Comment faire la différence entre des vessies, des lanternes et de la vulgarisation scientifique

16 mai 2014
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J’adore la science. Pas vous ? J’adore lire les rubriques scientifiques dans la presse, entendre parler des dernières découvertes, attendre LA grande nouvelle qui va changer ma vision du monde (un truc comme le boson de Higgs, mais qui serait compréhensible en plus). J’aime devoir changer mes certitudes, réfléchir à des choses auxquelles je n’aurais même pas eu l’idée de réfléchir.

Parfois, par contre, la science m’énerve. Je vous parle de ces moments où on ouvre la presse pour s’entendre crier que ça y est, les scientifiques en ont la preuve, les femmes sont bien faites pour récurer les casseroles pendant que les hommes vont sur la lune ! C’est génétique, c’est l’évolution, c’est drôlement bien pensé ! Ces moments-là me font déprimer. Pas parce qu’ils me font remettre en question mes convictions sur l’égalité des sexes, mais parce que je pense à tous les prochains billets de blogs qui vont expliquer, tous contents d’eux, qu’on ne peut quand même pas nier les différences biologiques et que d’ailleurs c’est scientifiquement prouvé. Je voudrais bien aller leur taper sur l’épaule, pour leur expliquer que j’ai beau adorer lire de la vulgarisation scientifique, ce n’est pas pour autant que je pense qu’il faut prendre tout ce qu’on lit dans la grande presse pour argent comptant. Le truc, c’est qu’ils me traiteraient de mauvaise joueuse.

Or, ce serait complètement faux. Oui, la rubrique scientifique du Monde est passionnante. Mais il y a un certain nombre de choses que chacun devrait savoir avant de se jeter des grandes vérités révélées à la figure. En gros : ne prenez pas tout ce que vous racontent les journalistes scientifiques pour parole d’évangile. En moins gros… on va voir ça tout de suite.

Déjà, pour commencer, qui décide des découvertes scientifiques qui seront relayées par les médias ?

Rappelons une petite évidence : tous les articles scientifiques qui paraissent dans les revues spécialisées ne sont pas repris par la grande presse, loin de là. Parfois, c’est simplement parce que le public n’y comprendrait que pouic : j’ai beau être une geek, je suis encore capable de me rendre compte que si j’annonce triomphalement que « les facteurs de transcription LMX1A et LMX1B régulent le ciblage des axones des neurones dopaminergiques du mésencéphale » (oui oui, c’est un vrai titre), ça ne risque pas de soulever les foules. Si, par contre, mon laboratoire travaille sur les secrets hormonaux des couples qui durent, là, d’un coup, ça va intéresser beaucoup plus de monde.

D’accord, vous allez me dire, certaines disciplines intéressent plus de monde que d’autres, ce n’est pas un scoop. Sauf que même au sein de la même discipline, certains articles ont beaucoup plus de chances d’attirer l’attention que d’autres. Vous travaillez sur les différences biologiques entre le cerveau des hommes et celui des femmes ? J’espère pour vous que vos recherches portent sur le sens de l’orientation ou l’expression des émotions plutôt que sur les réactions spécifiques aux AVC, parce que vous aurez beaucoup plus de chances que votre voisin de palier vienne vous demander un autographe.

A l’arrivée, ce n’est pas innocent du tout. Oui, beaucoup de gens travaillent sur les différences biologiques entre les hommes et les femmes, mais c’est souvent pour explorer des sujets indispensables et peu sexy, comme les réactions aux médicaments, par exemple. Or, la presse généraliste donne facilement l’impression que des labos entiers s’acharnent à prouver que les femmes ont une zone spécifique dans le cerveau pour le shopping et les hommes pour la moto. Cela peut donc gonfler, à tort, l’importance qu’ont certaines découvertes par rapport à d’autres dans l’esprit du public.

Bon, admettons que certaines découvertes soient plus relayées que d’autres. Ce sont quand même de vraies découvertes, non ?

Alors là… On arrive à la question délicate.

