#2 Est-il possible d’élever un enfant sans père ?

30 décembre 2010
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Alors bon, quand on dit sans père, encore faut-il savoir de quoi on parle exactement. Si l’on est à cheval sur les mots, déjà, sans père, ce n’est pas possible, techniquement parlant. Il y a toujours un Papa qui a donné la petite graine, même s’il est anonyme, mort, ou parti. En d’autres termes, il y a toujours quelque chose à raconter à un enfant lorsqu’il demande : « Et moi, c’est qui mon Papa ? ».

N’oublions pas que nos chers marmots ont tendance à croire que le monde tourne autour d’eux, et, pour les plus jeunes, qu’ils peuvent y déclencher toutes sortes de choses par la seule force de leurs pensées. Le silence n’est donc pas à préconiser, car il laisse l’enfant s’imaginer tous les scénarios possibles autour de ce qui aurait pu pousser son père à disparaître. Et dans la majorité des cas, malheureusement, il va se donner le rôle du méchant. Ou il va le filer à quelqu’un d’autre, le plus souvent, la mère… Schématiquement, il en déduira soit qu’il n’est pas assez aimable, incapable de garder un père auprès de lui, soit que sa mère est une mauvaise femme, incapable de garder un mec. Bof, donc.

Expliquer, on a dit, pas dramatiser.

Donc, disons qu’il est probablement moins risqué d’expliquer à un enfant les raisons de l’absence de son père que de le laisser les trouver tout seul. Expliquer, on a dit, pas dramatiser. On essaie de faire en sorte que le gamin comprenne pourquoi Papa n’est pas là, pas qu’il le voit comme un monstre, ce serait contreproductif. Ben oui, ça peut sembler plus facile pour une maman démunie, et un brin défoulatoire, surtout si Papa est un salaud irresponsable, parti chercher des cigarettes depuis 3 ans et demi, ou un serial killer en taule pour 50 ans. Mais voilà, typiquement une fausse bonne idée : non, votre petit n’ira pas mieux s’il pense que son père est un con, il va juste avoir encore plus de mal à construire une image positive de lui-même.
« Raconter son père » à un enfant, pourquoi ne pas essayer de le faire sincèrement, simplement ? Des mauvais côtés, il en a certainement, peut-être même beaucoup, mais on peut sûrement trouver un petit quelque chose de positif à glisser dans le portrait… Bien sûr, lorsqu’il s’agit d’un père reconnu dangereux, dont l’enfant doit être protégé, on ne peut pas faire l’impasse sur la réalité, l’enfant a le droit de la connaître. Mais n’oublions pas qu’il a aussi le droit d’aimer son père, malgré tout. Et il doit savoir que cet amour ne fait pas de lui un être monstrueux.
Et si l’on n’a rien a raconter me direz-vous ? Têtue comme je suis, je dirais qu’il y a toujours quelque chose à raconter, mais en cas de donneur anonyme par exemple, on peut, en effet, être embêté. La loi évolue et il pourrait devenir possible pour l’enfant à sa majorité d’obtenir des données « non identifiantes » concernant le donneur, voire de le contacter si ce dernier l’accepte. En attendant, il est possible de se retrouver dans une situation où on n’a strictement aucune information sur lui. Alors, pour satisfaire la curiosité de votre marmot, pourquoi ne pas lui expliquer, en choisissant les termes en fonction de l’âge, bien entendu, l’aventure de sa conception, et le désir de son ou ses parents de le voir arriver ?

Jouer le rôle du père.

Ensuite, la vraie question que bien des mères (ou des beaux-pères, grands-parents, frères, soeurs, …) se posent, c’est de savoir si l’on peut jouer le rôle du père, à sa place en quelque sorte…La réponse facile, ce serait : mais non, voyons on a qu’un père ! Je serais plus nuancée. C’est vrai, on ne remplacera jamais un père, même si on en a toutes ses caractéristiques, mais là, il ne s’agit que de mots. Dans la plupart des bouquins de psychologie, on retrouve le père en position de « tiers dans la relation » et de « représentant de la loi ». Il est aussi censé amener à son enfant une « image masculine » à laquelle il pourra se référer plus tard, et s’identifier éventuellement, s’il le décide.
Pourquoi un enfant ne pourrait pas s’identifier à un beau-père, un oncle, un grand-père, un ami, pourvu que cette personne incarne une image qui vous semble positive ? Surtout qu’il ne faut pas être dupe, le gamin, il le fera de toutes façons, avec ou sans le consentement de sa mère, et avec, c’est toujours mieux. Pour ce qui est de la partie « socialisation », pourquoi ne commencerions-nous pas par accepter qu’un autre adulte, du moment qu’il est responsable et sain d’esprit, bien sûr, puisse cadrer nos chers petits quand ceux-ci débordent un peu trop ? Autoriser une autre personne que sa mère à avoir une relation de confiance avec un enfant, c’est lui offrir la possibilité d’être reconnu ailleurs que dans les jupes de celle-ci, la possibilité de recevoir, et d’apprendre encore plus. Sans oublier qu’autoriser une autre personne que sa mère à exercer une autorité sur un enfant, c’est aider ce dernier à éviter de se prendre pour le roi du monde, ce qui peut être utile, reconnaissons-le.

