Zelda Sayre Fitzgerald
« Après Scott, son célèbre époux, Zelda Fitzgerald s’est éteinte hier à minuit, à l’âge de 47 ans. Elle a péri dans l’incendie de l’aile psychiatrique du Highland Hospital à Asheville, où elle était suivie depuis des années pour des troubles mentaux intermittents. […] Comme les huit autres patientes enfermées à ce dernier étage, elle n’a pu s’échapper, la porte de sa chambre étant bouclée, la fenêtre unique elle-même cadenassée. » (New York Herald Tribune, 11 mars 1948, cité par Gilles Leroy dans son roman Alabama Song). Terrifiante mort que cette consomption… « C’est par le feu qu’on détruit les rebelles, les sorcières et les saintes – des déviants, des folles », ajoute l’écrivain.
Une femme schizophrène ?
La folie fait irruption dans la vie de Zelda un jour de 1930, à Paris : en pleine rue, l’ex-Miss Alabama, l’ancienne reine des années folles, se met à délirer. On la transporte en Suisse dans un hôpital où elle restera… un an et demi. Au bout de quelques mois, un diagnostic de schizophrénie est posé. Francis Scott Fitzgerald (qui ne parvenait plus à écrire depuis quelques temps) fera de cet épisode la matière de Tendre est la nuit, publié quelques années plus tard, et dont une partie se déroule également dans une clinique suisse : le personnage de Nicole Diver, malade jusqu’à détruire le couple qu’elle forme avec le brillant psychiatre Dick Diver, est directement inspiré de Zelda, avec laquelle il semble alors régler ses comptes. L’écrivain va jusqu’à intégrer au roman des extraits des lettres de sa femme, écrites lors de son internement ; « il rédige même un tableau dans lequel sont comparés, point par point, les ‘cas’ de Zelda et de Nicole », précise Nancy Huston dans son très bel essai Journal de la création, consacré entre autres aux couples d’écrivains.
Ce premier internement sera suivi d’un autre, à Baltimore, en 1932 (durant lequel Zelda écrira en quelques semaines son seul roman publié, Accordez-moi cette valse), puis d’un autre, et d’un autre… Selon les psychiatres de l’époque, Zelda aurait été jalouse du succès de son mari, et victime d’ambitions artistiques qui n’auraient été que des illusions.
Aujourd’hui, son cas soulève encore des questions. Gilles Leroy, interviewé par Sophie Lebeuf, avance une autre hypothèse : « Tous les psychiatres qui l’ont vue à l’époque ont dit qu’elle était schizophrène. Mais il semblerait que les psychiatres américains qui ont réexaminé son cas dans les années 1980, 1990 disent qu’elle était sans doute maniacodépressive ou bipolaire. Si c’était le cas, elle a été traitée abusivement pour une schizophrénie dont elle ne souffrait pas. Ce qui me frappe dans son cas, c’est qu’elle a écrit un unique roman, Accordez-moi cette valse, quand elle était internée [...]. Et là, je mets au défi quiconque d’imaginer que c’est une cinglée qui a écrit ça. […] On peut peindre en étant schizophrène ou écrire des bribes de poésie je pense. Mais un roman demande d’être soi-même très construit… » L’un de ses derniers psychiatres, Irving Pine, aurait également déclaré après la mort de Zelda qu’elle était bipolaire plutôt que schizophrène, et que ses crises étaient sans doute autant dues aux traitements reçus et à sa relation conflictuelle avec Fitzgerald qu’à sa propre fragilité.
« tu dois y renoncer… et ne plus écrire de roman »
Depuis sa mort tragique et la republication, au début des années 50, de son roman (totalement boudé à sa parution), Zelda Sayre Fitzgerald est devenue une icône. Son destin est devenu celui d’une femme libre, créative, brimée par un mari qui ne la voyait que comme une muse muette et évanescente, voire une de ses propres créations (« Parfois je me demande si Zelda n’est pas un personnage que j’ai moi-même créé », dira-t-il à un ami selon la biographe Nancy Milford).