Avant de commencer, savez-vous comment est écrit un article scientifique type ? Non ? Voyons ça ensemble, cela va vous intéresser.
Un article typique sera souvent constitué de quatre parties. La première partie est l’introduction : les chercheurs rappellent de quoi ils vont parler, ce qu’en ont dit les autres chercheurs, quel aspect du problème ils vont étudier, et quelles sont leurs hypothèses. Jusqu’ici, pas de données, juste des rappels et de la spéculation.

La deuxième partie décrit l’expérience à venir. On l’appelle généralement « Matériel et méthodes », parce qu’on y décrit de façon très technique tout ce qui va être fait, avec quels instruments, quels tests statistiques et j’en passe. C’est chiant, c’est illisible, mais c’est indispensable à la bonne compréhension de la suite.

La troisième partie, ce sont les résultats. Là, on est dans le dur, les chiffres, les graphiques. C’est aussi illisible que la deuxième partie, sauf qu’en plus c’est farci de chiffres qu’on n’a aucun moyen d’aller vérifier, à moins d’avoir un labo et plein de temps sur les bras.

La quatrième partie, c’est la discussion des résultats. Les chiffres, c’est bien, mais il faut encore les interpréter. Ici, les chercheurs expliquent ce que les résultats qu’ils ont obtenus veulent dire selon eux. Je répète : selon eux. En d’autres termes, on est revenus dans la spéculation. Une spéculation éclairée et réfléchie, faite par des gens qui connaissent le sujet, certes, mais une spéculation quand même. La discussion sert à deux choses : récapituler les résultats pour ceux qui auraient mal à la tête ou qui ne seraient pas des spécialistes absolus de la discipline, et proposer des pistes de recherche pour la suite.

Donc, à un ou deux détails de forme près, c’est comme ça que se présentent les articles auxquels les journalistes scientifiques sont confrontés. Une fois là, que font-ils ? Eh bien, ils font exactement ce que vous et moi ferions dans la même situation, avec un papier à écrire et pas beaucoup de temps à perdre. Ils lisent l’introduction qui récapitule le sujet, survolent les méthodes et les résultats (qui, comme je l’ai dit, sont de toutes façons illisibles et invérifiables pour le profane), lisent la discussion pour savoir où ces braves chercheurs voulaient en venir, et roule ma poule.

Si vous avez suivi, donc, cela veut dire que les journalistes fondent généralement leurs articles sur des considérations générales, des hypothèses, et l’opinion personnelle des chercheurs sur ce que pourraient vouloir dire leurs résultats. Évidemment, cela ne revient pas à dire qu’ils racontent absolument n’importe quoi, mais nous voyons donc que les faits eux-mêmes, les chiffres, le dur, le costaud, sont passés quelque peu à la trappe.

Oui mais les scientifiques, quand ils font des hypothèses ou des interprétations, ils savent de quoi ils parlent, non ?

Absolument. Mais ici intervient quelque chose de très important : les scientifiques sont des gens très instruits, mais aussi, très spécialisés. Quand on vient de passer les dernières années de sa vie à plancher sur les neurosciences, la génétique ou la biologie évolutionniste, on n’est pas nécessairement très au fait des dernières théories en sciences humaines, par exemple. Or, si la sur-spécialisation est indispensable par bien des côtés (certains domaines sont si avancés qu’une personne ne peut en appréhender complètement qu’une partie à la fois), elle a aussi le gros problème de donner une vision d’ensemble de certaines choses… disons, pas toujours très fine.

Là, je vais dire des choses qui vont sûrement fâcher pas mal de scientifiques, mais qu’il n’est pas mauvais de rappeler de temps en temps. On peut être un excellent chercheur et avoir une vision franchement peu nuancée de certains aspects de la vie en général. Or, quand on fait une hypothèse (les hypothèses étant, je le rappelle, la base de bon nombre d’études scientifiques), on prend pour point de départ des faits, mais aussi des choses qu’on croit, ou qu’on croit savoir parce qu’on n’a jamais envisagé de les remettre en question. Parfois, ces préjugés invisibles sont détectés lors de l’évaluation par les comités de lecture, lorsque les auteurs envoient leurs articles à des revues scientifiques : en effet, tout article publié dans une revue sérieuse est censé avoir été validé par la communauté, pour éviter les blagounettes embarrassantes. Mais savez-vous combien de représentants de la communauté scientifique relisent chaque article avant qu’il ne soit validé ? Dans la majorité des cas, deux… Ce qui veut dire que des idées reçues vraiment très répandues on de fortes chances de ne pas être détectées du tout, pour peu que l’auteur et les deux personnes en question les partagent. Prenons par exemple les très nombreuses études sur la monogamie chez l’être humain, qui cherchent à comprendre comment l’être humain s’est retrouvé à être monogame, génétique et évolution à l’appui. D’un point de vue strictement occidental, ça a l’air de tomber sous le sens. Il y a juste un tout petit problème qu’elles oublient souvent de mentionner : sur la totalité des sociétés humaines connues présentes et passées, la grande majorité sont ou ont été polygames… Ca fait un peu beaucoup, pour affirmer que la monogamie est inscrite dans nos gènes !