Pour appuyer mon propos, j’emprunterais une idée de Jean-Luc Tournier, psychothérapeute et psychosociologue que j’ai rencontré à plusieurs reprises. Selon lui, l’enfant a un besoin fondamental de parents sexués différemment, représentés par la poche maternelle et la poche paternelle. Pour que ces poches parentales puissent exister, il faut avant tout que l’enfant puisse connaître ses origines. Qu’il rencontre ou non ses parents biologiques dans la réalité, il faut qu’on puisse lui en parler, lui raconter leur histoire, d’où ils venaient… Ensuite, il faut que l’enfant puisse « valider » son origine. Le terme valider est choisi au sens strict, il ne s’agit ni d’honorer, ni de respecter, ou d’aimer, uniquement de valider leur existence et le lien de parenté établi. « Je reconnais que cet homme, c’est mon père ».

Il faut éviter qu’un seul parent prenne toute la place.

La qualité de ces fameuses poches doit aussi être suffisamment bonne pour qu’elles puissent ensuite être remplies. Pour commencer, il faut éviter qu’un seul parent prenne toute la place, empêche l’existence d’une autre poche, et interdise ainsi à toute autre personne d’être aussi un parent, ou simplement une figure d’attachement. Cela arrive surtout lorsque le parent est en grande difficulté, troubles psychologiques, et /ou psychiatriques, alcoolisme… Risque majeur : l’enfant s’identifie totalement au seul parent présent pour lui, sans avoir aucun moyen de s’en différencier, et de ne pas être capable de s’en séparer un jour.
Le deuxième scénario catastrophe, c’est si une ou deux des poches parentales est renversée, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas se remplir. Il y a une incohérence entre ce qui est dit à l’enfant et ce qui lui est montré, entre le propos, l’image parentale et ce que l’enfant ressent dans la réalité. Le problème, c’est qu’encore une fois, le petit à tendance parano va se dire que s’il ne ressent pas l’amour dont on lui parle, c’est parce qu’il est incapable d’aimer, c’est encore et toujours lui qui a un problème…
Et enfin, l’une des poches peut être déchirée, si l’un des parents disqualifie l’autre, l’humilie (même s’il n’est pas là). C’est alors l’identité même de l’enfant qui est touchée et mise en danger. Une mère qui associe tous les hommes à un comportement malsain déchire la poche paternelle, tout comme un père qui tient un discours machiste déchire la poche maternelle. Même une personne extérieure à la famille peut causer de tels dégâts s’il adopte une attitude méprisante.

Un enfant peut avoir plusieurs figures parentales.

Mais comment on les remplit ces poches, me direz-vous. Et bien l’existence de deux parents différemment sexués nous a servi à créer le contenant, mais elle n’est pas essentielle pour le contenu. L’enfant va garnir sa poche au fil de ses expériences affectives et éducatives grâce aux différents adultes qu’il va rencontrer et pour qui il va compter.
Les uns ne se substituent pas aux autres, ils se complètent, c’est la pluriparentalité, ou parentalité partielle : un enfant peut avoir plusieurs figures parentales, ce n’est pas un problème, sauf s’il manque un des deux genres. Ce qui, encore une fois, ne signifie pas qu’un enfant vivant dans une famille mono-parentale ou auprès d’un couple homosexuel est d’avance condamné à un malheur éternel. En effet, un oncle, une tante, un beau-parent, un parrain, une marraine, un instituteur, une éducatrice peuvent tenir ce rôle.
Et rappelons tout de même que certains papas font davantage de dégâts en étant là… Que d’autres voudraient bien participer mais se voient refuser ce droit pour des raisons malheureusement étrangères à l’intérêt réel de l’enfant… Et que certains hommes peuvent être plus maternants que certaines mères, et qu’il y a des femmes qui représentent bien mieux la loi que certains pères…

Et si nous essayions d’arrêter de courir après un idéal généralement jamais atteint, même quand on a la chance de rassembler toutes les conditions requises au départ, pour commencer à faire avec ce que nous avons ? Ce serait probablement moins anxiogène pour tout le monde, et aussi beaucoup moins frustrant, non ?

