#1 Le Conflit – la femme et la strip-teaseuse

15 novembre 2010
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Il y a quelques temps jaillirent sur le devant de la scène des troupeaux de mamelles allaitantes qui, pleines de bienveillance – comment en serait-il autrement ? –, se mirent à revendiquer le droit à l’allaitement pour tous, et surtout un devoir pour toutes. Assentiment, révolte, dévotion, protestation, appel, le débat était lancé. Deux clans se formaient. Élisabeth Badinter, dans Le Conflit – la femme et la mère [1], dégageait le pour et le contre, mais surtout rappelait que chaque femme doit se sentir réellement libre dans ses choix.

Ce giron convoité, protégé, offert ou refusé refait surface d’une tout autre façon avec la mode des strip-tease, pole-dance et autre retour du burlesque, que nous appellerons tout simplement le phénomène pin-up. Cette omniprésence du push-up, ces nouvelles marques de lingerie affriolante lancées par des stars féminines du strip-tease et même du porno, la mode du décolleté fourni et l’exil forcé des pauvres planches à pain interroge.
Aujourd’hui, la femme mariée et respectable peut prendre des cours de déshabillage orchestré, à la MJC du coin, ou presque. Elle en a le droit, puisque c’est la mode. Madame va apprendre à faire ce qui était autrefois réservé à la poule de Monsieur. Madame s’approprie le truc en plumes. Et une révélation éclate au grand jour : les femmes mariées ont une sexualité.

Est-ce un nouveau choix qui s’offre à la femme ou bien se cache-t-il derrière cette apparente frivolité un retour de la femme à une place qu’on ne voudrait pas la voir quitter ? Serait-ce un nouveau devoir pour Bobonne de se désaper coquinement ?

À la relecture du Conflit, il semblerait bien qu’un parallèle de point de vue puisse exister entre allaitement et effeuillage. Comme pour la question de la maternité, les féministes ont bouleversé les codes et les femmes ont investi les sphères masculines. Bien. Du coup, une petite angoisse perle au front : mais où sont les femmes ? Vite, il faut retrouver sa féminité. Et la première solution qui se présente est d’être femme jusqu’au bout des seins. Solution séduisante, qui plaît à tout le monde (c’est là qu’est l’idée) : Madame se sent libérée, Monsieur est satisfait. Que demande le peuple ? Et la femme retourne dans la case bien formatée qu’elle cherchait à éviter.

Petit panorama de phrases extraites de l’essai d’Élisabeth Badinter (sur la femme et la mère) et appliquées au phénomène pin-up.

« Dès lors qu’hommes et femmes peuvent assumer les mêmes fonctions et jouer les mêmes rôles – dans les sphères publiques et privées –, que reste-t-il de leurs différences essentielles ? » (p.12) Montrer ses seins et ses fesses serait effectivement un moyen de s’assurer encore que des différences persistent. Ce serait aussi une façon d’affirmer sa féminité ?

Suite à la question « Pourquoi fait-on des enfants ? » posée aux femmes et aux hommes, Élisabeth Badinter fait remarquer que « l’hédonisme accède au premier rang des motivations, sans qu’il ne soit jamais question de sacrifice ou de don de soi. » (p.22) Les femmes qui pratiquent le burlesque ne disent pas autre chose : il s’agit avant tout de se faire plaisir. Et, en aucun cas, il ne faut y voir une renonciation de quelque sorte. L’effeuilleuse reste en possession de son corps.

La philosophe évoque le grand pouvoir du « “retour à la nature”. À vouloir la dominer et faute de l’écouter, nous aurions perdu notre boussole et courrions à notre perte. Il serait temps de reconnaître que nous nous sommes fourvoyés et de faire notre mea culpa, collectivement et individuellement. Ce que nous pensions être libérateur et progressif se révèle aussi illusoire que dangereux. Certains n’hésitent pas à proclamer que la sagesse est ailleurs, pour ne pas dire hier… » (p.52) Le retour à la nature, c’est aussi l’acceptation de sa nature féminine, de ses formes, qui se doivent d’être généreuses pour bien se différencier des lignes masculines. Il devient alors sage de mettre en valeur ses attributs féminins, grâces aux modes anciennes, qui préservent les femmes de l’androgynie. S’ils restent des soutiens-gorge à brûler, ce sont ceux à armatures sportives.

