#20-Scuse my politicorrection

15 décembre 2012
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Le politiquement correct, ça va bien deux minutes. Au bout d’un temps, on ne se comprend plus parce que les mots n’ont plus de sens.

À une époque pas si lointaine, lorsque le métro arrivait à la dernière station avant le demi-tour, l’usager des transports en commun pouvait s’entendre dire : « Terminus ! Tout le monde descend ! » La formule est joliment désuète. Elle a fait son temps. Qu’en est-il aujourd’hui ? Désormais, « Tous les voyageurs sont invités à descendre. » Quand ce n’est pas carrément : « Nous vous invitons à descendre. »
Que pouvait bien avoir à se reprocher l’énergique « Terminus ! Tout le monde descend ! » ? Son énergie, justement ? Un peu trop autoritaire, peut-être. Avec son air de donner des ordres, aussi. Et cet impératif peu délicat brandi à la face du voyageur. Ce « tout le monde » anonyme et dépersonnalisant. Quel manque de tact. Quelle impolitesse. Quel mépris.
Et pourtant, quoi ? Arrivé au terminus, ne faut-il pas descendre de ce fichu wagon ? N’est-pas obligatoire et non relatif au bon vouloir du passager ? Il ne s’agit aucunement d’une invitation, mais bien d’un règlement. À suivre. Qu’il en ait envie ou pas, il devra descendre. Mais voilà, aujourd’hui, l’usager fait des manières, des simagrées. Il descendra, d’accord, mais il faut le lui demander gentiment. Avec un petit cœur sur le point du i. Il faut s’adresser à lui directement et non à la masse. D’où le « vous » soudainement surgi. Comble, ce « nous » qui prend la parole, c’est une déclaration vibrante et émue lancée au joyeux passager. Il faut dire aussi qu’« entre vous et nous, c’est une histoire de goût »
N’empêche, qu’il essaie de ne pas descendre, l’usager. On peut enrober le message d’un ruban politiquement correct, le fond n’en est pas moins un ordre déguisé en prière.

À force de ne plus pouvoir dire les choses, on s’habitue à ne plus savoir les entendre

Et d’abord, pourquoi dit-on « politiquement correct » ? « Politiquement », quand il ne réfère pas au gouvernement et à l’État, signifie « avec habileté, avec à propos ». Il est même employé au sens de « d’une manière opportuniste ». On comprend mieux. Le politiquement correct, c’est le bonbon pour faire avaler la pilule. Comme le chantait Mary Poppins, « la vie est moins amère avec un p’tit morceau de sucre, petit morceau de sucre, petit morceau de sucre ». Surtout, le politiquement correct sert d’abord celui qui en use. Alors qu’il a l’air de ne se préoccuper que de l’interlocuteur, il ne rapporte qu’au locuteur. En faisant croire qu’il prend en compte son allocutaire, il s’en attire les faveurs. CQFD. « Tout flatteur… »

La politesse est une chose, le foutage de gueule en est une autre. L’hypocrisie aussi.

Terminus, tout le monde descend !

Deux jolis mots politiquement corrects fleurissent les médias en ce moment : islamophobe et homophobe. Les deux mots désignent des caractères différents, bien que l’on puisse les cumuler.
D’autres points communs réunissent ces vocables. Ils sont formés avec le même suffixe. Ils sont entrés assez récemment dans la langue française. Ils sont un amalgame. Ils accusent.

