Le toxique du mois – fiche technique #2 : le Père Sur-autoritaire

15 décembre 2010
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S’il est un toxique complexe à neutraliser, c’est bien le père autoritaire. Je ne parle pas du papa un peu trop présent qui donne son avis surtout, qui s’immisce parfois lourdement dans la vie de ses enfants et pique une crise par an sur leur mode de vie. Ceci est somme toute relativement courant et réveille la question des limites qu’un parent doit avoir vis-à-vis de son enfant, question à laquelle on peut souvent répondre avec une franche et saine discussion entre adultes intelligents.
Non, le père auquel je pense est un névrosé patenté, qui élargit sa position d’autorité jusqu’à des frontières inacceptables et joue avec ses enfants comme avec des pantins. Bienvenue dans l’horreur de la sur-autorité.

Description.

Dans la tête : Le père autoritaire a un souci avec le concept de puissance, qui passe forcément chez lui par l’idée de domination. Beaucoup de sociétés méditerranéennes fonctionnent sur un schéma patriarcal où la parole du père a valeur d’Evangile. Mais le phénomène est international, et ne se limite pas au seul triangle Madrid-Tunis-Athènes. La décision paternelle faisant force de loi, il est courant que son expression soit l’occasion de marquer son territoire en pissant acide dans tous les recoins de la maison.
On croit souvent que cette folie de la domination domestique vient d’un manque de reconnaissance extérieur. Ce n’est pas toujours le cas. Souvent oui, le père autoritaire va compenser un mépris de sa hiérarchie ou une difficulté d’emploi en jouant le despote avec femme et enfants. Mais pas toujours : parfois les sphères privées et professionnelles se rejoignent pour montrer un tyran constant, harcelant de manière comparable sa famille et ses employés.
Le contexte étant finalement peu révélateur d’un problème d’autorité, attachons-nous aux actes et paroles de notre cobaye du mois pour savoir si, oui ou non, Papa est un Sur-Autoritaire qui s’ignore.

Comment le repérer ?

Les armes du Papa Sur-Autoritaire sont multiples et amèneront toujours à une domination sur l’entourage.
  • Le dénigrement

La première arme du PSA est la parole. En position dominante par essence sur ses enfants, il peut commencer à faire des dégâts non négligeables sur sa progéniture en lui expliquant en substance qu’elle n’est qu’une fiente de pigeon. Cela passera de remarques insidieuses au moment où il devrait se montrer encourageant à la plus parfaite expression d’un mépris assumé.
L’indifférence, réelle ou calculée, peut également faire partie de l’arsenal : un « Hein ? Ah, tu as fait quoi ? C’est bien, c’est bien… » sans un regard peut faire un bon début pour créer des troubles de l’estime chez le petit enfant venu présenter son dessin. Estime qui se verra de plus en plus fracassée à mesure que l’enfant grandira : de nombreux actes d’auto-destruction physique, mentale et sociale prennent leurs bases dans ce manque de regard. Une scarification ou une prise immodérée de drogue chez l’adolescent sont souvent une provocation aux parents. Tout mais pas l’indifférence. [1]

  • Le contrôle des mouvements

Si Papa demande à ce que vous rentriez à minuit alors que vous avez allègrement passé la trentaine, ce n’est pas forcément signe d’un abus de pouvoir. Il est peut-être maladivement inquiet, ce qu’il faut lui dire gentiment, et, de toute façon, que faites-vous encore chez vos parents à trente ans et des brouettes ? Ne serait-il pas un peu temps de prendre votre envol [2]?

Par contre, si toujours à trente ans passés, votre père vous harcèle de coups de téléphone pour savoir où vous êtes alors qu’il est dix-huit heures et que vous comptiez aller boire un verre avec des collègues, s’il exige – oui, oui, exige ! – que vous lui remettiez un double des clés de votre appartement – en cas de problème, bien sûr… – qui lui permet de faire régulièrement une petite inspection, si, encore mieux, il a décidé d’aménager la cabane au fond du jardin pour vous en faire un studio, il va falloir sérieusement envisager de prendre des distances. Physiquement, j’entends. Physiquement, habilement et rapidement. Parce que dans sa tête, vous avez quatre ans, des couettes et des bleus au genoux, et il va falloir batailler pour lui faire comprendre que vous avez une vie à vivre dehors.

