Braver la solitude. Quand de cet instant hésitant tu franchis la porte,
dans une routine bien installée. Quand de cet instant nonchalant tu portes ton
panier chargé du poids du temps. Ton cœur est las, ton corps est là.
Chevillette enclenchée, tu es parée. Aliments listés, arthrose au rabais,
promotion sur le saucisson. Sur le palier, pliée, usée mais vaillante,
tu descends les escaliers douloureux. Cramponne le panier, empoigne
l’adversité. Marche matinale sans parole, film muet d’un éternel
et même lendemain. Quand de cet instant soudainement, violemment,
le carcan vole en éclat, tes muscles jonglent et ton cœur s’illumine.
De ces trois pelés et du tondu, de cet instant hésitant dans la rue,
l’échange a crû. Tu n’y croyais plus. Retrouve tes mots, vite, plus vite.
Comment parle-t-on?
Les engrenages cliquettent, le mécanisme crisse mais redémarre :
« Ah mais cette voix, oui, c’est la mienne, mais? Mais? Oui ! Elle chante !
Je résonne je sonne je vibre. Toutes cordes vocales grattées, arpégées,
chatouillées. Ma voix est belle. On l’entend, on y répond, on entonne en
canon la mélodie d’une conversation »
Quelques secondes auront suffi. Le juke-box s’est éteint mais sur ton visage
le sourire s’est figé. Cette expression rieuse, ce léger mouvement de tes
lèvres attirées par tes oreilles, la commissure droite un tantinet plus haut perchée
que la gauche, tu respires l’affection. Sincère émoi désormais offert à l’inconnu
qui, en cet instant envoûtant est charmé. Les zygomatiques de l’heureux élu
ont déjà ralliées ta cause. Innervé, le courant passe, la chaleur le grise.
Chasse le souvenir et passe l’avenir.
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