#6 Baby Clean

15 avril 2011
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Les Fauteuses inaugurent une nouvelle rubrique, »L’Ecriture », dans laquelle vous retrouverez des créations littéraires. Paul Art ouvre le bal ce mois-ci avec une nouvelle, Baby Clean.

Baby Clean


Un plumeau ? Et pourquoi pas une plume dans le cul ?

Elle déballait avec anxiété, mais aussi avec une pointe de curiosité agacée, le paquet contenant le matériel de la parfaite Baby Clean. Un tablier, de la lingerie, des chaussures à talons. Le tout à sa taille, comme prévu. Et un plumeau, rose, bien entendu. Si elle avait presque fini par accepter de s’imaginer en lingerie devant un gros type affalé sur un canapé, la perspective d’avoir ce plumeau rose à la main la laissait sans force et sans voix. Encore quelques heures pour digérer et retrouver le sourire, dût-il être de façade.

Trente euros par heure de travail, au minimum. Plus de quatre fois le smic. Inespéré. De quoi arrêter pour un moment les petits boulots qui deviennent peu à peu des boulots comme les autres.

« Cherche jeune femme sérieuse, dynamique et souriante pour effectuer des ménages chez des clients de confiance. A partir de 30€ net / heure. »

En lisant le journal, elle avait tout de suite été tentée, beaucoup trop pour pouvoir s’arrêter en chemin. Il ne lui restait plus que quelques dizaines d’euros sur un compte atrophié qui menaçait chaque jour un peu plus de s’écrouler pour de bon. Pour la forme, elle avait un peu lutté avant d’appeler parce qu’elle reniflait parfaitement le coup fourré. Bien sûr qu’il ne s’agissait pas de ménages comme les autres.

Le lendemain, le sourire gêné et avenant de l’homme blond qui lui faisait face ne l’avait pas détrompée. Trente euros, minimum, pour se transformer en une jolie petite Baby Clean, pour se glisser dans une tenue coquine et faire le ménage, rien que le ménage. L’homme avait été très clair, presque explicite malgré sa gêne : hors de question d’accepter quoi ce soit d’autre. Autrement, pour lui, et pour elle, c’étaient les problèmes assurés. Et puis quoi, il n’était pas un proxénète non plus ! Il avait une mère, une femme, des filles. Il parla de morale avec gravité. Et les clients signaient un contrat scrupuleux, en plus d’être sélectionnés avec soin. Comment ? Elle n’avait pas à s’en soucier, il suffisait de lui faire confiance. Elle allait récupérer à peu près la moitié de la somme versée, une somme qui pouvait varier selon la formule choisie par le client. Plus elle serait dénudée, plus le tarif serait élevé. Sa part pouvait monter jusqu’à soixante euros. Il tint pourtant à la rassurer. Elle garderait toujours un soutien-gorge et un string. Elle n’avait rien à payer, rien à fournir, rien, excepté son corps et son sourire : le matériel était gracieusement prêté par la société. Il fallait juste faire le ménage en étant séduisante et sexy. « Séduisante, mais élégante ! » ajouta-t-il solennellement en levant l’index de sa main droite vers une affiche punaisée au mur. On pouvait y voir, sous le logo de la société, une soubrette concentrée, penchée sur son aspirateur. Oh ! Ce n’était sans doute pas le boulot de ses rêves, il le savait parfaitement, et mieux, il le comprenait, mais il en valait bien d’autres, après tout, ce travail.

Elle avait balayé des yeux le contrat qui lui était destiné. Elle avait signé tout de suite, malgré des réticences qu’elle sentait gonfler au fond de sa conscience fatiguée. Elle avait soigneusement évité d’y réfléchir sérieusement, parce qu’elle savait qu’à trop hésiter, elle allait forcément faire demi-tour et renoncer. Elle n’avait plus qu’à attendre qu’on l’appelle.  Il lui suffirait ensuite de passer chercher son nécessaire de travail.

En sortant du petit immeuble qui abritait les modestes locaux de Baby Clean, elle vit une femme s’approcher d’un pas sûr. Elle pouvait avoir une trentaine d’années, elle avait les cheveux courts et bruns et elle imposait sa démarche affirmée, presque hautaine. On pouvait lire sur son visage fermé l’objet de cette rencontre. Elle attaqua sans crier gare :

« Vous avez signé ? Je sens que vous l’avez fait, lâcha-t-elle, la bouche pincée.

- Signé ? Signé quoi ?

- Arrêtez un peu, je sais parfaitement d’où vous venez. Le dossier Baby Clean, je le suis depuis un moment, et, ajouta-t-elle après une légère pause, t’as tout à fait la tête de l’emploi.