À la source

Phobia, en grec, signifie «peur morbide, crainte». L’islamophobe est donc celui qui a peur de l’islam. Pour l’homophobe, c’est un peu plus complexe. Homo, en grec toujours, signifie semblable. Mais l’homophobe n’est pas celui qui a peur de son semblable (quoique). Homophobe est formé sur le homo de homosexuel, celui qui éprouve une attirance sexuelle pour des individus de son propre sexe. Au lieu d’homophobie, on devrait donc plus justement parler d’homosexophobie. L’homosexophobe serait bien, alors, celui qui a peur des homosexuels, de l’homosexualité.
La phobie est une crainte maladive. Une sorte de névrose. Le suffixe entre dans la construction de nombreux mots appartenant principalement aux domaines de la psychologie et de la psychopathologie. On pense à l’arachnophobie, peur des araignées, l’agoraphobie, peur de la foule, claustrophobie, peur des endroits clos, l’éreuthophobie, peur de rougir, la nosophobie, peur des maladies, et même la téléphonophobie, angoisse empêchant de téléphoner.
Quelles pathologies se cachent donc derrière l’homo- et l’islamophobie ? Aucune. Comme dans la xénophobie, la peur s’est transformée en intolérance puis en haine. Sauf que.

Amalgames

Sauf que ce n’est pas vrai. Il existe bien des gens qui ont simplement peur de l’islam ou de l’homosexualité. L’Islam et l’homosexualité feraient peur. Pourquoi le nier ? Faire peur est peut-être un défaut, mais ce n’est pas un signe d’anomalie. Le tonnerre fait peur. Le cheval de fer en son temps fit peur. Les découvertes de Galilée. Le progrès, simplement.
Que les raisons d’avoir peur soient légitimes ou non n’est pas la question. La question est que la peur n’entraîne pas forcément la haine. De la peur, « état affectif plus ou moins durable, qui accompagne la représentation d’un danger réel ou imaginaire », à la haine, « sentiment de profonde antipathie à l’égard de quelqu’un, conduisant parfois à souhaiter l’abaissement ou la mort de celui-ci », il y a un pas.

Le problème aujourd’hui est que ces mots, employés dans les médias et propos politiques, englobent à la fois ceux qui ont peur et ceux qui haïssent. D’où l’incompréhension, les dialogues de sourds et les débats qui n’en sont pas.

Accusés

Ceux qui s’inquiètent n’osent plus s’exprimer, de peur de se voir taxer de racisme ou de sexisme. Qui prend alors la parole ? Les racistes et les sexistes. Et en face ? Les tenants de la bienpensance, sans doute, qui, trop modernes, trop de leur temps, font semblant de croire que rien ne fait jamais peur à personne.
Qui sont les ignorants, ceux qui ont peur ou ceux qui les ignorent ?
Les gagnants, en tous les cas, sont ceux qui haïssent. Leurs voix, elles, se font bien entendre.

Et le politiquement concret ?… 

Au-delà des haineux, donc, il y a les inquiets. Ceux qui ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, de ce qui est diffèrent.
Car voilà tout le problème, la différence. Avec cette mode de cultiver sa différence, on en oublie les ressemblances, les universelles.

Il faut dire que la plupart des campagnes pour le mariage pour tous (« pour tous », universel, donc) sont loin de mettre l’accent sur cette universalité. Au contraire, paradoxalement, les photos placardées mettent en scène un parisianisme sexy pseudo branchouille hipster, qui n’est ni homo ni hétéro. Non seulement ces photos ne sont pas représentatives du mariage pour tous, mais elles ne dessinent pas mieux l’homosexualité. Être homo, ce n’est pas 1. être jeune, 2. porter une coupe asymétrique et 3. la lippe généreuse muy pendante. Comme le rappelle si bien le titre du film Les Invisibles, être homo, ça ne se voit pas sur sa figure, si ? Stop aux clichés. On n’a pas laissé tomber l’imaginaire Querelle de Brest – et son, c’est vrai, torride Brad Davis… – pour retomber dans les aléas sursexués. L’homosexuel n’a pas que la sexualité dans la vie. Tout comme l’hétérosexuel. Si Groucho Marx clamait que « l’homme est une femme comme les autres », on peut dire que l’homo est un hétéro comme les autres. Pas forcément sexy en diable, de droite comme de gauche, croyant ou pas, etc.

Il en va de même pour le musulman. Il n’a pas que la religion dans la vie. Mais, las, sur les plateaux télé, on préfère en discuter avec Véronique Genest, sans doute parce qu’elle fait de la pub pour du jambon.

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