#3-Roman Rom : « Zoli » de Colum Mc Cann

15 janvier 2011
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Un roman, deux lectures.

Trop de noms, pas de noms

Il ya tellement de noms pour désigner les Gitans: ils sont tour à tour Roms, Tsiganes, Bohémiens, Manouches, qu’on ne sait jamais ce qu’on doit dire. Quand on a finir de lire le roman de Colum Mc Cann, on se dit qu’on devrait les appeler uniquement Zoli. Un prénom qui, au final, dit tout du Gitan: sa poésie, sa douleur, sa musique, son errance, sa discrimination et surtout tout le reste qui ne se dit pas.

L’auteur s’inspire de l’histoire de la poétesse polonaise Papusza et il construit l’épopée de Marienka Novotna, alias Zoli, de la Tchécoslovaquie communiste des années 1930 jusqu’au Paris des années 2000.

Zoli, on y croit parce que les personnages prennent corps dans la légende. Le premier chapitre pose une question fondamentale pour le reste de l’histoire, Zoli a-t-elle existé ? C’est la diversion dans le mélange des époques et des points de vue, dont Colum Mc Cann est un maître, (lire pour en être convaincu l’excellentissime Danseur) qui empêche le lecteur de s’agripper aux parois du conventionnel – et voilà la chute dans le terrier du lapin. Tout tourne autour de vous et vous cherchez Zoli partout.

Une gamine apparaît et ô magie vous raconte son histoire. Son histoire c’est d’abord son nom, pour un personnage c’est du classique mais c’est un nom d’homme, celui de son grand-oncle paternel. On ne sait pas où Stanislaus, le grand-père, a choisi ce prénom. Le surnom, c’est déjà une libération de la convention du prénom ! Et puis pour le grand-père « l’important ce n’est pas le nom mais celui qui le donne. »

Et Zoli c’est tout comme ça, entre banal et pas banal. Entre avant et maintenant, entre les hommes et elle, entre sa culture gitane et sa vie. Pour donner un exemple : le grand -père lui apprend à lire et devinez quoi ? Il commence par le …. Z, et elle apprend à lire ! Ce qui dans la culture gitane est une révolution car seuls les anciens savent lire et certainement pas une jeune fille d’une dizaine d’années. Là, on se dit : mais pourquoi il lui apprend à lire ? Car, lui aussi, il tient aux codes gitans ou aux anti-codes gadji. Je dirai tout simplement pour s’opposer à l’opposition de ses compagnons. Quand je vous dis qu’on a la tête qui tourne. Et puis grâce à cela Zoli chante ses propres chansons.

Zoli, un nom du voyage

Zoli devient une héroïne fondatrice d’une culture qui refuse les fondements ou qui s’en échappe dès qu’on veut lui en donner. Son mariage, la musique, la poésie, le lac où a péri sa famille, les roulottes : tout un univers qui ne se possède pas mais qui s’échange, qui se chante.

Et patatras, elle commet l’erreur de sa vie, un peu comme tous les super héros. Spiderman laisse partir celui tuera l’oncle Ben, Batman n’a rien pu faire pour sauver ses parents. Elle, elle chante pour tous, et tous, ça veut dire même pour les Gadji… Quand on lit l’histoire, ça paraît formidable, l’auteur réalise ce vieux rêve commun où toutes les cultures se fondent et se comprennent, s’aiment, s’écoutent. On est dans le happy end de n’importe quel bon film américain du dimanche soir.

Et elle ne risque rien car Zoli a une arme secrète contre ce genre de piège. Stanislaus lui a autrefois montré comment se plier parfois un court instant aux lois des gadji mais aussi comment se laver de cette soumission grâce à une conjuration qui consiste à dire à sa monture avant de reprendre son chemin : « Avance mon cheval et chie. »

Douche froide. C’est dans son clan que la colère gronde contre Zoli. Son nom a échappé à la culture gitane, il est devenu trop « gadjikanizé ».

Zoli le paye de son nom. Il ne doit plus être prononcé et même oublié. Elle n’a jamais existé pour eux. Effacée. Une situation romanesque là non plus pas banale car quand le nom est emprisonné le personnage, lui, doit s’enfuir.

On se laisse aller à espérer, ça a bien failli marcher quand on croyait au chant de Zoli capable de mettre les cultures à l’unisson.