- Dites, on se connaît en fait ? Ca m’a échappé.

- Allez, c’est bon. On va pas non plus perdre notre temps en courbettes. Moi, j’ai l’habitude d’aller droit au but et sans tourner autour du pot. Clémentine Cavecanem, annonça-t-elle sans lui tendre la main. Je suis journaliste, à mon compte, j’ai mon propre blog en fait, je publie des articles, des enquêtes sur la cause des femmes, cette cause sur laquelle tu vas cracher en jouant la soubrette. Tu vois sans doute de quoi je veux parler, non ?

- J’en ai une vague idée, mais, je crois – tu permets que je te tutoie aussi ?- que tu perds ton temps, parce que tes leçons, j’en ai vraiment rien à foutre.

L’autre encaissa sans sourciller et elle reprit sans tarder, les yeux écarquillés et la rage aux lèvres. A présent, ses bras s’agitaient et battaient l’air.

- Sérieusement, écoute-moi. Comment tu peux t’imaginer en train de faire la pute comme ça ? Enfin je parle des putes mais elles, au moins, elles assument ce qu’elles font. Tu t’y vois vraiment ? Te déguiser. Te dandiner pendant qu’un gros con te reluque tranquillement le derrière. Et le soir, c’est ton cul qu’il va voir ce type quand il se branlera.

- Ecoute, vous ne savez rien de moi, toi et ton blog à la con. Elle tenta de reprendre son souffle et de retrouver son calme. Des tenues, j’en ai déjà portées un paquet. Ce sera pas mon premier boulot de merde, mais celui-là, au moins, il sera correctement payé. Alors tu as plutôt intérêt à me lâcher. Connasse. »

Elle s’éloignait déjà à grandes enjambées, tandis que l’autre la fixait de ses grands yeux sombres. Elle fit une centaine de mètres, tourna la tête et vérifia qu’elle n’était pas suivie.

Elle attendit quelques minutes sous l’abribus, pensive, remâchant sa colère et sa honte, puis elle monta dans le bus qui devait la ramener chez elle. Le voyage ne fut qu’une traversée aussitôt oubliée. Une demi-heure plus tard, elle était dans son studio. Assise sur son lit, une cigarette se consumant entre les lèvres, elle se regarda longuement dans la psyché qui lui faisait face. Le soir, elle se glissa sous sa couette le ventre vide et la tête pleine, gorgée d’images.

Le matin, en allumant son portable, elle remarqua qu’elle avait un message de Baby Clean. Toujours l’homme blond. Elle devait rappeler dès que possible. Elle le fit sans tarder, sans prendre le temps de réfléchir. Elle avait donc déjà un client, pour la fin de la journée, de 17H à 18H. String et soutien-gorge, la formule la plus chère. L’homme prit une voix douce et multiplia les marques de confiance et d’encouragement. Elle allait faire une Baby Clean sen-sa-tio-nnelle. Il l’attendait pour lui remettre son paquet : il avait tout préparé lui-même, avec le plus grand soin.

L’aller-retour fut mécanique. De retour dans son studio, elle déballa son nécessaire de travail. Un tablier, de la lingerie, des chaussures à talons, et un plumeau, rose. Il lui restait quelques heures pour retrouver un peu de calme et de confiance.

Il habitait au cœur du Vème arrondissement, au dernier étage d’un petit immeuble encastré entre deux bâtiments plus imposants. Elle n’avait qu’un nom et une adresse. Un rapide coup d’œil sur l’interphone lui confirma qu’elle n’avait pas fait fausse route et elle ne sut si elle était soulagée ou contrariée. Elle allait donc appuyer sur le petit bouton, monter dans l’appartement, se changer dans une pièce fermée et se transformer en Baby Clean.

Une légère pression sur le bouton.

« Je vous ouvre », ronronna une voix étrange, sans qu’elle n’ait eu besoin de prononcer le moindre mot.

Elle gravissait machinalement l’escalier en bois, elle avançait comme on glisse et on s’enferme dans un songe opaque, gardant toujours les yeux ouverts, mais l’esprit ailleurs, tentant de rester en bas, de rebrousser chemin vers le bus pour retrouver son studio. Elle devait aller jusqu’au quatrième, et elle avait volontairement négligé l’ascenseur. Elle trébucha avant d’atteindre son étage et posa la main sur une marche sale. Elle respira quelques instants, le souffle âcre et court, puis elle leva les yeux. La porte était à peine entr’ouverte. Elle vit pourtant dans le judas une ombre qui disparut à son approche. Pas d’erreur, elle était attendue.

