#6 Osez… l’amour des rondes de Marlène Schiappa (Ed. La Musardine) : retour sur la polémique

29 avril 2011
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En découvrant Osez… l’amour des rondes, de Marlène Schiappa, je me suis dit : tiens, étrange ce titre… D’ordinaire, la collection « Osez… » traite de la sexualité de façon certes ludique, mais sur le mode du petit guide, voire du manuel du parfait coup ou de l’amante hors pair  : tout savoir sur la fellation (1), devenir une pro du strip-tease (2), avoir les réponses aux 69 questions que l’on peut se poser sur le sexe (3), bref, tout ce qu’on a toujours voulu savoir sur les fesses sans jamais oser le demander.

Mais faire l’amour à une ronde réclamerait-il des compétences hors normes ? A-t-on besoin d’un mode d’emploi pour savoir comment gérer la présence d’une grosse dans son lit ? Apparemment, c’est la question que semble poser le titre de l’ouvrage et on peut dès lors comprendre que d’emblée Marlène Schiappa se mette à dos un certain nombre de bloggueuses.

Pourtant, contrairement aux apparences, le guide en question ne s’adresse pas tant aux hommes (ou aux femmes) voulant franchir le pas avec une grosse (oui, parce que la grosse est un extra-terrestre, c’est bien connu) qu’aux femmes enrobées (usons de cet euphémisme qui donne l’impression que les femmes sont des bonbons au chocolat).

Donner confiance aux grosses ?

C’est en effet un livre à destination des nanas qui se sentent complexées par leurs rondeurs. Pour donner confiance à sa grosse lectrice, Marlène Schiappa commence d’ailleurs par questionner le concept de « ronde » ; la réflexion en soi n’est pas absurde : à partir de quelle taille peut-on se dire grosse ? Ensuite, l’auteur de l’ouvrage, histoire de nous mettre à l’aise, rappelle en vrac toutes les rondes pipolettes, de la sublime Casta à la rocky Beth Ditto. Bon. Maybe un peu déjà-vu comme dirait la grosse Beyoncé, mais why not ?

Et puis après… alors là… après, le livre est censé devenir un vrai manuel pour faire tomber les mecs. La grosse apprend alors que c’est sexy de croquer une pomme d’amour, de rire aux blagues d’un mec, mais aussi qu’il faut se laver, s’épiler, se maquiller. Enfin, la deuxième partie de l’ouvrage se fonde sur le syllogisme, plutôt contestable, que la grosse est grosse parce qu’elle est épicurienne, et que, très logiquement, si elle aime bouffer, elle aime aussi baiser. CQFD. C’est pourquoi elle sera bonne au lit et en cuisine : on trouve alors des recettes de cuisine à côté de recettes de fellation. Edifiant.

Ma fille, pour garder un homme…

En somme, rien de nouveau sous le soleil : Marlène Schiappa développe scrupuleusement l’adage selon lequel un homme se garde quand on sait manier les deux queues : celle de la casserole, et l’autre. Et elle le fait avec un ton de bonne copine, voire de grande sœur, mais d’une sœur pétrie de la culture des magazines féminins. Pour tout dire, en lisant ce bouquin, j’ai eu l’impression de relire les Girl et les Jeune et Jolie de mon adolescence, où, ne connaissant rien, je découvrais tout à travers le prisme de ces autorités féminines et où, alors que mon linge était immaculé, je notais mentalement que les garçons aimaient les sous-vêtements propres (si si, je vous jure, c’était écrit dans un journal)

Seulement voilà, La Musardine ne s’adresse pas à des gamines, mais à des femmes, et, on peut l’imaginer sans trop se tromper, à des femmes qui ont une vie sexuelle active ; dès lors, celles-ci savent qu’il est a priori préférable de se laver avant un rendez-vous. Pire, le fait d’écrire cet ouvrage en le destinant aux rondes de toutes sortes suggère que la Schiappa considère les grosses comme des débiles et/ ou des crasseuses.

Sculpture de Volti, Parc Floral de la Source à Orléans

La haine

C’est là, je crois, une des raisons qui explique le déchaînement des passions sur Internet. En effet, une véritable cascade de réactions négatives s’est abattue sur la toile.

Que reproche-t-on à Marlène Schiappa ? D’être une fausse ronde, d’abord. Certes, elle parle de son 42 comme de la preuve de sa légitimité à parler au nom des grosses, et cela agace, on le comprend, des lectrices taille 54. Un peu comme quand notre collègue taille 32 ose parler de sa cellulite, quoi.

Ensuite, on lui reproche d’enfiler cliché sur cliché à propos des grosses : bouffant comme quatre, incapables de se maîtriser, paresseuses, un peu négligentes, et évidemment grosses chaudasses. Et c’est vrai que c’est la désagréable impression qui se dégage du texte : en cherchant à défendre la position des grosses, Marlène Schiappa parvient finalement à l’effet contraire et l’empreinte de l’idéologie des magazines se retrouve ainsi réaffirmée page après page : la ronde, c’est celle qui, par sa nature flemmarde et bonne vivante, n’est pas capable des sacrifices consentis par les minces.