C’est la thèse que défend Nancy Huston, s’appuyant entre autres sur un entretien entre les deux époux et le docteur Rennie qui s’occupe de Zelda, le 28 mai 1933. Scott : « Je veux faire les choses à ma façon. – Et moi, je veux avoir le droit de les faire de ma façon à moi. – Et tu ne peux pas l’avoir sans me briser, donc tu dois y renoncer… et ne plus écrire de roman. – N’importe quel roman ? – Si tu écris une pièce, le sujet ne pourra en être la psychiatrie, et elle ne devra pas se passer sur la Côte d’Azur ni en Suisse, et, quelle que soit l’idée, elle devra m’être soumise au préalable. »
L’essai de Nancy Huston, comme le roman de Gilles Leroy, fait le portrait d’un homme rongé par l’alcool, égocentrique, n’ayant de cesse d’empêcher Zelda de développer ses propres talents et de faire ses propres choix. Les nouvelles qu’elle écrit – seule – au début des années 20 sont publiées dans des revues sous leurs deux noms, et même parfois sous son seul nom à lui. Il copie des passages entiers de ses carnets et journaux intimes pour les intégrer à ses écrits. La danse, dans laquelle Zelda se lance à corps perdu à l’âge de 26 ans – explorant sagement un terrain sur lequel elle ne concurrence pas son mari – n’est pour Scott qu’une perte de temps ; elle raconte cette désapprobation dans Accordez-moi cette valse, où le héros David Knight méprise les ambitions d’Alabama (l’héroïne). En lisant ce roman, Fitzgerald s’indigne des prétentions de sa femme à se servir de leur vie comme d’une matière littéraire. « C’est exactement ainsi, bien sûr, que lui-même avait construit sa carrière depuis le début : en grignotant des morceaux de matière vivante de Zelda. Mais sa défense sera toujours la même : aucune comparaison n’est possible étant donné que, dans le royaume des Lettres, Zelda est une dilettante et, lui, un professionnel », résume Nancy Huston. Il force Zelda à réécrire son roman pour en expurger les passages qui ne lui plaisent pas (aujourd’hui, seule la version revue d’Accordez-moi cette valse a été conservée).
La folie créatrice
Zelda, artiste brimée ? Ses troubles ont quelque chose de la folie créatrice des artistes. Sa première crise eut d’ailleurs lieu après une période d’intenses efforts pour contraindre son corps à la perfection qu’exige la danse – elle maigrit et s’entraîne des heures par jour, malgré les tensions que cela provoque avec son mari. Folie ou épuisement ? « Il s’agit d’une petite anxieuse épuisée par son travail dans un milieu de danseuses professionnelles », dit le rapport du Professeur Claude, psychiatre à la Malmaison, en 1930 (cité par Gilles Leroy). Maladie psychiatrique ou déchirement existentiel d’une artiste qu’on a empêchée de créer ? Nul ne peut refaire le diagnostic. Reste cette figure mythique d’une femme au destin inséparable de celui qui l’a construite autant que détruite.
Portrait très juste de cette femme guidée par son besoin d’être aimée, d’être le centre des attentions et sa quête de reconnaissance et d’affirmation. Sans Zelda, Scott n’aurait peut-être pas écrit les romans qu’il a publié. Héroïne de ses nouvelles, Zelda a nourri son œuvre, parfois à ses dépens. Scott a réclamé l’exclusivité et n’a pas hésité à utilisé les lettres et les journaux intimes de Zelda, livrant à tous ses faiblesses et ses doutes. Et si la descente a été difficile, ce qui est sûr, c’est qu’ils se sont aimés à la folie, jusqu’à se détruire.
Pour les inconditionnels de ce couple, icône des années 20, je vous conseille aussi le livre de Kendall TAYLOR, « Zelda et Scott Fitzgerald. Les années vingt jusqu’à la folie », chez Autrement et publié en 2002. Passionnant !
Merci beaucoup, du compliment et du conseil !