« L’un reste, l’autre part. Tu restes avec Dieu. Dieu part avec toi. »

Zoli est interdit, la culture rom perd son identité en rejetant ce nom. Une sorte de co-destruction où l’un ne survit pas à l’autre. Les Roms s’engloutissent alors dans un trou noir qui ne leur laisse plus que la banalité de l’existence de marginaux. Ils ont eu un âge d’or, l’ère de Zoli.

Tout cela, c’est très bien pour le livre, pour renforcer le pouvoir du nom, la force de la poésie, la grandeur de la fiction mais l’auteur exagère. L’impression de « c’était mieux avant, du temps de Zoli » laisse à penser que le Gitan aujourd’hui n’est qu’un drogué dangereux et parasite. Le journaliste qui enquête sur Zoli, en Slovaquie, en 2003, pénètre dans un coupe-gorge où l’alcool et la drogue sont les seules monnaies d’échange possibles avec les Roms…

Alors, d’accord c’est pour servir son histoire à lui, il construit une fiction et donne un début et une fin à une culture qui ne se laisse pas approcher et il y arrive formidablement bien. Mais, comme il a souvent recours à l’Histoire, on a du mal à décrocher les épisodes contemporains du reflet d’une certaine réalité.

Petit bémol qui n’enlève rien au fait que Zoli est un voyage unique au coeur d’une culture multiple.

Deux mots sur l’auteur :

D’origine irlandaise, Colum Mc Cann s’est installé à New York pour écrire. Il manie les points de vue comme un cuisinier japonais manie les couteaux, vous ne voyez rien passer mais à la fin qu’est-ce que c’est bon ! Je l’ai découvert avec Danseur, une sorte de biographie polyphonique de Rudolf Noureev. Vous lisez le bouquin et vous passez deux heures sur Internet à le regarder danser, bouche bée, parce que Colum Mc Cann vous a envoûté.

J’en lis des bouquins mais celui-là me procure même un plaisir sadique, celui de l’offrir pour paralyser la vie des gens et pour leur donner du plaisir !

Zoli, c’est sa création. Il se dit traumatisé par ce bouquin et par ce personnage. Normal. Qui jusque-là a écrit pour faire aimer les Roms ?

Chris de Nerf.

Dès que j’ouvrais le livre, j’avais l’impression de laisser toutes mes occupations de côté pour donner la main à Zoli.

Livrer ses impressions à chaud sur une lecture est pour moi un exercice difficile… J’ai généralement besoin d’un temps de pause pour savoir ce qu’il m’en restera et ce que seront mes réelles impressions. Mais aujourd’hui, je vais donner mes impressions sur le vif, les premières, les plus proches de la sensation immédiate, encore intactes de toute réflexion puisque je viens juste de refermer le roman Zoli de Colum McCann. Bref, un avis plus instinctif que réflexif ! Après tout, la lecture n’est-elle pas aussi et surtout une histoire de sensations et d’instinct, un contact, une imprégnation, une immersion dans un univers dont on ressort un peu changé ?

Zoli raconte l’itinéraire culturel, social, géographique, historique et politique (oui rien que ça) de la poétesse et chanteuse tzigane du même nom, et à travers cet itinéraire, celui de tout un peuple des années 30 jusqu’à 2003. Et on sait que la situation des Roms pendant cette portion des XXème et XXIème siècles a plutôt été une succession de tragédies, de rejets, de haines (en témoignent encore de très récents événements…) ; le romancier s’en fait le porte-parole et le transmetteur.

La douleur de la peau qui s’ouvre, les plaies béantes qui ont du mal à cicatriser, mais aussi la douceur et la beauté des doigts magiques qui glissent sur les harpes gigantesques…

C’est le récit de cet itinéraire croisé d’une personne et d’un peuple dans cette Europe souvent meurtrie (et meurtrière) que j’ai particulièrement apprécié : découvrir une culture que je ne connais guère, emmenée par la jolie voix de Zoli, que je me suis imaginé à la fois grave et suave, telle celle de la « Queen of Gypsies » d’aujourd’hui Esma Rezdepova. Mais la voix de Zoli reste un mystère puisqu’on ne l’entend que dans notre tête et chaque lecteur lui aura prêté une tessiture différente. De plus notre Zoli est un être de papier bien qu’inspirée à son créateur par la chanteuse et poétesse polono-tzigane Papusza. Dès que j’ouvrais le livre, j’avais l’impression de laisser toutes mes occupations de côté pour donner la main à Zoli, tour à tour petite fille espiègle, femme créative et rebelle dans ses robes colorées, puis amoureuse, artiste libre, trahie, répudiée et enfin vieille dame posée et sage, pour la laisser m’entraîner au son des harpes et des violons à travers toute cette Europe, traversée de long en large.

