Gitans, Manouches, Bohémiens, Roms, Tziganes, Romanichels, gens du voyage… les noms désignant les Gitans ne manquent pas. De fait, s’ils renvoient à une réalité ethnique commune, ils n’occupent pourtant pas la même place dans le discours public et ne donnent pas la même image des personnes ainsi désignées. Petit dictionnaire des appellations gitanes…
On les voit comme des étrangers
Le nom de Gitan vient de l’espagnol gitano, datant du XVIème siècle, et qui veut dire Egyptien. Il s’agit donc d’un mot choisi par les Espagnols pour désigner un peuple tzigane dont on pensait par erreur qu’il venait d’Egypte. Aujourd’hui, le terme peut s’employer pour les Tziganes en général et pas seulement ceux qui vivent en Espagne.
Bohémien, qui date du XVème siècle, désigne d’abord un habitant de la Bohême, une région de l’actuelle République Tchèque. Par la suite, il fut également employé pour nommer une communauté tzigane qu’on croyait originaire de Bohême.
Manouche, qui est un des termes les plus usités, désigne en réalité non pas tous les Tziganes, mais les Sintis, peuple nomade vivant principalement en Allemagne, et qui fut largement déporté pendant la seconde guerre mondiale. Ce mot vient directement de la langue romani et veut dire « homme ».
Enfin, l’expression française de gens du voyage sert à identifier toute population vivant de façon nomade, sans faire de distinction ethnique. Ce faisant, elle annule par contre toute identité culturelle.
Un Rom, un homme
Pour se désigner eux-mêmes, les Gitans ne connaissent pas de mot, tel tzigane, qui puisse englober les différentes communautés. En revanche, Romanichel, qui a bien sûr donné Rom, est un mot appartenant à la langue tzigane, dite aussi langue romani. Employé d’abord en Allemagne, ce terme signifie littéralement « peuple tzigane ». Notons de plus que le mot rom signifie « homme » ou « mari ». Depuis 1971, le terme de Rom est officiellement adopté par l’Union romani internationale pour désigner des populations liées par une origine et une langue initiale communes, celles de l’Inde. Bien que leurs origines soient les mêmes, les Gitans d’Espagne et les Manouches, ou Sintis, ne se reconnaissent pas dans cette appellation.
Le sens caché des mots
Ces différents noms attribués aux peuples tziganes ont une histoire objective et au départ dénuée de connotations positives ou négatives. En effet, tantôt ils renvoient simplement à une présumée origine géographique, tantôt ils sont de véritables mots romani. On ne peut plus en dire autant aujourd’hui. Utiliser le terme de Rom ou de Manouche, de Tzigane ou de romano, ce n’est pas la même chose.
Certains restent relativement neutres, voire sont connotés assez positivement. C’est par exemple le cas du mot Gitan. En France, ce mot est parfois utilisé à tort pour désigner n’importe quel Tzigane, alors que seuls ceux du sud du pays et de l’Espagne sont de véritables Gitans. Cependant, il semble qu’il renvoie davantage à cette région de l’Europe dans l’esprit des gens, et c’est sans doute ce qui lui vaut une assez bonne « réputation » : quand on pense aux Gitans, c’est tout un monde qui s’ouvre à nous, la Camargue, le Flamenco, les longues jupes à fleurs…
Il en va à peu près de même pour le terme de Tzigane. Sans même savoir qu’il est le seul à regrouper tous ces peuples, on l’utilise surtout pour désigner celui qui fait rêver, figure romantique d’un Tzigane fantasmé. A ce sujet, Jean-Pierre Liégeois affirme qu’on « le dote du nom de Tzigane lorsqu’il confine au mythe » [1]. Derrière le mot Tzigane, c’est une culture fascinante qui s’élève, faite de danse, de musique, et de voyages en roulotte, symbole de liberté. Bien sûr, ce Tzigane-là n’existe pas.
Certains mots peuvent voir leurs connotations évoluer avec le temps et selon les langues. C’est par exemple le cas de Bohémien, qui prend une connotation plutôt romantique au XIXème siècle. Un bohémien est celui qui vit de bohème, sans attaches, et donc librement. Rapidement pourtant, le bohémien devient dans l’esprit des gens celui qui vole, qui fait peur, qui est sale. Aujourd’hui, plus personne ne l’utilise pour désigner les Tziganes, et le mot, s’il désigne une personne, est définitivement péjoratif, quand il est employé, ce qui devient de plus en plus rare. En anglais en revanche, il désigne un type d’artiste vivant de façon non conventionnelle. Au féminin, le terme est déjà beaucoup plus sympathique : entre Carmen et Esmeralda, la bohémienne est souvent une figure féminine libre et sensuelle. Quand il devient un adjectif, il peut même être à la mode : une jupe bohémienne, une ceinture bohémienne, le style bohémien….autant d’habits, d’accessoires bigarrés, colorés, recouverts de perles et de fleurs, enfin une mode renvoyant à une bohémienne bien fantasmée là encore.
