#5 « Ce que soulève la jupe », de Christine Bard

15 mars 2011
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Présentation de l’ouvrage

Vous avez des questions sur la jupe ? Lisez l’ouvrage de Christine Bard, vous y trouverez les réponses. Quelques 160 pages de ce petit livre tout à fait passionnant font le tour de la question, abordent l’histoire de la jupe, soulignent les paradoxes qu’elle incarne aujourd’hui, et explorent son devenir masculin – déjà en germe. Tout en étant très sérieux par sa documentation, l’ouvrage se lit très agréablement : on apprend une foule de choses (c’est toujours gratifiant), il fourmille d’anecdotes et de témoignages qui le rendent très vivant, et le sujet se révèle aussi quotidien que sensible.

L’auteure, Christine Bard, est historienne et professeur d’université. Elle a écrit une passionnante Histoire politique du pantalon, et Ce que soulève la jupe en est le corollaire logique. Spécialisée dans l’histoire du féminisme, son point de vue sur le vêtement n’est pas neutre. Elle part du postulat que « les vêtements et leur genre – féminin, masculin, neutre – sont politiques » (1), et ses travaux démontrent que le vêtement est un marqueur fiable du genre et de son organisation sociale.

Le vêtement : question de genres ?

On dit jupe, on pense féminin. Pourtant ce vêtement ne l’a pas toujours été. La jupe et la robe étaient d’abord des vêtements mixtes, très répandus, le pantalon étant réservé aux travaux des champs et aux soldats. Le pantalon s’est imposé à la Révolution française comme symbole populaire social et politique, et devient rapidement le costume masculin obligatoire, toujours d’actualité. Il est frappant de remarquer que le pantalon est d’abord un dépouillement : le costume masculin était autrefois richement paré et étudié, puis il se réduit à la plus grande sobriété. En 1930, John Carl Flügel, psychanalyste, a théorisé ce phénomène, qu’il nomme « la Grande Renonciation ». Les hommes sont interdits de jupe. Et si les femmes sont quant à elles interdites de pantalon, elles semblent d’abord gagnantes. Le costume féminin permet d’infinies variations de forme, de matières, de couleurs, d’ornements, avec lesquelles le pantalon ne peut pas rivaliser. Le vêtement s’est soudainement genré. Alors que le pantalon est associé au pouvoir et au masculin, la coquetterie devient féminine… et donc un cruel défaut. Si quelques femmes originales osent le pantalon au XIXe siècle, l’homme en jupe ou en robe est une espèce disparue dans le monde occidental, hormis dans les cercles très particuliers du clergé et de la justice.

Le symbole de l’oppression des femmes

Depuis lors, la jupe est féminine, et progressivement elle devient le symbole de l’oppression des femmes. Comme on sait, dans les années 1960, les femmes obtiennent le droit de porter le pantalon, non sans heurt. Depuis il s’est complètement banalisé, est devenu un vêtement mixte. Tout irait bien dans le meilleur des mondes ? Que nenni. Puisque le pantalon n’est plus sujet à controverse (quoique… il est toujours interdit dans certaines professions !), c’est la jupe qui soulève les polémiques contemporaines : comble du comble, elle peut être implicitement interdite à son tour aux femmes, aux jeunes filles surtout. En témoignent les succès du film La Journée de la jupe et de l’action « Le Printemps de la jupe et du respect » – l’énoncé en dit long.

De Madonna à Roselyne Bachelot, via Jean-Paul Gaultier

Christine Bard le répète à plusieurs reprises : « Il y a jupe et jupe ». Et de passer en revue ses différentes déclinaisons. De la burqa à la mini, le chemin est long, et passe par le corset, les collants, la lingerie, le voile… Les injonctions sont aussi nombreuses que contradictoires : « L’hypocrisie demeure : être sexy, c’est bien et c’est mal en même temps. Comment faire un peu « tepu » mais pas trop ? ». Pourtant la jupe donnerait – une fois n’est pas coutume – l’occasion d’un avantage aux femmes. La liberté de choix entre pantalon et jupe fait office de « formule magique : les deux genres dans un corps féminin ». Oui, en principe. Mais Christine Bard suspecte ce « message euphorisant » d’avoir « le goût de l’opium du peuple ».

CC Brent Murray

Madonna  - « L’image donnée est ambivalente. Féminine dans le sens où une pièce classique du vêtement féminin [le corset] est revisitée et valorisée, mais aussi virile tant le corps mince et athlétique de la chanteuse ainsi sanglé paraît recouvert d’une armure qui la rend inaccessible et invincible. »

Ce qui frappe et fait la force de l’ouvrage, c’est de constater la multiplicité des groupes sociaux culturels concernés : traditionnels, religieux, politiques, médias, anticonformistes, associations de défense, adolescents, éducateurs, homosexuels, professionnels de mode, stars du showbiz, féministes, masculinistes… A l’intérieur de ces groupes, il faut souvent distinguer plusieurs points de vue, masculin, féminin, hétéro, homo, transgenre… On y perdrait vite son latin si le message n’était invariablement le même : certains prônent la différenciation des genres comme essentielle, et le vêtement devient prétexte aux discriminations et rapports de forces ; d’autres au contraire, ainsi l’auteure, sont pour « une plus grande diversité et reconnaissance des différences interculturelles ». C’est donc bien un discours politique, citoyen, que soulève la jupe.

