Chère lectrice, cher lecteur,
Je voudrais ce mois-ci t’entretenir des moments qui « réveillent en toi le tourbillon d’un vent de folie », comme disait Début de soirée, illustre groupe des années 80 au talent résolument incontestable. Tu as immanquablement un jour hésité entre raison et démence : dois-je acquérir cette chemise aux imprimés Spidermanesques sur fond de toiles d’araignées OU me contenter de cette blouse bleu marine ? Vais-je hurler un colossal « Nique ta mère » à la Joey Starr au régiment familial lors du repas de Noël OU engloutir dans un silence presque religieux la traditionnelle dindasse aux marrons ? Avouerais-je à mon chef avant une éventuelle augmentation que son haleine pestilentielle de chat nourri au whiskas double-thon m’est absolument insupportable OU me tairais-je, bloquant stoïquement ma respiration à chaque caresse de son souffle fétide ?
Moi-même, qui suis un exemple de sagesse et de bon sens, j’ai été confrontée à ces rêves de folie.
Mardi, 17h30 : après vingt laborieuses minutes de trajet pour me rendre in ze ass of the world où je me suis enterrée j’habite, je réussis l’exploit d’enfin doubler un infâme tracteur rouge dont les pointes de vitesse tournent aux alentours de dix kilomètres heure. J’ai envie de crier ma jubilation au monde entier . Mais je me contenterais de ma copine. Je fixe d’un œil gourmand mon téléphone portable, hésite dix bonnes secondes, m’en saisis et compose son numéro tout en frétillant de m’encanailler ainsi. Je blablate, blablate et surblablate. Quand soudain, une sirène stridente agresse mon délicat tympan. Un gyrophare squatte mon rétro. Des appels de phares retiennent mon attention. Et je réalise soudain qu’il sont là POUR MOI, que je suis poursuivie par une voiture de police, tel un gangster hyper dangereux. L’exaltation me gagne et je fronce les sourcils comme Sean Penn quand il joue aux méchants.
Option soyons fous :
J’accélère et fonce dans le pré de droite : si je réussis à éviter Marguerite la vache qui broute tranquille, je peux couper à travers champ et les semer en détruisant quelques barrières au passage, comme dans les films d’action hyper haletants… J’irais vivre dans les pays nordiques où je créerais puis commercialiserais un stick pour les lèvres ultra efficace qui ne rend pas accro. Ou dans la campagne profonde : là, je végéterais en communion avec deux poules qui finiraient glorieusement leurs longues vies comme nuggets fondant sous mon palet gourmand.
Option triste est la raisonnable réalité :
Je me ressaisis, chassant toute folle velléité quand les policiers me doublent furieusement. Tels des teletubbies survoltés, ils gesticulent abondamment, m’ordonnant de me ranger sur le bord de la chaussée, comme y disent dans le jargon. Je m’exécute piteusement et ouvre ma fenêtre. Oui, je suis prête à être menottée, menée au bagne, nourrie au pain sec et à l’eau du robinet, à creuser dans le mur à l’aide d’une petite cuillère volée pour créer un passage secret et ainsi m’évader, devenant Wanted, mise à prix : 10000000 millions d’euros…
- Mademoiselle, vous savez pourquoi on vous arrête ?
Option soyons fous :
- Parce que je viens de braquer une banque à coups de boules puantes et que je détiens le guichetier ligoté dans mon coffre (bien sûr, je lui ai donné une pom pote et un jus d’orange-paille, histoire de ne pas le laisser claquer dans mon habitacle). Pourquoi l’ai-je kidnappé ? Il était beau alors je me suis dit qu’il pourrait peut-être partager avec moi les trente millions d’euros planqués sous le siège passager en compagnie d’une bombe super explosive contre laquelle je suis immunisée et que je peux déclencher en criant : » Feu d’artifesse ! ». Veuillez maintenant me laisser passer sans encombres, j’ai un jet à prendre.
Option triste est la raisonnable réalité :
- Oui, Messieurs les policiers. Parce que je téléphonais au volant. Je voulais m’assurer que ma fille était bien rentrée de chez sa nounou.
Je saisis que ma tentative d’attendrissement est vaine. Ils ont du voir, avec leurs yeux de lynx, que je braillais au téléphone et que ma face rougeaude était donc aux antipodes de celles des mères inquiètes.