  • Le contrôle par l’argent

L’indépendance financière est l’indépendance sociale. Pas la peine de faire une démonstration en vingt-sept parties, si vous avez des doutes, vous n’avez qu’à aller discuter avec un chômeur longue durée pour vous faire une petite idée de la question. Bref, l’argent est LE levier de domination, la puissance absolue, et pas seulement dans les thrillers financiers où le héros doit choisir entre son intégrité et une grosse valise pleine de fric. A moindre frais, tout simplement parce que l’argent manque, le père dominateur peut utiliser cet aspect de la vie courante pour tenir son entourage, selon la logique de qui a l’argent a le pouvoir, qui ne l’a pas doit demander. Ou quémander. Voire supplier. Et se résigner quand le tyran décide que le jeu a assez duré et que son envie de servilité a été suffisamment assouvie.
Ou alors, il donne. Il donne à un moment, parce que vous en avez besoin, parce que vous construisez quelque chose, parce que vous subissez un coup dur. Ce don, vous allez le payer toute une vie, il sera sur le tapis à chaque réunion, chaque rencontre, chaque tête à tête. La moindre contrariété à votre père et il vous rappellera comme il vous a sauvé la mise, et pour quoi ?! Pour de l’ingratitude, enfant indigne ! Si c’est un prêt, vous allez également en entendre parler dans les grandes largeurs, non pas sur le mode sain et discret, à deux dans la cuisine au moment de la vaisselle, « Dis, ça fait deux ans que je t’ai prêté cette somme, tu comptes me la rembourser quand ? », mais dans un étalage son et lumière en pleine réunion de famille, où vous allez passer pour un enfant irresponsable et profiteur. Dénigrement biaisé, mais dénigrement tout de même : c’est toujours crispant de se faire humilier devant une grande tablée, non ?

  • La coupure sociale

Votre mère ne travaille pas. Oui, bon, c’est le cas de beaucoup de femmes qui sont parfaitement heureuses de leur statut de femme au foyer.Développons : votre mère ne travaille pas parce que votre père le lui a demandé. Vous répondez non, cela procède donc de son choix, RAS du côtéde Papa. Vous répondez oui, on commence à être sur une autre dimension.Sans doute est-ce un accord entre adultes, la famille d’abord, je gagne assez pour deux, je préfère que tu sois avec les enfants…Admettons. On peut se retrouver face à une femme qui s’est dit chouette, je vais être une mère à plein temps, opinant joyeusement du chef quand son conjoint lui propose de rester at home, et qui se retrouve le bec dans l’eau et vaguement frustrée de ne plus avoir de vie professionnelle quand les enfants grandissent. Toujours rien d’alarmant, elle en discute avec ses copines autour du café de l’après-midi et se demande ce qu’elle pourrait bien retrouver comme boulot à son âge et en cette période de crise, ben oui, c’est pas simple ma bonne dame. Troisième option, votre père a exigé que votre mère reste à la maison. Parce que c’est son rôle. Parce que l’homme travaille à l’extérieur, la femme s’occupe de la maison. Parce que lui ramène l’argent, elle n’a pas à s’en occuper. Parce que Homme chasser Mammouth et Femme ramasser Baies et Nourrir Petits.
Moui, alors, là, alerte rouge. Si vous êtes dans cette situation, vous devez déjà être au courant, merci, je ne vous apprends rien, je suis même en dessous de la vérité, mais alors vraiment à quelques sous-sols de décalage, et mon papier est une vaste fumisterie. Oui, d’accord. Mais ça peut faire tilt pour des gens qui n’ont pas toujours les yeux en face des trous, donc je continue.
Si le père, dans ses actes et ses choix, impose à la maisonnée une coupure quasi-totale vers l’extérieur, on a sans doute affaire à un malade qui se crée un univers de playmobils version géante pour répondre à ses pulsions dominatrices. Fais-ci, fais-ça, viens ici, va me chercher ça… L’injonctif est son type de phrase préféré, le dialogue est impossible et la terreur qu’il impose est palpable rien qu’en entrant dans la pièce.
En général, le terreau est assez fertile pour voir se développer le point 5, qui arrive de suite et fait mal à écrire.

  • La violence physique
Soyons clairs, la presse écrite est remplie de faits-divers mettant en scène des pères abusifs. Régulièrement, des femmes battues et tuées par leur compagnon, des enfants violés et torturés, apparaissent dans les colonnes des journaux. Là, nul doute n’est possible, on a affaire à des sociopathes dénaturés qui ont malheureusement eu la marge de manœuvre suffisante pour arriver à des conséquences atroces. Je ne développerai pas plus, il y a Faites entrer l’accusé pour ça.
La violence physique peut être plus quotidienne, à coups de baffes qui tombent sur la mère ou les enfants, d’objets lancés sans atteindre leur cible, de destruction de matériel qui impressionne suffisamment l’entourage pour créer ce fameux climat de terreur où plus rien ne bouge. Dans ce cas, l’entourage est souvent anesthésié par la peur et, perspective incroyable quand on vit dans un univers serein, habitué à cette ambiance de violence même pas latente. Car oui, force est de constater qu’on peut s’habituer à tout et intégrer une violence inacceptable comme la norme d’une vie quotidienne. On note souvent la présence d’alcool ou de drogues à haute dose, mais ce n’est pas une obligation : les accès de violence peuvent aussi être provoqués par du pas grand-chose même pas soutenu par des substances illicites.

