#6 Démo des mots : Régime (minceur!)

Maigrir vite ! Comment maigrir rapidement ? Régime rapide : perdez 15 kg en six semaines ! La presse féminine et les sites internet n’en finissent plus de nous assener cette terrible injonction : il faut perdre du poids, le plus possible, et vite encore ! Et tous les moyens sont bons, de la soupe au chou au tout-protéiné, en passant par les sachets de poudre et les comprimés. J’espère aussi que vous êtes doué en maths, parce qu’il va falloir s’y remettre, et en urgence, pour faire face aux terribles problèmes d’arithmétique inhérents à tout régime : 1) soit un corps de femme ayant besoin de 2000 calories pour fonctionner correctement, une activité sportive d’une heure, à raison de 100 calories brûlées toutes les vingt minutes, et une ingestion de 2200 calories par jour : de combien sera le déficit calorique à la fin de la journée ? 2) A raison d’une perte d’un kg de graisse toutes les 8000 calories perdues, en combien de semaines peut-on perdre 3 kg ? Vous avez dix minutes ! Et comme 95% des personnes ayant maigri reprennent du poids, bonne nouvelle : il faudra recommencer l’année prochaine !

Régime : en voilà un mot familier. Et pourtant… Vous n’y avez peut-être jamais prêté attention, mais, ce mot, qui date du 14^ème siècle, est de la même famille que régir ou régiment.

A l’origine, un mot latin comme souvent, regimen, qui signifie « direction, gouvernement ». C’est dans ce sens que le régime a d’abord uniquement désigné « l’action de gouverner et au sens figuré l’action de diriger quelqu’un moralement ». Le régime est alors la gouvernance politique d’une collectivité, ce qui a donné par la suite l’expression « ancien régime » par exemple, désignant la monarchie absolue. Dans le même temps, le mot a aussi pris le sens de règles régissant une chose en particulier (régime pénitentiaire, sanitaire, douanier..), mais aussi celui de règles de vie, de manière de vivre. C’est à la fin du 16^ème siècle que le régime concerne l’équilibre alimentaire.

Le régime est donc avant tout un ensemble de règles imposées. Et c’est exactement ce que sont ces satanés régimes minceur dont on ne cesse de nous rabâcher les oreilles. Une rapide recherche sur internet suffit à prendre la mesure des ces règles drastiques, dont on ne connaît pas toujours les bienfaits, ni encore les effets secondaires. Dans l’un, vous devrez vous passer intégralement de sucres, dans l’autres, les graisses seront vos pires ennemies, dans le troisième, vous aurez le droit de tout manger, mais pas n’importe quand ! Montignac, Dunkan, Atkins, dissocié, hyperprotéiné, Scarsdale, Weight watchers…autant de règlements que d’appellations ! Une fois compris le principe fondateur d’un seul de ces régimes, il vous faudra encore suivre un calendrier, imposé là encore, si vous voulez avoir une chance de perdre un peu de gras. C’est à se demander si la perte de poids ne vient pas plutôt du stress occasionné par le dit régime. Faire un régime, c’est donc d’abord obéir à un règlement, et c’est peut-être ce cadre là qui plaît aux coutumiers.

Mais pourquoi donc s’astreindre à de telles injonctions ? Pour maigrir ? Il ne serait pas plus simple, tout seul, de faire un tant soit peu attention à son alimentation ? Reprenons l’étymon du régime : régimen, qui signifie gouvernement. A la lecture de certains régimes, le plus célèbre étant le régime Dunkan, force est de constater que la marche à suivre est parfois tout bonnement de rééquilibrer son alimentation et de se bouger un peu le popotin. Pourtant, chaque année, des millions de livres se vendent à travers le monde, en véritables bibles de l’alimentation qu’ils sont, et des millions de personnes les suivent, parfois bêtement il faut bien le dire. Plus, à la tête de bon nombre de ces régimes se trouve une figure, généralement masculine, véritable gourou que suivront des millions de femmes : Michel Montignac, le Dr Atkins, Pierre Dunkan, la (quand même !) Dr Kousmine, le Dr Tarnower, à l’origine du régime Scarsdale… Suivre un régime, c’est donc aussi suivre les commandements d’un homme, c’est obéir aux règles que celui-ci nous impose, c’est considérer qu’il sait ce qui est bon pour nous. Sans ce gourou, il est encore possible de courir chez son médecin généraliste, chez un diététicien ou un nutritionniste, qui, là encore, sera le maître de votre estomac pendant plusieurs semaines.

Tout semble indiquer que bon nombre de Français, et plus particulièrement de Françaises, se mettent au régime au printemps. Pourquoi ? La réponse est simple : pour éviter de montrer sa cellulite au mois d’août ! Et oui, le plus important dans le régime, ce n’est pas qu’il améliore votre santé, ce n’est pas non plus qu’il vous permette de vous trouvez plus jolie. Non, non, non : le plus important, c’est que les autres vous trouvent plus jolie ! Et encore, plus jolie, même pas : ils ne vous connaissent parfois même pas les autres. Alors quoi ? Le plus important dans un régime, c’est que les autres vous trouvent, comment dire… normale ! Sans rien qui dépasse quoi (ça doit être ça la normalité…) Faire un régime n’est donc pas une décision si personnelle que ça, puisque c’est en pensant au regard des autres qu’on le démarre. C’est que la gouvernance du régime vient aussi très souvent du regard que pose la société sur les corps jugés disgracieux.

(c) Luise Yagreld

Rattachons maintenant le régime à sa seconde signification : « au sens figuré l’action de diriger quelqu’un moralement ». Que vient faire la morale là-dedans, me demanderez-vous. Mais c’est que faire un régime, c’est tout bonnement obéir à une vision idéalisée et normative de l’être humain. En cherchant à maigrir à tout prix, vous cherchez non seulement à vous conformer aux canons de la beauté en vigueur, mais aussi à donner l’apparence d’être une personne stable à tous niveaux : est mince celui qui ne mange jamais avec excès (pour combler des carences par exemples ?) qui fait de l’exercice (qui donc ne se laisse pas aller, qui ne déprime pas…), qui ne boit pas d’alcool (dont le sucre fait grossir)… bref, est mince l’homme, la femme, raisonnable et équilibré, celui dont on dira volontiers : bien dans son corps, bien dans sa tête !

Vous pensiez être libre de démarrer un régime ? Que nenni, vous êtes libre de le choisir à la rigueur, mais c’est à peu près tout. Ensuite, vous vous comporterez au contraire comme un bon petit soldat, obéissant aux ordres de vos chefs : les critères de beauté de l’époque dans laquelle vous vivez, la morale ambiante, et bien sûr, un médecin que vous ne connaissez pas. Le régime étant au départ la gouvernance d’une collectivité, vous pensez bien que vous n’êtes pas les seuls à obéir aux différents dictats imposés par la société : nous le faisons tous, à différents degrés. Bon, cela dit, vous êtes quand même libre de savoir ce qu’il vous faut pour vous sentir mieux, et si c’est le cas, pourquoi pas ?

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