Mangez-le si vous voulez : le spectacle qui dévore son public

11 mars 2014
Par

Ou comment se faire avaler tout cru par un ogre dramatique, le monstre Scène.

L’adaptation théâtrale de Mangez-le si vous voulez, le roman de Jean Teulé, est terrassante. L’air de rien, avec à peine quatre personnes sur scène, des accessoires et des effets qui paraissent bricolés, la troupe emmène le spectateur dans un théâtre 2.0, d’une terrible modernité et d’une puissance ahurissante.

La pièce donne à vivre un fait divers de 1870 : « C’était leur ami d’enfance, leur voisin, et en ce beau jour d’été, ils l’ont mangé ! » Que ce soit clair : ils ont été punis par la justice. Là n’est pas la question de la représentation.

Un écho intemporel


Le spectacle se déroule sans autre forme de décor que les éléments d’une cuisine des années 1950. À petit feu, l’histoire se fait réduire, découper, hacher menu. Ça rissole, ça frémit, ça dégouline. On est dans le foyer, au plus profond des choses, des êtres, et dans n’importe quel foyer en même temps. Chez les « braves gens ». Les fameux « braves gens ». Ceux qui ont les valeurs, ceux qui savent ce qui est juste, qui savent ce qui est bien, qui savent ce qui est mal. Bien sûr.
La mise en scène transporte le public dans un village sans époque, sans histoire, sans origine. On y craint les ravages de la guerre contre la Prusse, ce pourrait être un village d’aujourd’hui. C’est un village en temps de crise.
Le spectacle donne la chair de poule parce qu’il incarne cette féroce déesse Crise, celle qui rend capable de tout et surtout du pire. Elle s’empare de l’humain, de ce qu’il y a de plus monstrueux en lui et le laisse se répandre comme une traînée de poudre.

Un spectacle explosif 


Malgré le confort des fauteuils du Théâtre Tristan Bernard, le spectateur assiste à la scène comme assis sur un baril prêt à sauter. Le parti pris de la mise en scène (conçue par les deux uniques comédien et comédienne qui incarnent tour à tour tous les villageois) est de dire plutôt que montrer. La narration de Teulé est si truculente, si vive et cynique que les metteurs en scène, Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, ont cousu à la main cette dentelle de mots sur un jeu de chair et de sang, de musique et de lumière.
Projecteurs et instruments sont les deux autres acteurs de la pièce. De roman, la pièce devient théâtre total. Voix, lumière, accord saturé, ombre, corps, micro, tous se mêlent et se fondent pour raconter une histoire qui prend corps sous les yeux, par les oreilles et dans l’épiderme du public. On frissonne, on trépigne, on se glace, on bout, on tremble, on retient son souffle. Dans un flot d’émotions, la salle est menée à la baguette par une orchestration de haut vol.

Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé
Au Théâtre Tristan Bernard jusqu’au 30 avril 2014
64 rue du Rocher 75008 Paris
Mise en pièces Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Avec Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Clavier Mehdi Bourayou
Guitare Laurent Guillet
Création sonore Fabien Aumeunier
Création Lumière Caroline Gicquet

Tags: , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton