#22-Sans interdits

15 février 2013
Par

Ah la route. Moi j’aime ça la route. Rouler à fond fendre l’asphalte tailler le bitume. Glissante, enneigée, revêche, sur circuit, la route je la dévore de mes grandes dents carnivores. A moi le grand Géocoucou ! À vélo, auto ou moto, pédale enfoncée je garde la tête dans le guidon. J’enfourche ma machine gonflée à l’adrénaline. J’enfile mes gants dopés plein gaz. Contact. La poignée-ressort glisse et revient, les murs tremblent quand le moteur vrombit. Les roues larges gomment la conscience, l’engin grelote d’impatience. Hissée sur ma monture les circuits chauffent. vrrrRR vrrRRRRR. Là, étincelante, chaleureuse, la chaussée n’attend plus que nous. Fond de cale première, le compte-tours voit rouge, vitesse limite et dépassement. Regarder au loin l’horizon. Arrêt sur l’image. Le segment de route devient triangle. Ses bases larges accueillent ma bécane qui carbure à l’envie : atteindre la pointe. Inaccessible, le sommet se fourvoie, il s’amuse mais je ne cède pas. Plein gaz, mes poignets se cassent sur le guidon et ma poitrine se comprime sur le réservoir. À 200 kilomètres/heure sur mon fazer, ferrée de cuir noir élimé des années 60, j’arbore une veste de la même époque, rouge, barrée de deux bandes blanches obliques qui fendent la fermeture comme l’éclair. On ne reconnait effectivement plus personne. On oublie même qui l’on est. Les platanes défilent de chaque côté du paysage dans l’épais mirage d’une accolade impossible. La vision devient floue, la route se dérobe sous la roue. Je suis grise, éprise de vitesse. Le vent cogne, donne tout ce qu’il a mais je ne flanche pas. Le casque tangue de gauche à droite comme un carillon fou qu’on ne peut plus remonter. Droite, sinueuse, douce, silencieuse, la route est mon terrain de jeu. Eviter les pièges, les feuilles mortes et les graviers malins qui veulent ma peau. Quand tout part à vau-l’eau partons à vau-de-route. Propos déroutants. La laie rallie la vie car à la moindre entourloupe la mort fauche au tournant. Défi du temps par tous les temps. La dernière ligne droite est une ligne blanche. Transgression régressive. Je file sans crier gare et vois au loin le gyrophare. La lanterne bleue stroboscopique est portée par une sirène. La fête est finie. Je tourne la tête sur l’angle mort, ralentis, ralentis encore… puis remets les gaz d’un coup sec, tranchant, net. La machine s’emballe dans un vacarme tonitruant, quitte le sol et s’envole au-dessus des nuages. Vue de là-haut, la chaussée déformée ondule et se meut peu à peu en serpent venimeux.

©Ian Paterson

Tags: , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton