#20-Avons-nous la même langue ?

19 décembre 2012
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« Toi qui me lis, es-tu sûr de comprendre ma langue ? »

Décidément, cette nouvelle collaboration des Fauteuses et des Inactuels semble marquée par le sceau du rendez-vous manqué, de l’écriture à l’arrache, du retard à l’allumage, et quelque part c’est tant mieux. D’ailleurs, en parlant de décalage, il est paradoxal de consacrer un numéro au thème des langues, avec le pluriel s’il vous plait, la langue n’étant pas les langues dans un monde et sur un support qui ne cessent de clamer leur morcèlement.

L’histoire fondatrice des divisions linguistiques est la belle histoire de Babel. Récit étiologique s’il en est, elle insiste sur la fondamentale incompréhension entre les personnes, et la solitude de l’homme enraciné dans sa condition subjective de mortel. Ce faisant elle renvoie l’expérience à la relativité et à l’inconsistance : ce que je vis n’est pas la même expérience que ce que vous lisez. D’où la médiation de la langue, système arbitraire de signes, qui part de la nécessité d’évoquer des référentiels communs. De là naquirent les langues censées réconcilier la solitude fondamentale de tout un chacun à celle de son voisin. Parlant une même langue, il n’y a point de malentendu. Ou il n’est point censé y en avoir, dans un univers voué à la communication.

Quand cette communication, et c’est de plus en plus l’impression que j’ai, n’est pas souhaitée et que chacun reste enfermé dans sa bulle de certitude, quel statut la langue possède-t-elle ? Etant sûr de ce que je vaux, de ce que je veux, de mes opinions et de mes buts, qu’est-ce que l’autre a à m’apporter si ce n’est un moyen dialectique de conforter mes propres pensées ? Nous qui vivons dans un monde qui devient stérile, sans tâche, sans bulle de travers ou de penchant inavoué, sommes-nous prêt à accueillir l’Autre dans son incomplétude linguistique ? Il suffit de lire n’importe quel forum, n’importe quelle discussion différée ou de regarder n’importe quelle série pour le comprendre. Le fond des choses n’est jamais en question, l’important n’est pas d’avoir raison mais d’avoir le dernier mot, de montrer que l’on manie mieux la langue et les formulations qui font mouche. La langue n’est plus vecteur de communication mais devient un cheval de bataille. Reconnaître la pertinence des arguments de l’adversaire est synonyme de défaite. A quoi sert la langue ? Elle est utile, économique, gorgée de venin, et par contrecoup sa beauté se dilue, elle perd paradoxalement de sa simplicité. Une langue qui solutionne et qui ne réfléchit pas. Et rien ne sert de lui en vouloir, ce n’est pas elle la fautive. Juchés sur nos Rossinante grammaticales, nous redevenons ce que nous nous efforçons d’oublier : des êtres fondamentalement imparfaits, incapables de comprendre l’Autre et palliant ce problème en trouvant le plus de points d’achoppement avec lui. Et son discours prend à mesure de nos certitudes la même absurdité que les livres de la bibliothèque de Babel, dans la somptueuse nouvelle de Borges. Nous passons notre vie à chercher le livre qui expliquera toutes les langues au milieu d’une bibliothèque infinie et fluctuante comme des châteaux de sable.

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