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7 Responses to #2 Est-il possible d’élever un enfant sans père ?

  1. anissa
    6 novembre 2014 at 6 h 35 min

    Jai perdu mon mari depuis 9mois et jai 3enfants 2 de 8ans et 1 de 7ans c’est très dure car il n’ont plus peur de tout avant il y avait une limite de certaines réaction ,depuis le DC du papa rien ne leur fait peur,comment gérer cette situation c’est infernanle.je passe mon temps a leur crier dessus car il nil ne mecoutent plus est ce n’est pas ma nature les cris.jattent vraiment un conseil de vous.je vous remercie d’avance.

  2. Claire De Sulauze
    11 février 2013 at 13 h 06 min

    Bonjour,

    Je suis journaliste pour la nouvelle chaîne Chérie 25 (destinée en priorité aux femmes sur la TNT).
    Je prépare actuellement un documentaire de 80 minutes sur les parents qui se séparent et qui décident d’un commun accord de laisser la résidence principale au père des enfants, de manière provisoire ou définitive. Pour des raisons aussi diverses et variées qu’il existe de situations familiales différentes.
    Vous l’avez compris, je suis donc à la recherche de témoignages de pères et de mères qui pourraient me raconter pourquoi, comment ils ont pris la décision et comment chacun, et les enfants bien entendu, vivent ou ont vécu cette situation.
    J’espère que vous pourrez m’aider à trouver ces témoignages. Ils ne sont pas communs mais ils existent ! Ce documentaire sera diffusé à 20H30, heure de grande écoute.
    Je vous remercie par avance,

    Cordialement,
    Claire de Sulauze
    claire.desulauze@gmail.com
    0622281598

    • Vallet frederic
      26 novembre 2016 at 22 h 19 min

      Bonjour. Je suis le papa de Marc, 1 an passé… je vis seul avec lui et gère totalement son éducation. Après décision de justice, sa maman a été déclarée inapte à l’éduquer j’ en ai donc aujourd’hui la garde complète pour mon plus grand bonheur. Mon histoire est longue et compliquée mais aujourd’hui mon fils est à l’abri et vis dans la joie et le bonheur. Je me rend compte que mon cas est isolé car les sites que je regarde palet surtout de « maman seule » et jamais de papa seul…. voila,si mon témoignage peut vous servir… cordialement

  3. Lointaine
    28 mai 2011 at 12 h 06 min

    Bonjour Social Girl,
    Et dans le cas d’un papa devenu handicapé « mental » à la suite d’un accident juste après la naissance du bébé et qui ne joue donc plus son rôle de père ? Quels conseils donneriez-vous à la maman afin que ce petit bout d’homme se construise du mieux possible ?
    Merci d’avance.

  4. Rebecca Yulli
    6 janvier 2011 at 13 h 58 min

    Bonjour SocialGirl
    j’ai l’impression que l’article ne concerne que les familles monoparentales hétéro. Ca m’intéresserait de savoir quel point de vue ont les psy et travailleurs sociaux, et quelles sont leurs constatations sur les familles fondées par les lesbiennes. Je suis persuadée que ça se passe bien mieux que ce qui est prédit par les conservateurs. Est-ce que tu as des éléments là-dessus ?

    • SocialGirl
      13 janvier 2011 at 7 h 56 min

      Bonjour Rebecca Yulli !

      Désolée de te répondre si tard… Je ne peux pas répondre à ta question, parce que d’un point de vue professionnel, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec des parents homosexuels. Personnellement, je ne vois pas pourquoi l’homosexualité de parents aurait une incidence directe sur le bien-être de leur enfant. Je peux constater jour après jour que ce qui compte le plus pour qu’un enfant se construise sereinement, c’est l’attention et les soins qu’il reçoit…
      Au niveau des recherches, il semble n’y avoir que peu de chercheurs qui se soient penchés sur cette question, mais j’ai trouvé cet article très fouillé, Homoparentalité et développement de l’enfant : bilan de trente ans de publications,

      à cette adresse :
      http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=PSYE&ID_NUMPUBLIE=PSYE_481&ID_ARTICLE=PSYE_481_0271&REDIR=1

      J’espère que ça te renseignera !

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