Démo des mots #2 : Révolution

15 décembre 2010
Par

Christine Lagarde fait sa rebelle, le Pape se met à la page et Cantona nous fait rêver.

C’est la révolution ! La révolution vous dis-je !

Bon. Ne rêvez pas non plus… Non vous n’échapperez pas cette année au sacro-saint réveillon chez votre belle-mère (tant pis). Non, au 1er janvier 2011, Nicolas Sarkozy ne prendra pas comme bonne résolution une démission avant la fin de son mandat (encore tant pis !). Les soldes vont-elles commencer au 15 décembre, vous permettant ainsi de faire de grassouillettes économies (et si cette année on fêtait Noël le 20 janvier ?), alors que, depuis toujours, vous vous ruinez en cadeaux inutiles offerts à de lointains cousins rencontrés une fois l’an entre la dinde et la bûche glacée, au point de ne plus avoir un rond, précisément, pour les dites soldes ? Non, non, et trois fois non !

Mince… Bon mais alors elle est où cette révolution ? Ça fait pourtant un moment que le mot pointe son nez, régulièrement, dans les médias, comme pour mieux nous griser. Le problème, c’est qu’il n’a pas toujours le même sens… que certains (certaine…) l’utilisent avec une indéniable perfidie et que non, une vraie refonte de la société, ben, ce n’est pas pour demain.

Trois personnalités, que rien ne semble pouvoir rapprocher, ont été récemment touchées par la grâce de ce mot si cher aux Français : Christine Lagarde, Eric Cantonna, et le Pape. Et oui, voici donc nos trois révolutionnaires en herbe, mais peut-être en sont-ils vraiment, dont je me propose d’exposer ici les subversives ambitions.

Honneur aux femmes, Christine Lagarde, à la barre : le 15 novembre, Madame la Ministre de l’économie et des Finances déclarait sur France info, tout de go, que le nouveau gouvernement était, attention les oreilles, « totalement révolutionnaire ». En utilisant ce terme, Christine Lagarde sait bien ce qu’elle fait, et ce qu’elle souffle aux auditeurs : «  le remaniement est un bouleversement ». Et la journaliste amusée de réagir : « Ah bon ? ». Bien sûr, la ministre, ne pouvant tenir cette posture bien longtemps, vu la « nouvelle » mouture ministérielle qu’elle va devoir tenter de vendre aux auditeurs pour beaucoup déjà navrés (enfin espérons-le), se presse de redéfinir le mot, trop encombrant pour elle maintenant : « Le principe de la révolution [...] c’est que vous faites un tour complet à 360° ». Et voilà, en une minute à peine, toute l’Histoire du mot révolution ! Merci Christine.

Effectivement, le nom féminin révolution, emprunté (vers le XIème siècle) au bas latin revolutio, signifie au départ « retour, déroulement » [1], dans le cas des âmes par la métempsycose, mais aussi des astres, qui effectuent un retour périodique à leur point de départ. Telle est la révolution, du Moyen-âge au XVIIIème siècle, et donc aussi celle Mme Lagarde et du gouvernement auquel elle appartient : « un mouvement circulaire par lequel un astre revient à son point de départ sur son orbite : [...] par métonymie, le temps qu’il met à parcourir son orbite [2]». Il aura fallu ainsi trois ans au Président (si tant est qu’on puisse le considérer comme un astre…), trois ans de petits tours en tous genres, pour finalement revenir à ses chers moutons. C’est aussi au XIIIème siècle que le terme prend le sens « d’achèvement d’un cycle », et de « repli, contours » [3] : bref, la révolution est au départ un mouvement de retour, ou de repli final sur soi, merveilleusement illustré aujourd’hui pas l’actuel gouvernement.

C’est au XVIIIème siècle que le sens du mot révolution change radicalement. Est alors révolu ce qui vient d’achever sa révolution. Le tour complet achevé, le mouvement est fini, laissant place à un brusque changement, puisque ce qui est révolu ne refait pas un nouveau tour sur lui-même. Révolution devient alors synonyme de « changement brutal, pouvant impliquer trouble et renversement de régime » [4]. Tout alors est révolutionnaire, dès lors qu’il impose un changement politique quelconque : révolution s’applique à n’importe quelle réforme. On l’utilise par exemple à propos de l’Indépendance américaine. Puis, enfin, en 1789, arrive la Révolution française ! Le choc est alors tel que, plus jamais dans l’esprit des Français, le mot ne signifia autre chose que bouleversement politique et sociétal, renversement de régime. Il y eut ainsi la Révolution de 1830, durant laquelle la France passa de la Restauration à la Monarchie de Juillet, la Révolution de 1848 qui fit passer le pouvoir du roi des Français Louis-Philippe à la Seconde République. On parle aussi de la Révolution culturelle chinoise, de la Révolution islamique d’Iran, ou encore de la Révolution russe. C’est aussi pour cette raison que Mai 68 ne fut jamais considéré comme une véritable révolution : aucun nouveau régime politique ne fit son apparition à la suite des célèbres émeutes. Voilà le sens profond que nous donnons tous au nom révolution, et ce sens, Mme Lagarde le connaît bien, et s’amuse à l’utiliser pour appâter, ni plus ni moins, l’auditeur, et plus largement l’opinion publique, avant de se raviser sagement, lui préférant une signification plus ancienne, mais non moins vraie pour autant. Bref, cette ministre a fait un bon mot.