Elle poussa une lourde porte qui possédait une étonnante série de serrures, et elle se contenta de fixer le sol, un parquet usé et, par endroits, fissuré. Elle avançait lentement, suivant des yeux les lignes du parquet, ces lignes qui la menèrent, après un couloir court et étroit, dans un salon plus grand que son studio. Son regard finit par heurter des pieds qui l’attendaient dans des chaussons fatigués.

Il était debout, immobile. Après quelques secondes qui auraient pu être de longues journées d’hiver, elle vit venir à elle une main un peu gauche qu’elle fut bien obligée de serrer. Une main molle et humide. Il dut sentir l’épais frisson de répugnance qui lui parcourut le corps allant jusqu’à faire vibrer chacun de ses doigts. Il bafouilla quelques paroles d’accueil, et elle ne comprit qu’une chose : il l’invitait à aller se changer dans la chambre d’amis dont la porte se trouvait dans l’angle du salon.

Il avait une peau terne et des cheveux grisonnants qui, déjà, semblaient se perdre sur l’étendue de son crâne. Elle fut pourtant surprise en réalisant qu’il n’avait rien de l’homme bedonnant qui habitait ses pensées depuis la veille. Elle ne put s’empêcher de penser qu’il aurait peut-être plu à sa mère, elle qui aimait à dire, à propos de tout homme de son âge qui n’était pas en surpoids : « Il est encore bel homme ! ». Elle fut surtout frappée par ces yeux clairs et vitreux, par ce regard éteint mais étrangement mobile, qui, doucement, s’approchait d’elle, l’enveloppait et la jaugeait. Sans un mot de trop et sans vraiment chercher à masquer le dégoût qui lui venait au bord des lèvres, elle se mit en marche, croyant sentir, dans le creux de son dos, la trace de ce regard perdu qui, déjà, devait la déshabiller. Elle en profita pour inspecter le mobilier. Tout semblait particulièrement soigné, des meubles aux tableaux sur les murs en passant par le tapis qui s’étalait au centre du salon.

Elle portait déjà sur elle sa tenue de travail, elle n’eut qu’à se déshabiller, plier ses affaires et les poser sur le lit. Elle s’assit ensuite sur les draps rêches et tenta de profiter de ces quelques instants volés à son premier client. Elle se rendit soudain compte qu’elle n’avait jamais vraiment réfléchi à la question du ménage. Par quoi devait-elle commencer ? Il allait falloir lui demander, mais pour cela, elle devrait parler et le regarder. Son rythme cardiaque s’accéléra brutalement et elle sentit sa poitrine se gonfler à en crever. Elle se souvint des paroles de cette Cavecanem. Elle se serait bien marrée en la voyant comme ça, pauvre petite femme perdue qui se décomposait peu à peu sur ce grand lit blanc, avec cet ensemble de sous-vêtements rouges qui lui recouvrait à peine les tétons et le pubis.

Se ressaisir. Au prix de quelques secondes passées les yeux fermés, elle retrouva une respiration normale. Elle se répéta que c’était elle qui était du bon côté de la barrière, que c’était elle qui menait le désir du bout de son corps et que c’était elle qui allait ressortir victorieuse quand l’autre resterait avec sa frustration. Un pauvre type, elle l’avait tout de suite noté, obligé de payer pour mater. Qui sait ? Peut-être déjà la main dans le pantalon, à se caresser en imaginant son cul bouger sous son nez. Elle jeta un coup d’œil sur la porte et elle crut voir une ombre disparaître dans le creux de la serrure. L’enfoiré devait la mater depuis un moment déjà, elle aurait dû s’en douter. Elle sentit monter le long de sa colonne vertébrale un de ces frissons qui réveillent et aiguisent l’âme. En piste.

Quand elle sortit, son plumeau à la main, elle le vit assis sur le canapé placé sous la fenêtre. Elle dut concéder qu’il avait eu la bonne idée de baisser les stores. La pièce baignait encore dans une lumière de fin de journée, une lumière tamisée mais chaude. Elle vit qu’il tenait un verre à la main et que sur la table basse en bois, il y avait une bouteille de vin ainsi qu’un autre verre, vide, sans doute pour elle.

