#18 – « J’aime les filles »

15 octobre 2012
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Comment aborder cette période à la fois si lointaine et si marquante ? La tâche s’avère plus compliquée qu’il n’y parait. Un récit personnel, au plus proche de la réalité me semble approprié. Je vais tenter de coller au plus près de mes émotions, perturbantes, ambiguës et intenses, qui m’ont animée et finalement construite. Car c’est ce manque de sincérité qui, à l’époque, m’a manqué.

A 14 ans, la question ne se pose pas. L’homosexualité n’existe pas. Nous ne l’abordons pas en classe, ni en famille. Je n’y pense pas. Je passe beaucoup de temps avec mes amies, banal. Je flirte avec les garçons. Mais il me semble que le contact avec des filles – qui me plaisent – est plus intense, plus plaisant.

En 1999, j’ai 17 ans. L’homosexualité n’existe toujours pas, ou si elle est évoquée c’est pour faire l’objet de blagues grinçantes. Rien, personne, pas de reportage, pas ou peu de films abordent ce thème.Pire, je me souviensd’un téléfilm diffusé sur la première chaine où la protagoniste lesbienne finit par tomber amoureuse du père de son enfant. Colère. Frustration. Je me souviens néanmoins avoir enregistré un film diffusé sur France 5, tombée dessus par hasard, où deux jeunes femmes découvraient leurs attirances l’une envers l’autre. Enregistré à la hâte, je l’ai probablementregardé des centaines de fois, en prenant soin de dissimuler ce petit trésor en lieu sûr dans ma chambre. Etre homosexuel est une honte, une déviance, une farce. Alors comment se l’avouer pour l’avouer ? Les pensées m’assaillent. Non ce n’est pas possible. Tu te trompes. Refoule ces sentiments. Tu ne seras jamais heureuse. La solitude resserre son emprise sur moi. Je suffoque. Sur mes avant-bras fleurissent les marques de cutter, peu profondes. Comme une punition, s’infliger une souffrance physique pour panser la blessure psychique. Je suis homo. Non. Si. Je ne me marierai jamais. Je n’aurai pas d’enfants. C’est impossible.Comment vont réagir mes parents ? Mes amis ? L’OMS a définitivement supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales le 17 mai 1990. Il y a tout juste neuf ans, neuf ans…

Mon désir pour le corps féminin se fait pourtant de plus en plus prégnant. Il se veut plus fort à mesure que je tente de le refouler l’enfouir l’enterrer l’enfermer à double tour dans un coffre-fort et de jeter les clés dans un puits sans fond. Insidieux, sournois, le désir m’envahit. O décolleté racoleur, O jambes galbées, O courbures aguicheuses, vous me plongez dans le désespoir.Sentiments inavouables je vous hais. Voir sans être vue. Regards furtifs empreints de honte. Il faut que je comprenne. Première année de fac, j’ai 18 ans et des petits copains. Ce n’est ni désagréable ni agréable. Ils sont beaux, cultivés et tendres. Je ne m’attache pas. Sexuellement, je n’accroche pas. Je ne me soucie guère de leur engagement ni de la fréquence de nos échanges. La relation s’éteint comme elle a débuté : sans faire d’étincelles.

C’est l’été de la même année. Je travaille en usine. Je rencontre une collègue de mon âge. Nous apparions énergiquement des centaines de paires de chaussettes et passons beaucoup de temps à discuter. Nous avons une connaissance en commun dont je n’avais plus de nouvelles depuis quelques années. Elle est lesbienne. « Les »-« bienne ». Ces deux syllabes rebondissent de synapses en synapses comme une balle de ping-pong en championnat du monde. Et tout son entourage est au courant ?! Cette révélation me fait l’effet d’un ouragan. Mon être tout entier est secoué d’une vague conscience de soi, la houle fouette mon cerveau de pensées ambivalentes. Alors c’est possible ? On peut en parler. Ses parents l’aiment toujours. Ses amis aussi. Quel courage ! Je revois Martine dont je tombe logiquement amoureuse. Il ne se passera jamais rien. Entre nous. Car pour moi tout s’est produit. Je fais mon coming-out auprès de ma meilleure amie peu de temps après. Ce soir-là, c’était décidé : elle accepte ou je me jette sous un train. Tendance borderline, j’étais plutôt adepte des comportements à risques. Je défiais la vie qui je pensais, m’avais imposé ce désordre. Assises sur le sol dans sa chambre, j’avoue avoir quelque chose de très important à lui dire. Je tortille mes doigts dans tous les sens, serre les mâchoires si fort que mes tempes sont prêtes à exploser, je prends ma respiration : « j’crois que je suis homo ». Les mots trébuchent et s’écrasent sur le silence comme une mauvaise chute dans les escaliers. « Et c’est de ça dont tu avais si peur de me parler ? » Larmes de soulagement. Je ne mourrai pas ce soir. Je vivrai si fort si libre, tellement moi.

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2 Responses to #18 – « J’aime les filles »

  1. Mag à l'eau
    28 octobre 2012 at 16 h 50 min

    Un texte très court pour raconter ces années de tourments, mais très efficace et très beau. Bravo !

  2. 28 octobre 2012 at 14 h 48 min

    Je trouve que cet article fait bien écho à tous les évènements récents avec les magnifiques happenings de l’Alliance Vita et ce magnifique baiser en réponse : http://rezonances.blog.lemonde.fr/2012/10/25/oiseaux-dansant-et-baiser-de-marseille-les-icones-du-debat-sur-le-mariage-gay-sont-nees/

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