Le mot Manouche vit un destin assez similaire à celui de Bohémien : désignant au départ un peuple de façon parfaitement objective, il est véritablement péjoratif aujourd’hui : le Manouche, c’est, dans l’esprit de beaucoup, le voleur de poule, le truand ! Mais là encore, c’est en tant qu’adjectif qu’il trouve son salut, puisqu’il sert alors à qualifier une musique ô combien aimée et rendue célèbre par Django Reinhardt : le Jazz manouche. Une marque de vêtements de style bohémien, Manoush, est même apparue il y a quelques années. On peut d’ailleurs voir, sur la page d’accueil du site de la marque, une roulotte, une danseuse de flamenco, une guitare, des fleurs, des animaux, bref, tout ce qui peut contribuer à rattacher les vêtements à un imaginaire romantique de la vie tzigane. On note, cela dit, l’écart pris par la marque avec les connotations négatives vues plus haut : l’orthographe du mot a été changée.
Des choix politiques
L’évolution des connotations liées aux mots se font souvent bien malgré nous. Cela dit, le choix, délibéré cette fois, de désigner les Tziganes par tel ou tel de ces termes peut ne pas être innocent du tout. Prenons le terme de Rom. Il est vrai qu’il s’agit du terme officiel pour qualifier la plus grande partie des Tziganes, et que, de plus, c’est un mot de langue romani, choisi de surcroît par l’Union romani internationale. Quoi de plus fiable en somme, pour parler de ce peuple sans craindre de faire un écart, de blesser les intéressés ? C’est d’ailleurs ce que tout le monde fait, depuis des années. Il semble en effet que depuis les années 90, le terme soit surtout utilisé dans un contexte politique. Jean-Pierre Liégeois explique ainsi que son rôle est de « présenter l’émergence politique de groupes diversifiés qui ont décidé de se retrouver sous un terme commun qui est celui de Rom » [2]. Certes, les Roms ont voulu être désignés comme tel. Mais le fait que l’on utilise le mot uniquement lorsqu’il s’agit de montrer la montée en puissance, l’arrivée massive de populations, est tout de même bien gênant. Ajoutons à cela le fait que depuis des années, la Presse et le monde politique usent du terme le plus souvent quand il s’agit de parler des problèmes liés aux mouvements migratoires des Roms : violence, délinquance, vol… L’opinion publique s’en trouve encore une fois bien manipulée. Comment en effet avoir une image positive d’un peuple dont on nous dit qu’il arrive en grand nombre et qu’il ne pose que des problèmes, voire qu’il est dangereux ?
Dès lors, le choix de ne parler des Roms que sous cette appellation n’apparaît plus comme complètement innocent et soucieux d’objectivité. Car après tout, si tous les Tziganes ne sont pas des Roms, tous les Roms sont des Tziganes. Pourquoi, lorsqu’on les renvoie en grand nombre dans leur pays d’origine, n’entend-on jamais, absolument jamais parler d’expulsion de Tziganes, de Gitans mêmes ? Imaginez un peu la réaction de l’opinion publique si l’on annonçait au journal télévisé la reconduite, forcée et parfois violente, de Tziganes à la frontière. Le mot est emprunt d’une telle dimension culturelle, que nous en serions bien plus scandalisés : renvoyer un Tzigane c’est rejeter sa musique, sa danse, sa liberté, bref, son mode de vie, sans doute largement fantasmé, mais en tout cas admiré et rêvé. Renvoyer un Rom, c’est renvoyer un envahisseur. De plus, parler d’expulsions des populations tziganes ne serait pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre histoire, puisqu’elles furent, on l’oublie trop souvent, victimes elles-aussi des déportations nazies. Le meilleur moyen d’éviter que l’opinion publique face le rapprochement est sans doute de préférer le terme de Roms… L’amalgame entre les termes Rom et Roumain ne facilite pas non plus les choses, et les deux peuples s’en trouvent malheureusement trop souvent confondus.
L’utilisation du mot Rom est donc à double tranchant : elle est fidèle au choix des Roms eux-mêmes, mais, étant finalement dénuée de véritable connotation culturelle et artistique, elle n’attire pas la sympathie sur leur peuple, qui n’apparaît précisément que comme des Roumains ou des Bulgares venus en trop grand nombre s’installer en France.
[1] Roms et Tziganes, Jean-Pierre Liégeois, Editions La Découverte, 2009, p. 32.
[2] Ibid. p. 27.
Pour aller plus loin…
- Récusation de l’appellation « Gens du voyage » : le décalogue du Palais Bourbon
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Bonjour, les ancêtres de mon père habitaient la Silésie, donc la veritable Bohême…
Puis-je me considérer comme une bohémienne dans le sens moderne du terme? Les Tsiganes ont ils jamais réellement vécu en Bohème ? Y a-t-il des chances que j’aie du sang de ce grand peuple?
esque cel qui a écrit sa elle est gitane ?
Super article ! Et pour poursuivre la question des noms de gitans : http://www.youtube.com/watch?v=rs3NTFSI2hA