Les sourcils d’un des agents se rejoignent en une angoissante ligne noire.
- Vos papiers, s’il vous plaît.
Je baisse les yeux vers le sol déchargesque de ma voiture. Il a plu, j’ai laissé les fenêtres ouvertes et ma carte grise prend un bain en compagnie de bouteilles de coca vides et de paquets de curly éventrés. Je m’en saisis. Elle goutte.
Option soyons fous :
Je la fais tournoyer, histoire de détendre l’atmosphère à l’aide de gouttelettes rafraîchissantes. Un des policiers, électrifié par la sensation de l’eau sur son corps torride, bondit tel une gazelle sur mon capot et commence un strip-tease aussi coquin qu’une culotte en dentelles. Je l’applaudis bruyamment et lance même quelques sifflets approbateurs. Quand sa démonstration prend fin, je lui glisse un billet de cinq euros dans le slip, le laisse ranger sa matraque et file sans même un PV.
Option triste est la raisonnable réalité :
Embarrassée, je tends mes papiers à l’un des policiers tout en tentant vaguement de les essuyer. Il s’en saisit, l’air aussi écœuré que ma mamie Louise devant un big mac. Péniblement, il déplie les pans de mon torchon et va s’asseoir dans son véhicule. J’entends une tonne de bipbip. c’est encore plus infernal que le piano électrique-de-ma-fille-que-tu-regrettes-ta-mère-d’avoir-acheté-et-que-t’essayes-discrétos-de-casser-quand-elle-s’absente. Il doit faire des recherches sur moi. Que c’est excitant ! Va-t-il voir qu’à quinze ans, j’ai volé un soutien-gorge Fila ? Le suspense est insoutenable…. Tout comme l’attente du verdict en plein soleil. Enfin, il me rend mes papiers et me demande mon permis (que j’ai perdu depuis quinze jours).
Option soyons fous :
L’invraisemblable peut-être vraisemblable, surtout si c’est joliment fignolé. Vas-y que je vais m’appliquer comme un élève (le jour de la rentrée).
- Sachez, Messieurs les agents de la force de l’ordre, que mon félis domesticus a infiniment souffert de notre exil au cœur la campagne profonde. C’est un citadin, voyez-vous. Il a découvert la vie belliqueuse de ses congénères, le vol impitoyable de croquettes, les crocs acérés des canidés. Malheureusement, tout ceci l’émeut terriblement. Son angoisse s’est d’abord manifestée par un comportement auto-agressif. Plusieurs fois, je l’ai surpris se griffant la gueule tout en miaulant « O rage, ô désespoir ! ». A la suite d’un long travail d’analyse, il a détourné cette agressivité sur les objets, notamment sur mon permis de conduire qu’il a lacéré et parsemé de défécations félines. C’est pourquoi, à mon grand regret, je ne puis vous présenter, Messieurs les agents de la force de l’ordre, ce précieux document attestant de mon droit le plus légitime à parcourir les routes du monde.
Suite à ce poignant récit, les policiers , compatissants , me laissent partir sans plus me retarder. Le pouvoir d’un bon récit est merveilleux. Pour la peine, je leur lance un baiser en m’éloignant.
Option triste est la raisonnable réalité :
Reprenant mon abominable carte grise qui coule encore presque autant que ma sueur, je passe frénétiquement en revue toutes les excuses plausibles à mon absence de permis. Puis j’avoue platement que je ne l’ai pas (pathétique).
Sans un mot, l’agent me tend ma contravention puis m’intime l’ordre de me présenter au commissariat le lendemain pour le présenter ou « régulariser ma situation ». Armée de mon PV, je démarre pitoyablement et m’envole vers de nouvelles (més)aventures.
Voilà, cher lecteur, chère lectrice, le triste récit de ma dernière envie de folie.
Comme tu as pu le constater, j’ai su rester aussi raisonnable qu’un dictionnaire. Mais sera-ce le cas la prochaine fois ????
I’ll be back.
Porte toi bien, bises.
Quel incroyable récit : Phèdre a échappé au cachot !
Bien sûr que je l’ai rappelée… de chez moi !
une histoire palpitante et tellement bien racontée ! Dis, tu l’as rappelée ta copine après ?