La réalité, c’est que comme le commun des mortels, les scientifiques ont des modèles de pensée théoriques ; or ces modèles ont beau être utilisés hyper fréquemment comme grilles de lecture, ça ne veut pas nécessairement dire qu’ils sont objectivement prouvés. Prenons la psychologie évolutionniste, fort populaire de nos jours. Ce courant soutient que le comportement humain est avant tout le fruit de l’évolution, et qu’un certain nombre de choses très anodines que nous faisons au quotidien (comme mentir, être jaloux ou ambitieux) viennent de comportements qui nous ont permis de survivre à l’époque où la sélection naturelle aurait encore pu nous rayer de la carte. Dans les grandes lignes, cette idée (assez logique somme toute) est aujourd’hui généralement admise dans la communauté scientifique. Dans les détails, par contre, c’est une autre histoire. En gros, si nous savons que de nombreux comportements humains ont évolué pour répondre à la pression de la sélection naturelle (pour nous permettre de nous reproduire, ou de faire survivre notre groupe), il reste très difficile de savoir lesquels, comment et pourquoi. Du coup, bien souvent, on en ressort à des hypothèses. Par exemple, supposons que des chercheurs aient constaté que les femmes étaient plus attirées que les hommes par les couleurs chaudes. Jusqu’ici, tout va bien, mais maintenant il faut écrire cette fichue discussion, et trouver une façon d’expliquer tout ça. Comme tout le monde a entendu parler de la psychologie évolutionniste, il semblera tout naturel d’écrire « C’est peut-être quelque chose qui a évolué en réponse à la pression de l’environnement, parce qu’un visage de bébé rouge ou rose indique s’il est en bonne santé ou pas, et ça aurait permis aux femelles de vite réagir quand un bébé avait de la fièvre ». C’est logique, ça fait sens, ça ne mange pas de pain et tout le monde est content. Mais ce n’est absolument pas prouvé.

Sauf que lorsqu’un journaliste scientifique lira ce papier, 1) il sautera probablement direct à la discussion, donc à la partie « On pense que c’est à cause de l’évolution mais au fond on n’en sait rien » en lisant en diagonale les résultats, et 2) il faudra bien qu’il présente ça d’une façon qui intéresse les lecteurs. Et c’est ainsi que « les femmes ont tendance à être légèrement plus attirée que les hommes par les couleurs chaudes même si les deux sexes préfèrent globalement le bleu »  va se retrouver transformé en « On vous l’avait dit : si les femmes aiment le rose, c’est à cause de l’évolution ! » (Ce qui est complètement idiot, vu que cela fait 80 ans grand maximum qu’on associe le rose aux filles)(J’aimerais avoir inventé cette anecdote, croyez-moi)

