « une main devant, une main derrière », comme dirait ma marraine Ghislaine.
- Il faut impérativement régler les articles à moitié consommés, qu’elle me sort, l’air pontifiant.
Forcément, je me doute qu’ils vont pas reprendre un pain à moitié gloutonné et une bouteille d’eau suçotée.
Je suis dans l’impasse, et vis la vie d’un pauvre chien errant traqué et aux abois. J’envisage bien de payer en nature, mais la caissière n’a pas l’air particulièrement séduite (rapport à ma veste pelée, je pense).
J’explique donc piteusement que je n’ai pas d’autre moyen de paiement. Mais soudain : Illumination Optimiste et Merveilleuse ! Peut-être ma voiture-déchargesque m’offrira-t-elle quelques pièces planquées sous les sièges pour régler la modique somme de 2 euros 40 qui me paraît à ce moment-là monstrueusement élevée ? La caissière accepte que j’aille farfouiller mais exige de garder ma fille en otage. Je laisse douloureusement la Terreur qui glougloute de plaisir et me dit au revoir en ricanant, cours piteusement à mon caisson roulant. Ma fouille minutieuse ne me rapporte qu’une vieille Croustille au fromage aussi ramollo que mes abdos, une fourchette ( ?) et un pv rageusement froissé.
Lorsque je reviens, les épaules affaissées et l’air misérable, je retrouve ma fille en grande conversation, gratifiant les gens de : « Poc Poc » et de « Tagada, tagada ».
J’annonce piteusement ma défaite à la caissière et tente de faire abstraction des visages bouffis de colère, des regards outragés des clients et du mec qui tapote furieusement sur la caisse, me faisant bien saisir le message (pourtant muet) suivant : « Pauv’ meuf ! ». Je crois même entendre une mémé moustachue murmurer un vibrant : « Mais quelle honte ! Avec un enfant en plus ! ». Je lui répondrais bien : « Mais quelle honte ! Avec une moustache en plus ! », mais m’abstiens, me souvenant que dans toute situation périlleuse, montrer un échantillon de sa bonne éducation peut constituer un atout non négligeable.
Les justifications les plus folles envahissent mon âme : « Ma CB est périmée car j’ai commandé une Gold / Ma CB est périmée car ma banque a fait faillite et a clôturé les comptes du jour au lendemain ! Vicieux, non ? / Il s’agit d’un dysfonctionnement de votre lecteur, appelez-moi la direction, et laissez-moi vous dire que c’est une honte ! / Je perds les eaux ! Urgence, urgence ! »….
Mais je me contente de demander, si je peux passer un appel : comme tout condamné, j’y ai droit, merde. Je vais appeler mon homme. Il va faire irruption et me sauver héroïquement de cette situation. Peut-être même qu’il portera un habit ultra moule-boules comme Spiderman. Ou un bonnet avec deux petites oreilles à la Batman. Ce serait fun…On s’envolerait tels des princes vers de nouveaux horizons… Mais mes mains fiévreuses ne rencontrent que le fond de ma poche aussi aride qu’un apéro sans pastis. Je n’ai pas mon téléphone. Que vais-je devenir ? Vais-je subir le même destin que Jean Valjean pour un vol de pain ? Ma fille va-t-elle pouvoir m’accompagner en cellule ou devrais-je l’abandonner aux mains d’une enseigne de la grande distribution ?
J’implore humblement la caissière de me laisser aller à l’accueil passer mon appel. Suspicieuse, elle appelle le vigile qui m’escorte jusqu’à la gentille hôtesse d’accueil qui me prend en pitié (j’ai en effet choisi d’ouvrir ma veste et de dévoiler mon ventre de pauvre femme enceinte, histoire de susciter un peu d’attendrissement et de me créer une image de femme en détresse). Là, mes doigts tremblants composent le numéro de mon père qui me donne le numéro de mon frère qui me donne le numéro de mon mec (ben oui, quoi, je connais par cœur le téléphone de mon papa, pas celui de mon homme : vous allez pas m’intenter une thérapie pour ça, hein…).
En attendant que l’on vienne me libérer, j’ai erré comme un vendeur de beignets à Carnon plage.
Cette aventure, cher lecteur, chère lectrice, m’aura au moins appris une chose que je souhaite partager avec toi : un steak 5% de matière grasse coûte plus cher qu’un steak 10% de matière grasse. C’est ce que j’ai appris en analysant pour la quatrième fois le rayon boucherie.
Retiens de cette misérable aventure cet adage :
Dans les magasins,
Tu ne boulotteras point,
Et t’armeras de multiples moyens de paiement,
Afin d’esquiver moult emmerdements.
Sur cette leçon de sagesse, je te quitte jusqu’au mois prochain,
Bises.
j’adoooore! On est vite pris dans ton épopée au supermarché! … bravo, bravo !
Très bien raconté : j’ai beaucoup ri ! :)
Excellent! que ne ferait-on pas par amour de la fondue? mdr