Les phrases qui doivent faire tilt

On commence à se méfier quand on entend de façon répétée :
- Mon fils / Ma fille me déçoit. Souvent. Toujours.
- Je ne sais vraiment pas ce qu’on va faire de toi…
- Tu dis vraiment n’importe quoi ! dès que vous ouvrez la bouche.
- Ah non, tu te débrouilles ! alors que vous êtes objectivement dans une merde noire et que ce n’est pas habituel (oui, parce que si vous êtes un prince ou une princesse au petit pois qui fait régulièrement son caprice, votre père vous rend service, là !)

On envisage sérieusement de couper toute relation quand on entend :
- Tu n’arriveras jamais à rien.
- Tu me fais honte.
- Tu n’es qu’une merde.

Je vous fais grâce du panel d’insultes que je ne souhaite à personne, mais, quand la violence verbale prend des proportions aussi destructrices, père ou pas père, fuir est l’unique solution. Mettre mille bons kilomètres entre le paternel et soi-même est un acte de sauvegarde tout à fait salutaire.

Système de défense

  • La fuite, donc, grâce au boulot, à l’amour (à condition de ne pas tomber de Charybde en Scylla…), on file loin, très loin. On met du kilomètre entre lui et nous, de façon à couper le lien nocif qu’on entretient en restant.
  • On garde des contacts sporadiques, quitte à bloquer le téléphone et à instaurer de soi-même l’appel bi-mensuel. A prendre ou à laisser.
  • On fait le mort avec le père, on ressuscite aux yeux du monde. On explique calmement à la famille que ça ne va pas du tout avec Pôpa, qu’on prend donc ses distances et qu’on donnera des nouvelles. Dur mais efficace, si on s’y tient.
  • On peut faire une lettre. Oui, oui, une lettre, envoyée par la Poste avec un timbre. L’écrit permet de garder une distance et de mettre en forme ce qui n’est à la base qu’une somme d’émotions brutes et douloureuses. On peut espérer une remise en cause.

Si le cas est désespéré, violence au dernier degré, écoutilles fermées et dénigrement trop nocif pour soi, la rupture complète est à envisager. Une relation destructrice, quelle qu’elle soit, reste une relation destructrice, et il faut s’en échapper pour pouvoir survivre.
L’appel à la Police est également une possibilité si la main est levée trop haut ou trop souvent. Pour rappel, c’est le 112.

En espérant que vous ayez autant de chance que moi qui ai un père méditerranéen normalement pénible, et que cet article ne vous aura servi qu’à porter un peu plus d’attention aux pères des autres.

Bonne route, et regardez derrière vous.

[1] © Jean-Jacques Goldman. Oui. Et alors ? C’est comme ça. Parce que j’aurais pu faire un pavé autour d’une comparaison entre l’enfant qui se scarifie et Dom Juan qui libertine pour provoquer Dieu, Ô père suprême, mets-toi en colère, prouve-moi que j’existe à tes yeux, foudroie moi mais vois moi, par pitié, avec une petite incursion christique qui nous fournirait une belle interprétation freudienne du Pourquoi m’as tu abandonné ?, mais non. Pour le coup, je préfère les années 80, Jean-Jacques et ses paroles simples. D’ailleurs, il cause comme le ferait Dom Juan : Je donnerais des années pour un regard. Et des fois, la culture populaire, c’est beau et ça repose. Parole de Fauteuse.
[2] © Marie-France, môman de Giuseppe, in Qui veut épouser mon fils, TF1 productions, 2010

Photographies : Cédric Chort

Les toxiques du mois :
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2 Responses to Le toxique du mois – fiche technique #2 : le Père Sur-autoritaire

  1. Margot
    28 août 2014 at 19 h 44 min

    Mon père est exactement comme ça … :( Mis à part la violence physique. Il passe tout son temps à me rabaisser plus bas que terre et à me signifier sa honte de moi. En plus il veut me forcer à vivre avec lui trois années de plus(Je rentre en fac de droit l’an prochain) alors que je ne le supporte plus, mais plus du tout. Je ne sais pas du tout quoi faire. Si je pars il me menace de ne plus rien me payer et de me laisser toute seule. Et ma mère est de son côté :/

  2. Giraudeau
    11 janvier 2013 at 17 h 11 min

    Bonjour,

    Dans le cadre d’un projet de documentaire pour France 4 nous sommes à la recherche de différents types de papas pour témoigner de leur paternité. Nous recherchons donc aussi des papas autoritaires, voila pourquoi je me tourne vers vous suite à la lecture de votre blog.

    Pouvez vous soit diffuser ma recherche auprès de vos lecteurs soit pour vous meme si vous vous conciderez comme un pere autoritaire !

    N hesitez pas à revenir vers moi !
    Mon mail : papadocutv@gmail.com

    Bien cordialement.
    Elisa Giraudeau
    01 53 93 18 65

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