L’auteur cherche à expliquer les arguments de certains en faveurs de l’allaitement. « Ils s’appuyèrent principalement sur l’éthologie (science des comportements des espèces animales) pour rappeler aux femmes qu’elles étaient des mammifères comme les autres » (p.68). Avec des mamelles, donc ?

« Après la liberté joviale et innovante des années soixante-dix, de nouvelles normes s’imposent » (p96). On a brûlé ses soutiens-gorge, désormais, on les rembourre. Vive les wonderbra et le silicone !

L’écrivain dénonce la Leche League qui « rappelle aux mères que leurs seins appartiennent en priorité à leur bébé et qu’ils ont été créés pour nourrir. » (p.106) Les seins n’appartiennent donc pas aux femmes ? On peut donc les montrer avec de jolies pasties dessus ? Le téton étant, on l’a compris, réservé à Bébé.

Élisabeth Badinter dévoile le pot aux roses en expliquant que « “Plutôt que de présenter l’allaitement comme un devoir des femmes, c’est bien en revendiquant un droit que les mères ont su redonner à l’allaitement son caractère naturel. (…)” D’aucuns apprécieront la transformation positive du “devoir” en “droit”. » (p.132) Voilà, c’est là toute l’astuce, transformer une obligation en liberté. Et hop ! Ni vu, ni connu, j’t’embrouille… Ce n’est plus un devoir pour Madame d’être séduisante, c’est un droit. Qu’elle s’empresse de le revendiquer et ce sera parfait. Retour à la case départ.

La philosophe se pose alors une question toute féministe : « Le rôle de l’homme dans tout ça ? » Pour répondre, elle donne la parole à Edwige Antier : « “réintroduire la mère dans sa féminité […] offrir un bouquet de fleurs, garder le bébé, le temps que la jeune mère aille chez le coiffeur, lui dire combien il la trouve belle… ”» [2] Et voilà… Il faut réintroduire la femme dans sa féminité. Et qu’est-ce que la féminité : avoir de jolies choses, être bien coiffée, se sentir belle. Le burlesque, c’est la solution trois en un, pour ces dames.

Pour finir, Élisabeth Badinter évoque l’exception féconde, Le cas des Françaises, dernier chapitre de son ouvrage. « En revanche, exiger de la mère qu’elle sacrifie la femme qui est en elle ne peut que retarder plus encore l’heure de la première maternité et même la décourager. » (p.251) Revendiquer la femme, la féminité de prime abord, c’est réussir à caser la maternité quelque part, à tous les coups. Mettre les seins en avant, c’est, tôt ou tard, pouvoir rappeler à quoi ils doivent servir. Et réconcilier enfin, comme le suggère Gigi Beauchamp, la maman et la putain en une seule femme, Bobonne.

Montrez ce sein que vous ne sauriez oublier.

[1]Élisabeth Badinter, Le Conflit – la femme et la mère, Flammarion, 2010.

[2]Edwige Antier, Vive l’éducation !, Robbert Laffont, 2003, p.44-45.

One Response to #1 Le Conflit – la femme et la strip-teaseuse

  1. Elise
    15 décembre 2010 at 20 h 42 min

    Magnifique article!
    Je pense moi aussi que si le féminisme, a, en quelque sorte, « échoué », ou plutôt s’est essoufflé, c’est à cause de cette transformation de « devoirs » en « droits ». La femme a le droit de se maquiller, de mettre des mini-jupes, d’être attirante et excitante…Les femmes ont-elles oublié que leurs aïeules se sont battues pour porter le pantalon? Ne se rend-elles pas compte de la manipulation soi-disant féministe (pardon, le mot politiquement correct est « anti-sexiste »)pour les transformer peu à peu en objets sexuels d’après la libération des moeurs?
    Il est bon de défendre ses droits, mais il est aussi bon de savoir utiliser ses droits à bon escient.

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