Elle attaqua d’une voix qu’elle voulut exagérément chantante :

« Par quoi monsieur veut-il que je commence ? »

Elle s’attendait à le désarçonner mais c’est elle qui fut cueillie. Après quelques secondes d’hésitation, l’homme répondit, presque affable, semblant soudain retrouver un peu de vie :

« Par la cuisine : il y a de la vaisselle dans l’évier. J’aimerais vraiment qu’elle soit faite. Mais si vous préférez, vous pouvez vous occuper de ce meuble.» Il avait d’abord indiqué, d’un geste lent, une porte à l’entrée du couloir central et, à présent, il désignait du bout du doigt une commode pleine de bibelots, placée à droite du canapé. Il ne semblait pas disposé à l’accompagner. Son cœur ne balança pas longtemps entre les deux chemins qu’il lui proposait. Elle était tout de même étonnée. Il allait vraiment la payer pour faire la vaisselle dans la cuisine? Et lui, pendant ce temps-là, il allait rester à picoler sur le canapé ?

« Les désirs de monsieur sont des ordres. »

Elle appuya un peu trop son sourire mais l’homme ne sembla pas réagir, il paraissait attendre un train dans une plaine sans gare ni voie ferrée.

Elle s’exécuta, heureuse de pouvoir se terrer, pendant un moment, dans une autre pièce de l’appartement. Elle marcha lentement vers la porte de la cuisine, ondulant légèrement du bassin, histoire de lui en donner quand même pour son argent à ce pauvre homme qui ne devait plus en voir beaucoup des culs comme le sien. En entrant, elle remarqua tout de suite l’évier au fond de la petite cuisine, un évier situé sous une fenêtre grande comme un continent. A travers la fenêtre, elle vit un homme, en short de bain, confortablement assis à la terrasse de l’immeuble situé en vis-à-vis, à une poignée de mètres. Le visage de cet homme s’éclaira tout de suite et parut s’embraser. Il lui fit un signe de la main et elle se demanda s’il ne lui avait pas envoyé un baiser. Elle ouvrit grand les yeux et remarqua qu’il y avait d’autres personnes sur les différentes terrasses de l’immeuble mais aucune ne l’avait encore remarquée. L’évier débordait de vaisselle, une vaisselle recouverte d’une graisse sans âge. En face, l’homme semblait répondre à son hésitation, il l’invitait à commencer sans tarder. Elle comprit soudain qu’il l’avait attendue. Elle recula, la bouche ouverte et le regard hagard, jusqu’à se poster dans l’embrasure de la porte. Elle réalisa ensuite que, assis dans son canapé, l’homme avait tout le loisir d’observer ses fesses et de profiter de son égarement. Il n’avait pas bougé, et elle songea que lui aussi, il l’attendait, qu’il patientait sans doute en savourant à l’avance le plaisir de cette piteuse retraite.

« Un problème ? » La voix se modulait et prenait des accents presque guillerets.

En elle, une colère venue de très loin, de bien plus loin que ce salon, prit brutalement le pas sur tout autre sentiment. Elle avait eu un peu de pitié pour ce connard obligé de payer pour se rincer l’œil, et voilà que ce gros pervers s’amusait avec elle. Ah, il voulait jouer ? Ils allaient jouer.

Elle se retourna doucement, tentant de masquer son agressivité, n’étant plus qu’une friandise qui ne demande qu’à être longuement dégustée. Elle fit quelques pas vers lui, douce et onctueuse, dans un balancement ostensiblement imperceptible, et elle constata que c’était au tour de l’homme d’être surpris, lui qui ne lisait aucune forme de colère sur le masque qui lui tenait lieu de visage.

« Je préfère, voyez-vous, m’occuper de la poussière. D’autant qu’ici, j’ai un peu de compagnie. Et puis franchement, vous les voyez, ces mains, dans des gants de vaisselle ? Ce serait dommage non ? »

Elle avait fait quelques pas vers lui puis elle avait approché de son visage ces doigts qui portaient en eux un peu de son odeur et dont les hommes qu’elle avait connus avaient tous salué la finesse et la distinction. Il ferma les yeux, semblant réfléchir, puis annonça froidement : « Je vous vois parfaitement en train de faire la vaisselle. Disons que vous avez vos préférences, et que je vais les respecter. Vous pouvez, si vous vous en sentez capable, vous occuper de ce meuble, ça vous donnera l’occasion d’utiliser ce magnifique plumeau. » Il leva mollement la main vers la commode.

L’espace d’une seconde qui lui échappa en s’étirant rageusement, elle ne vit plus que le bout de son plumeau qui s’enfonçait, tour à tour, dans chacun de ces globes oculaires vitreux, et qui récurait l’intérieur de son esprit dégueulasse.

Elle reprit tout de suite ses esprits et pivota sur ses talons, se baissant presque sous son nez. Elle aurait voulu qu’il la touche, là, qu’il avoue piteusement son désir et sa frustration, qu’il la reconnaisse reine de ce royaume dévasté sur lequel elle pourrait enfin cracher à sa guise. Il ne bougea pas, se contentant de déguster son verre de vin.