Roselyne Bachelot - "Si Roselyne Bachelot arbore des tailleurs aux "couleurs pétantes" dont les médias raffolent, c'est, entre autres raisons, pour signaler qu'elle est une femme (dans un monde d'homme)."

Christine Bard excelle à donner à entendre cette diversité en multipliant ses sources et les témoignages. Elle donne la parole à des universitaires, des historiens, des spécialistes de la mode, mais aussi à de parfaits inconnus et anonymes, dont elle recueille le point de vue sur des sites, des blogs, et leurs intarissables commentaires. La démarche semble neuve et originale, et pourtant très juste. Sous des pseudonymes plus ou moins étudiés et loufoques, la parole se révèle sincère et peut-être plus libérée. C’est d’autant plus vrai en contexte de transgression et de début de rébellion, or il en est une en marche : la jupe pour homme. La troisième et dernière partie de l’essai se penche sur la question.

Il est plus difficile de féminiser que de viriliser

Raymond Schreiber - "Trafiquer l'identité des vêtements mène droit dans l'œil du cyclone de la mode contemporaine: la tension entre le genre masculin et le genre féminin. De tous les stylistes de sa génération, Jean-Paul Gaultier est sans doute celui qui a vêtu, paré, déguisé, de la manière la plus spectaculaire, l'insoluble énigme de cet entre-deux." Farid Chenoune, Jean-Paul Gaultier, cité par Christine Bard

Certains hommes, de plus en plus nombreux, hétéros, revendiquent le droit de porter la jupe et le pantalon à leur guise, comme les femmes. Christine Bard analyse les différents signes qui portent à croire que l’avenir des jupes au masculin serait proche : « Tout conspire à l’arrêt de la Grande Renonciation ». Ironiquement ( ?), les arguments sont les mêmes que ceux qui ont fini par accorder le droit au pantalon à la gent féminine : hygiène et santé, confort, société de loisir… et bien sûr, liberté et égalité. Là où le bât blesse, c’est qu’il est plus difficile de féminiser que de viriliser. Le pouvoir est toujours associé au masculin, et si l’accès à davantage de pouvoir est un argument évident, on sent le hiatus dans la proposition inverse. La lutte de ces messieurs a de beaux jours devant elle ! Les hommes en jupe parlent de défi, d’aventures. C’est qu’ils « découvrent concrètement ce qu’est le genre », analyse l’auteure.

La jupe, de vêtement mixte, est devenue féminine, et symbole même du féminin. Mais une reconquête de la mixité semble se faire jour. Quand on y arrivera, ce sera une belle victoire pour l’histoire des genres en général, et pour le féminisme en particulier, puisque cela supposera que le féminin n’est plus négatif. Finissons par une phrase de Christine Bard que les Fauteuses pourraient prendre comme emblème : « Troubler le genre est une tâche qui incombe à tous les sexes. »

A lire aussi : Ce que soulève la jupe, Deuxième partie – entretien avec l’auteure

(1) Toutes les citations sont empruntées à Christine Bard, Ce que soulève la jupe, Editions Autrement, 2010

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2 Responses to #5 « Ce que soulève la jupe », de Christine Bard

  1. Roger
    12 avril 2014 at 10 h 51 min

    Bonjour , moi je voulais dire tout simplement ,quand les femmes on mis pour la première fois des pantalons tout le monde regardé , si les hommes porte la jupe cela va faire pareille , moi je dit du moment que dans la vie sa plais a sois et de se respecté l un , l autre , je ne vois pas a quoi sa gene ,dans d autre pays les hommes porte des jupes , il faut dire que en France on aime bien se moqué , parler sur les autres enfin ,qui a inventé de porté la jupe mes dames , et bien l homme a été le premier a porté la jupe , regarder votre histoire et la vous comprendrais , pour quelle raison l homme veut porté la jupe , l égalité homme ,femme pareille , Roger .

  2. 15 mars 2011 at 9 h 18 min

    « Avant de parler de quelqu’un d’autre, commence par porter ses babouches pendant sept jours ! » (Parole orientale).

    C’est ce que j’ai fait, pas les babouches pendant sept jours, mais la jupe depuis plus de vingt ans. Et ce vers quoi cette expérience m’a conduit, c’est que ce n’est pas le « féminin » qui est négatif, mais c’est l’oubli ou le refoulement de cette belle dimension féminine qui fait de nous des demi-portions.

    « La paix (hésychia pour les Grecs, shalom pour les Juifs, shanti pour les Indiens), c’est d’être entièrement là… » (Jean-Yves Leloup)

    Vous trouverez plus d’informations sur mon site et dans mon livre « Et si les hommes portaient des jupes ? Une voie vers l’anthropos » aux Editions Elzévir, Paris

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