Du coup, bien que Marlène Schiappa se justifie de toutes les attaques qu’elle a subies sur le net, en expliquant à Stéphane Rose (cf l’interview ci-dessous) que des femmes l’ont remerciée parce qu’elles se sont senties libérées après la lecture de cet ouvrage, force est de constater que ces femmes doivent être bien rares car ce livre ne peut que rater sa cible : les grosses ne peuvent pas l’aimer parce que le discours qui y est tenu est composé de l’ensemble des préjugés contre lesquels les rondes se battent (elles savent bien toutes seules, rien qu’à voir le regard des autres, qu’il ne faut pas dévorer son dessert, hein, ce n’est pas la peine de le leur rappeler) ; les femmes de plus de quinze ans et demi ne peuvent pas lire sans bailler ce petit bouquin qui précise comment il faut se laver les dents pour avoir de beaux crochets bien blancs. Quant aux hommes qui lisent ça, ma foi, ils risquent d’être aussi déçus qu’en cherchant à percer le secret des femmes en lisant Cosmo…

Sur Internet…

Les articles furieux

http://www.maybach-carter.com/2010/12/chronique-osez-lamour-des-femmes-rondes-le-livre-a-ne-pas-lire/

http://www.penseesderonde.fr/2011/03/osez-lamour-des-rondes-le-livre-de-trop.html

http://dariamarx.com/2011/02/20/osez-lamour-des-rondes-marlene-schiappa-la-musardine/

http://www.pulpeclub.com/news/?fuseaction=view_news&news=519

Chez ZoneZeroGêne

Interviews de Marlène Schiappa

http://stephanerose.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/02/02/osez-l-amour-des-rondes.html

http://www.ma-grande-taille.com/osez-l-amour-des-rondes-25552

(1) Osez… tout savoir sur la fellation, Dino, Ed. La Musardine.

(2) Osez… le strip-tease, Violeta Carpentier, Ed. La Musardine

(3) Peut-on être romantique en levrette ? : 69 questions pas si absurdes sur le sexe, Maïa Mazaurette, Damien Mascret, Ed. La Musardine.

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5 Responses to #6 Osez… l’amour des rondes de Marlène Schiappa (Ed. La Musardine) : retour sur la polémique

  1. thoinot
    18 mai 2017 at 21 h 22 min

    Alors moi, vous allez rire, j’ai mis un moment à comprendre le sujet du bouquin (en gros il a fallu que je commence à lire l’article, si si !) : je croyais, en n’ayant pas compris le dessin (en tout petit, il faut dire, sur un écran de portable), qu’il s’agissait des rondes chantées !!!
    Voilà. Pour ce qui est du gouvernement, le chaos est en marche, croyez moi !!!

  2. 17 février 2012 at 0 h 42 min

    Et sans parler de la couverture, c’est une honte cette couverture… Ce minuscule bonhomme qui s’accroche comme un nourrisson (ou comme une palourde à un rocher, au choix) aux mamelles matriarcales… Donc si t’es grosse, en plus de te taper des pipes au nutella jusqu’à l’écœurement, tu dois te ramasser les névrosés en manque de mère !

    • 17 février 2012 at 0 h 50 min

      Ah bin merde, je viens de m’apercevoir que mon commentaire précédent avait été grave influencé par un des articles cités (que j’avais lu y’a un moment)
      Bah au moins, ça prouve que l’image reste gravée en tête :)

    • Manounette
      17 mai 2017 at 20 h 46 min

      Ah les mamelles matriarcales de la femme « généreuse » !
      Pour ma part je suis une maigre (donc radine par essence) et depuis mon adolescence de planche à pain je m’entends dire que les « vrais » hommes préfèrent les « vraies femmes » souvent autrement formulé : des grosses à peloter (elles apprécieront) plutôt que des os à ronger (ravie je suis)…
      Les autres (comprendre les faux hommes qui pourraient se laisser aller à aimer une fausse femme maigrichonne) seraient au mieux des homo refoulés (maigre = androgyne) au pire des pédophiles en puissance (maigre = petite fille). Peut-être que les hommes vont finir par s’apercevoir qu’on les prend aussi pour des cons ?? Au final ces affirmations péremptoires sont insultantes pour chacun.e de nous. Réduits à des mamelles, des os, des chiens, des « faux »…
      Quant aux magazines féminins et ce genre de bouquin ils ont de beaux jours devant eux étant à la foi le mal et le pseudo remède de notre insécurité corporelle. Je ne m’attends pas à voir paraître un « osez les maigres » qui serait considéré comme une apologie de l’anorexie (bah oui, parce qu’être maigre c’est au mieux être superficielle au pire anorexique) mais je veux témoigner ma solidarité et mon empathie face aux ravages des clichés immondes sur la construction de soi. Je suis outrée par cet ouvrage. Je suis outrée d’apprendre que celle qui l’a écrit sera dans notre gouvernement et encore plus au droit des femmes… Beurk.

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