Sa position, face au meuble, l’obligeait à se tenir de profil et elle pouvait sentir son regard se promener longuement sur son bassin, ou sur ses seins qui remuaient au rythme de ses différents mouvements. Tout en époussetant négligemment les quelques objets posés sur le meuble, elle tenta de trouver une porte de sortie. Elle voulait triompher de celui qui l’avait encore à sa disposition pour trois bons quarts d’heure d’après la pendule du salon. Bien sûr, elle pouvait se rhabiller, elle pouvait sortir et rentrer chez elle. Elle n’aurait rien perdu sinon un boulot, un de plus. Mais c’était peut-être ce qu’il désirait, au fond, voir sa superbe abattue et la sentir noyée dans sa honte. Elle l’imaginait parfaitement raconter à son taré de voisin d’en face comment tout ça ne lui avait pas coûté un seul centime.

Au fond, il ne lui restait plus que le désir qu’elle croyait susciter. Elle s’y accrochait malgré elle parce que seul ce désir lui donnait encore un peu d’existence et d’importance.

« Il faudrait aussi passer un petit coup sur le bas du meuble, tout en bas même, il y a pas mal de poussière. »

Elle s’accroupit, voyant parfaitement là où il voulait la mener. Et pourquoi, après tout, ne pas lui en mettre vraiment plein la vue ?

Elle s’accroupit d’abord face à lui puis se retourna insensiblement pour finir à quatre pattes sur le tapis du salon qui lui caressait les genoux. Elle se demanda s’il commençait à bander et elle sourit de plus belle en imaginant la frustration qui tendait sans doute son esprit et son pantalon. Alors qu’elle achevait son petit manège enchanteur, elle le vit remplissant le second verre d’un peu de la bouteille qui patientait sagement sur la table. Il allait lui offrir un verre, qu’elle refuserait, bien sûr. Elle se tourna vers lui, à genoux, les jambes à peine écartées.

« Et maintenant ?  demanda-t-elle d’une voix légère et musicale.

- L’aspirateur vous attend, dans le placard du couloir. J’ai besoin d’un petit coup dans le salon. »

Elle dut repasser devant la porte de la cuisine. Elle prit pourtant tout son temps, veillant à garder son calme. A son retour, elle vit qu’il avait attaqué le deuxième verre, celui qui devait lui être destiné. En silence, elle passa l’aspirateur, le frôlant parfois du coude ou des fesses, sentant sur sa peau son souffle gorgé d’alcool qui, s’accélérant à chacune de ses approches, le trahissait. Elle savait qu’il bouillonnait et elle voyait sa main d’abord amorphe qui commençait à trembler. Elle pensait qu’elle était en train de gagner la partie et que le temps qui passait jouait en sa faveur. Elle allait bientôt ressortir de l’appartement avec son fric, et abandonner royalement cet homme, qui ne la posséderait jamais, à son désir solitaire.

Une fois le salon propre, elle jeta un coup d’œil à la pendule. Plus que dix minutes. Elle sourit avec une malice non dissimulée.

« Quels sont les derniers désirs de monsieur ?

- On ne peut pas dire que vous soyez une rapide. En plus, il reste de la poussière un peu partout. Au prix où je vous paye, quand même. »

Elle sentit ses mains se serrer sur le manche de l’aspirateur et sa crispation, malgré ses efforts, reprenait du terrain.

« Bon, vous n’allez quand même pas recommencer. On va dire que le salon est terminé ». Elle trouvait maintenant sa voix plus douce, presque amicale, chaleureuse, comme s’il avait choisi de se reprendre après s’être vainement laissé emporter.

« Je crois, reprit-il, qu’il ne reste plus que la vaisselle alors. » Il leva vers elle sa bouche pâteuse et il répondit à son sourire. « Vous allez donc devoir retourner dans la cuisine. » Elle lut la joie sur son visage, la joie de triompher, d’écraser et de piétiner le peu qu’elle avait conquis.

Sa main leva dans un souffle le manche de l’aspirateur puis elle ferma les yeux et ne vit pas ce qu’elle était en train de faire. Elle entendit simplement le manche qui fendait l’air épais et chaud dans un sifflement qui s’éternisa avant de céder la place à un choc sourd. Quand elle ouvrit enfin les yeux, elle vit que le salon n’était effectivement pas tout à fait propre et qu’il y avait une tache rouge sur le tapis, une tache qui se répandait dans un silence apaisant.

La suite par Marguerite Tournesol :  Baby Clean Please

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