Le plus embêtant, c’est qu’à force de prendre l’interprétation pour les faits, on en vient à confondre modèle théorique et fait irréfutable. Un modèle, c’est un outil : c’est une grille d’interprétation qui sert à faire sens de résultats parfois obscurs. On appelle souvent ça une heuristique, ce qui est un peu une manière savante de dire « béquille » : ça nous aide à avancer, mais ce n’est pas là qu’on va. Or, comme toute pensée, un modèle ne fait sens que lorsqu’on admet un certain nombre de « vérités générales », qui peuvent être vraies… ou pas tellement. Prenons par exemple le modèle économiste des rapports homme-femme, très en vogue actuellement. Ce modèle décrit les rapports entre individus comme régis par la loi de l’offre et de la demande : les femmes ont une ressource (le sexe) que les hommes veulent, et qu’elles leur accordent ou leur refusent pour obtenir elles-mêmes des ressources (comme de la protection pour leurs enfants). C’est un beau modèle, bien simple, avec un petit côté cynico-trash très tendance. C’est aussi un modèle qui a un très gros problème : il ne fonctionne que si l’on admet que les femmes ont un désir sexuel très inférieur à celui des hommes et ne se « donnent » que par calcul, idée reçue fort répandue, et aussi contestable que scientifiquement contestée. Pas de problème, on se trouvera un autre modèle… Sauf qu’en attendant, le modèle économiste a été tellement repris dans la presse qu’il passe régulièrement pour une réalité scientifiquement avérée plutôt que pour une construction théorique. Ce qui n’est pas le cas, et ne l’a jamais été. Mais à confondre outil d’interprétation et réelle découverte, on finit par voir de grosses confusions. Une fois toutes ces idées arrivées en vrac dans les mentalités populaires, on se retrouve ainsi avec des badauds pleins de bonnes intentions qui vous expliquent qu’une femme qui aime la bagatelle n’est effectivement qu’une traînée qui ne sait pas ce qu’elle fait, parce que son comportement n’a aucun sens au vu de l’évolution…

Avant de partir, n’oublions pas la flèche du Parthe. Je l’ai dit, les scientifiques essaient généralement de faire de leur mieux pour être objectifs, même s’il est difficile d’être neutre quand on vient d’une société avec ses façons de penser et ses idées reçues. Mais ils essaient aussi d’avancer dans leur carrière. Les journalistes scientifiques ne sont pas les seuls à devoir séduire le lectorat : les chercheurs aussi doivent souvent donner bonne mine à leurs résultats pour être publiés. On ne parle pas de mentir sur ses données, hein. Seulement de quelques pratiques bien honnêtes : rendre la discussion un peu plus attrayante, insister sur d’hypothétiques applications, sur le fait qu’on est le premier à y avoir pensé, le tout en évitant de parler trop longuement des limitations que notre expérience a forcément rencontrées… Vu qu’il s’agit de la discussion où on ne donne pas de faits objectifs de toute façon, c’est de bonne guerre et ça ne trompera pas un autre spécialiste. Mais lorsque ça arrive entre les mains des médias qui cherchent déjà le sensationnel, ça n’aide vraiment pas à l’objectivité.

Donc si nous récapitulons :
-entre ce que les scientifiques pensaient qu’ils devaient chercher
-ce qu’ils ont trouvé
-leur interprétation forcément subjective de leurs résultats
-la sélection par les journalistes scientifiques
-l’interprétation que fera un journaliste de l’interprétation qu’a fait un chercheur de ses résultats
-la reformulation de l’interprétation de l’interprétation à des fins d’accroche
-la lecture populaire de la reformulation de l’interprétation de l’interprétation de résultats obtenus suite à la formulation d’une hypothèse pas nécessairement objective au départ…
… cela fait beaucoup de raison de prendre le journalisme scientifique avec des pincettes.
Surtout quand il vous dit de retourner dans la cuisine.

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3 Responses to Comment faire la différence entre des vessies, des lanternes et de la vulgarisation scientifique

  1. Cecilia Morkova
    1 juillet 2014 at 2 h 25 min

    Bonjour, et merci d’être passé lire ce texte !

    Une ou deux petites précisions : tout d’abord, entièrement d’accord sur le fait que ce n’est pas la science qui dit aux femmes de « retourner dans la cuisine » (une formulation qui, vous l’avez compris, n’était pas à prendre à son sens le plus littéral !). C’est cependant l’impression que donne bien souvent la vulgarisation scientifique dans la presse, et c’était justement de la vulgarisation scientifique que je voulais parler, plutôt que de la science elle-même (d’où le titre et la conclusion). Je dis « bien souvent » en reconnaissant bien qu’on a facilement tendance à voir le camp d’en face comme la doxa ou la pensée unique, et que même dans la grande presse, tous les avis ne vont pas dans le même sens.