Elle est enivrante, authentique et vivante, Zoli ! Elle nous transmet la poésie de la communion avec la nature en nous faisant presque sentir l’odeur de l’humus ou du bois de la roulotte, elle nous fait partager la palette des sensations extrêmes : le feu, le froid, les déchirures, les blessures, l’odeur du sang, la douleur de la peau qui s’ouvre, les plaies béantes qui ont du mal à cicatriser, mais aussi la douceur et la beauté des doigts magiques qui glissent sur les harpes gigantesques… Beaucoup de blessures en effet puisque Zoli est condamnée à errer, répudiée par les siens pour avoir « fauté » (avoir publié ses textes pour les gadjé (donc mettre à l’écrit une culture orale) mais encore plus loin, avoir eu une relation avec l’un d’entre eux). C’est alors le temps de l’exil, de la perte d’identité, l’errance de la Tchécoslovaquie jusqu’en Italie puis à Paris pour clore le roman. Tzigane pour les gadjé, inexistante pour les Tziganes… difficile de s’y retrouver. Autant d’images maintenant imprimées en moi grâce au savoir-écrire de Colum McCann dans ces passages.

Malheureusement, McCann a choisi une narration polyphonique et la part accordée à Zoli n’occupe qu’une moitié du roman… Les autres parties m’ont paru à l’inverse vraiment longues et je n’en ai pas bien saisi l’intérêt. La première scène, déjà, m’a dérangée : cliché d’un reportage documentaire, comme on a pu en voir des dizaines, du journaliste qui arrive dans un camp Rom en Slovaquie. Enfin je modère mes propos : à moi cela me semble être des clichés mais je n’ai jamais mis les pieds dans un camp Rom. L’auteur, lui, a enquêté pendant deux ans pour écrire son roman donc il doit savoir de quoi il parle. Mais le rendu ressemble tellement à du déjà-vu, du trop-vu que c’est vraiment dommage.

Autre voix du roman : celle de Swann, un traducteur anglais qui va aider Zoli à publier ses textes, à devenir même l’égérie du Parti (qui au passage les a bien enflés sous couvert de réconciliation et « intégration »). Mais alors ce Swann, je ne lui ai trouvé aucune épaisseur (bien décevant lorsqu’on choisit un tel nom…), j’ai bien failli abandonner le roman à plusieurs reprises lorsque c’était lui qui racontait. Toutes ses réactions sont prévisibles et attendues, il est fade. Bien sûr il tombe follement amoureux de Zoli qui symbolise la femme libre et artiste, il se fait avoir par les Roms en leur accordant sa confiance etc.

Tzigane pour les gadjé, inexistante pour les Tziganes…

Selon moi, McCann s’est perdu en multipliant les points de vue qui n’étaient pas essentiels au roman et finissent par lui enlever de sa profondeur. Se limiter à Zoli et à sa vie passionnante racontée d’une seule voix aurait été suffisant.

Mon avis est donc en demi-teintes pour le moment, et je découvre que c’est aussi le cas pour Chris de Nerfs, même si nos divergences ne portent pas sur les mêmes points. J’apprécie beaucoup son recul, celui que je n’ai pas encore. Mes impressions sont encore instinctives et purement rattachées au roman, à la fiction. Peut-être qu’avec un peu de temps et de cheminement dans mon esprit, Zoli saura me séduire entièrement. Mais pour l’instant je ne suis pas certaine de lire un autre roman de McCann tout de suite (c’était ma première rencontre avec cet auteur)… En revanche, grâce à lui, j’ai très envie d’approfondir ma connaissance de la culture Rom en lisant des textes écrits par eux, mais ce n’est pas chose facile puisque c’est une culture essentiellement orale. À bon entendeur… je suis preneuse de titres et de références !

Émi Bernstein

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