« Le Pape admet le préservatif, est-ce une révolution ? », titrait L’Express sur son site le 21 novembre. Nous serions tentés de le penser, Benoît XVI ayant affirmé il y a juste un an que ce même préservatif « aggravait le problème du sida ». S’il s’agit bien là d’un revirement complet de point de vue, cette bonne parole ne sera pas suivie d’actes vraiment révolutionnaires puisque, d’après les spécialistes ― entendez par là des membres de l’Eglise ― les fidèles moutons, pas bêtes, n’ont pas attendu la parution de Lumière du monde [5] de Joseph Ratzinger pour utiliser des capotes ! En revanche, il semblerait que bon nombre de Chrétiens aient eu jusque-là la malheureuse idée de culpabiliser à l’idée de désobéir au Saint-Père. Cette révolution papale n’a donc rien d’une réforme, ni d’un bouleversement de l’Eglise. En revanche, ce sont de mini révolutions, internes à chaque individu, qui vont avoir lieu : à partir de maintenant, des millions de Chrétiens, sur toute la planète, vont pouvoir faire l’amour en toute innocence…

A l’heure où cet article est écrit, nous pouvons l’affirmer : la révolution Cantona n’a pas eu lieu ! Vous l’aviez peut-être remarqué, le 7 décembre, était la date adoptée par l’ancien footballeur pour donner aux citoyens français un curieux rendez-vous : retirer tout leur argent des comptes bancaires !

Le 6 Octobre, la star de Manchester United donnait un entretien au quotidien Presse Océan, dans lequel il prônait effectivement une révolution : « La révolution elle est très simple à faire [...] S’il y a 20 Millions de gens qui retirent leur argent, le système s’écroule ». CQFD. Cette déclaration aurait pu n’être qu’une vidéo marrante de plus, partagée sur les réseaux sociaux entre internautes mi-amusés, mi-rêveurs. Mais il n’en fut rien, et les propos d’Eric le Rouge se sont propagés comme une traînée de poudre, entraînant dans leur sillage des milliers de Français, que dis-je d’Européens, se prenant à rêver une possible revanche sur le système bancaire, lequel est considéré par beaucoup comme l’ennemi public N°1. Et revoilà notre petite révolution : on parle d’une « révolution pacifique », de la « révolution Cantona », de la « révolution par les banques » !

Nous ne pouvons évidemment pas considérer l’idée de Cantona comme une révolution au sens où on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire comme un « brusque changement »[6] politique. Celle-ci doit en effet être effective, et une pensée ne saurait être synonyme de révolution que si elle revêt un caractère performatif. Il nous faut des actes ! Bien sûr, cette révolution-là, nos dirigeants n’en veulent pas, Christine Lagarde en tête, qui préfère danser la valse, et qui répondait ainsi au footballeur : « Chacun son métier ». François Baroin juge quant à lui tout cela « grotesque et irresponsable ». Irresponsable ? Le gouvernement jugerait-il possible une éventuelle adhésion des citoyens à l’appel de Cantona ? Il faut croire que la proposition du footballeur n’a pas été prise à la légère par les politiques. Et pour cause, un événement Facebook créé, et ce n’est pas moins de 35 000 personnes qui affirmaient leur volonté de participer, comprenez de vider effectivement leur compte le 7 décembre, de 27 000 indécis, et de 434 000 autres invités à faire de même. Plus, la réalisatrice Belge Géraldine Feuillien a relayé l’idée dans son pays, et a même monté un site, Bancrun2010.com, aussitôt traduit en six langues. Pour beaucoup, le mouvement généré par Cantona, bien malgré lui d’ailleurs, ne pouvait avoir de conséquence grave le 7 décembre, personne n’ayant effectivement le courage de vider son compte. Effectivement, nous n’avons pas assisté à la révolution rêvée par les utopistes et autres altermondialistes. Pourtant, l’inquiétude du monde politique et bancaire ne doit pas laisser indifférent : si Eric les a mis dans cet état, c’est qu’il a touché juste, et que la dangereuse idée maintenant lâchée, la date n’importe plus, elle va faire son chemin, jusqu’au jour où les gens, n’en pouvant plus d’être perpétuellement ponctionnés, courront à la banque, faisant ainsi de la parole de Cantona une parole dite révolutionnaire, « qui favorise ou provoque une révolution politique, un changement brusque et complet » [7]. Certains, comme Graubyalain, internaute réagissant sur le site du Figaro, n’ont pas grand-chose à perdre, et ne rêvent que de prendre leur revanche sur le système actuel : « Moi, chômeur étouffé par le système Sarko, je pense 7, je vis 7, je rêve 7. »

Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas encore à la veille d’une véritable révolution. Mais l’usage intensif du mot prouve au moins une chose : beaucoup de Français n’attendent que ça : Lagarde en parle pour flatter l’auditeur de France info, et à l’idée de renverser le système bancaire, des milliers d’internautes répondent présents. Il faut dire que depuis un bon moment, on a quand même l’impression d’être pris pour des c….

De plus, ces trois événements nous montrent que s’il est une vraie révolution à laquelle nous assistons tous en ce moment, c’est à celle d’internet, qui apparaît comme un formidable moyen de propagation des idées, pourquoi pas des plus révolutionnaires, et de rassemblement des masses. On comprend alors l’affolement du monde politique, première cible en cas de véritable révolte.

[1], [2], [3], [4] Le Robert, Dictionnaire Historique de la langue française, sous la direction de Alain Rey, Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992.

[5], [6], [7] Lumière du monde, le pape, l’Eglise et les signes des temps, Benoît XVI, Bayard culture, 2010.

Photographies : Cédric Chort

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