    Cela étant, j’avoue avoir été plutôt surprise que vous interprétiez cet article comme une défense de Catherine Vidal. Il me semble au contraire que ce texte fait plutôt écho à celui de Peggy Sastre dans le Nouvel Observateur (« Sexe et cerveau : la neurobiologiste Catherine Vidal a tort et il faut que cela se sache« ), puisqu’il rappelle justement qu’il ne faut pas toujours dire amen au discours des médias sur la science… (à titre personnel, je me garderais bien d’avoir une opinion sur les travaux de Catherine Vidal, que je n’ai pas lus) Effectivement, les exemples que j’ai choisis pour ce texte tendent plutôt à représenter des interprétations sexistes de travaux scientifiques (j’insiste sur le mot « interprétations » ;) ). Si je n’ai pas inclus d’exemples tirés de travaux dénonçant le « neurosexisme », c’est pour deux raisons simples. Premièrement, je ne crois absolument pas que mettre un point d’honneur à représenter tous les courants aide à une quelconque objectivité ; non seulement parce que l’objectivité absolue est un mythe (on peut rechercher des faits objectifs, mais les voies par lesquelles cette recherche s’effectue comportent généralement au moins une petite part de subjectivité), mais en plus, parce que cela contribuerait à renforcer l’impression selon laquelle il existerait deux « camps » opposés, ce qui ne me semble pas être le cas, ni être très productif intellectuellement. Ensuite, quitte à s’attaquer à des interprétations erronées de la science, je préfère m’en prendre à celles qui sont le plus directement dangereuses pour le grand public, parce que je crois quand même que quitte à ce que les gens croient à des approximations, ça fera moins de casse chez mes voisins de pallier s’ils sont convaincus que les hommes et les femmes ont des cerveaux identiques que s’ils s’enferment dans des rôles genrés restrictifs avec la soi-disant bénédiction de la science. Je précise d’ailleurs que j’accepte toute critique à ce sujet :)

    Pour résumer : non, je n’accuse certainement pas la science en général de sexisme (même si reconnaissons que tous les scientifiques ne sont pas parfaits à ce niveau, tout de même). Je ne prends pas non plus la défense de Catherine Vidal, et je laisse à d’autres mieux informés le soin de se prononcer sur ses travaux. Je crois malgré tout que lorsqu’on parle de science, il est toujours bon de garder à l’esprit que le discours scientifique ne s’arrête pas aux pages de Nature. De nos jours où le discours scientifique a supplanté le discours religieux comme pourvoyeur officiel de vérités incontestables dans l’esprit du grand public, il me paraît bon de se rappeler qu’aucune interprétation n’est anodine. Les journalistes sont responsables de l’effet que leurs propos peut avoir sur le public… et peut-être les scientifiques eux-mêmes ont aussi leur part de responsabilité, et ne peuvent donc pas se permettre de se laver les mains du débat généraliste sur la science (Peggy Sastre a d’ailleurs bien raison de faire remarquer sur Facebook qu’il y a un brin d’élitisme dans une telle attitude, à mon humble avis). Voilà pourquoi je vous remercie d’être venu prendre part à cette discussion :)

  2. 29 juin 2014 at 9 h 39 min

    Intéressant. Vous n’avez pas tort sur bien des points. Sauf qu’aucune étude scientifique ne dit aux femmes de retourner à la cuisine. De fait, les différences bien démontrées ne sont pas de nature ni d’ampleur à suggérer une répartition des rôles très différenciée. Du coup, si un tel message existe, il est de l’entière responsabilité des journalistes et autres vulgarisateurs, ce qui n’apparait pas si clairement dans votre article, qui est largement consacré aux scientifiques.

    Par ailleurs, l’article donne la drôle d’impression que votre esprit critique ne s’exerce qu’à sens unique. Qu’un journaleux rapporte des résultats en faveur d’une différence entre les sexes, et vous allez lui tomber dessus à bras raccourcis et démonter ses conclusions en deux temps trois mouvements (à juste titre, parfois). Mais qu’une vulgarisatrice bien connue passe son temps à clamer qu’il n’y a aucune différence cognitive et cérébrale entre hommes et femmes, tout d’un coup votre sens critique il se sent tout mou du genou (c’est mon sentiment à vous lire). Et pourtant, il y a de quoi faire:
    http://www.scilogs.fr/raisonetpsychologie/le-sexe-du-cerveau/

    • Cecilia Morkova
      2 juillet 2014 at 22 h 01 min

      Bonjour, et merci d’être passé lire ce texte !

      Une ou deux petites précisions : tout d’abord, entièrement d’accord sur le fait que ce n’est pas la science qui dit aux femmes de « retourner dans la cuisine » (une formulation qui, vous l’avez compris, n’était pas à prendre à son sens le plus littéral !). C’est cependant l’impression que donne bien souvent la vulgarisation scientifique dans la presse, et c’était justement de la vulgarisation scientifique que je voulais parler, plutôt que de la science elle-même (d’où le titre et la conclusion). Je dis « bien souvent » en reconnaissant bien qu’on a facilement tendance à voir le camp d’en face comme la doxa ou la pensée unique, et que même dans la grande presse, tous les avis ne vont pas dans le même sens.

      Cela étant, j’avoue avoir été plutôt surprise que vous interprétiez cet article comme une défense de Catherine Vidal. Il me semble au contraire que ce texte fait plutôt écho à celui de Peggy Sastre dans le Nouvel Observateur (Sexe et cerveau : la neurobiologiste Catherine Vidal a tort et il faut que cela se sache), puisqu’il rappelle justement qu’il ne faut pas toujours dire amen au discours des médias sur la science… (à titre personnel, je me garderais bien d’avoir une opinion sur les travaux de Catherine Vidal, que je n’ai pas lus) Effectivement, les exemples que j’ai choisis pour ce texte tendent plutôt à représenter des interprétations sexistes de travaux scientifiques (j’insiste sur le mot « interprétations » ;) ). Si je n’ai pas inclus d’exemples tirés de travaux dénonçant le « neurosexisme », c’est pour deux raisons simples. Premièrement, je ne crois absolument pas que mettre un point d’honneur à représenter tous les courants aide à une quelconque objectivité ; non seulement parce que l’objectivité absolue est un mythe (on peut rechercher des faits objectifs, mais les voies par lesquelles cette recherche s’effectue comportent généralement au moins une petite part de subjectivité), mais en plus, parce que cela contribuerait à renforcer l’impression selon laquelle il existerait deux « camps » opposés, ce qui ne me semble pas être le cas, ni être très productif intellectuellement. Ensuite, quitte à s’attaquer à des interprétations erronées de la science, je préfère m’en prendre à celles qui sont le plus directement dangereuses pour le grand public, parce que je crois quand même que quitte à ce que les gens croient à des approximations, ça fera moins de casse chez mes voisins de pallier s’ils sont convaincus que les hommes et les femmes ont des cerveaux identiques que s’ils s’enferment dans des rôles genrés restrictifs avec la soi-disant bénédiction de la science. Je précise d’ailleurs que j’accepte toute critique à ce sujet :)

      Pour résumer : non, je n’accuse certainement pas la science en général de sexisme (même si reconnaissons que tous les scientifiques ne sont pas parfaits à ce niveau, tout de même). Je ne prends pas non plus la défense de Catherine Vidal, et je laisse à d’autres mieux informés le soin de se prononcer sur ses travaux. Je crois malgré tout que lorsqu’on parle de science, il est toujours bon de garder à l’esprit que le discours scientifique ne s’arrête pas aux pages de Nature. De nos jours où le discours scientifique a supplanté le discours religieux comme pourvoyeur officiel de vérités incontestables dans l’esprit du grand public, il me paraît bon de se rappeler qu’aucune interprétation n’est anodine. Les journalistes sont responsables de l’effet que leurs propos peut avoir sur le public… et peut-être les scientifiques eux-mêmes ont aussi leur part de responsabilité, et ne peuvent donc pas se permettre de se laver les mains du débat généraliste sur la science (Peggy Sastre a d’ailleurs bien raison de faire remarquer sur Facebook qu’il y a un brin d’élitisme dans une telle attitude, à mon humble avis). Voilà pourquoi je vous remercie d’être venu prendre part à cette discussion :)

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