#15-Zahia l’Indécente

15 avril 2012
Par

La Belle Otero

Zahia la Pute

Au départ, Zahia n’est qu’un prénom qui se répand comme une traînée de poudre. Celui de la prostituée mineure qui a été le cadeau d’anniversaire de Ribéry. A ce moment-là, on s’en fout de Zahia : ce qui compte c’est le scandale qui éclabousse ces footeux portés aux nues dès qu’ils donnent à la France l’illusion de sa solidarité.

Mais finalement, Ribéry on n’en a peu parlé ensuite. Celle qui est revenue sur le devant de la scène et des couvertures de magazines, c’est Zahia. Premier scandale : la pute s’affiche. Elle a même l’indécence d’afficher sa putasserie jusque sur son corps à moitié nu, provoquant, qu’on dit refait. Elle n’a pas la décence de revenir yeux baissés, corps couvert, en se repentant.

Et puis nouveau scandale, grâce à Lagerfeld, qui est plutôt fort à ce petit jeu de la provocation facile. Voilà qu’il fait de Zahia son égérie, voit en elle l’incarnation de l’élégance et l’image parfaite de la femme française. Haro sur le baudet. Les Femmes ne veulent pas être assimilées à des putes. La polémique se déchaîne. Pourtant, celle que soutient Lagerfeld n’est plus une pute. Une femme qui réussit encore, toujours, avant tout grâce à son corps, mais qui ne se prostitue plus. Ou alors, à ce compte, toutes les mannequins sont des putes. D’autres voix cependant se font entendre : certaines qui font de Zahia une courtisane, d’autres qui disent qu’après tout elle a bien le droit de faire autre chose que de tapiner. Manquerait plus que ça, qu’elle soit enfermée à vie dans le rôle de la pute. Décidément, on aime bien ranger les gens dans des petites cases.

Zahia la Courtisane

Revenons à cette histoire de courtisane, lancée, là encore, par Karl Lagerfeld, reprise, implicitement, par les artistes (masculins) qui l’ont immortalisée et que l’on retrouve également dans l’article (écrit par une femme) du magazine Next.

Une courtisane, c’est quoi ? N’en déplaise à certains, la courtisane n’est pas une spécialité française. Dans la Grèce ancienne, c’est l’hétaïre, une femme libre, qui se prostitue, mais également incroyablement cultivée, enseignant la philosophie à ces grands philosophes que nous avons retenus en les oubliant elles, sachant la musique et écrivant de la poésie. Pas vraiment le profil de Zahia, même si une galerie parisienne a exposé ses oeuvres comme photographe. Ce type de courtisane a eu ses avatars également dans la Renaissance italienne : Veronica Franco, Tullia d’Aragona sont connues pour les charmes de leur corps mais également de leur esprit. Ce qui n’empêche pas qu’elles symbolisent quand même, toujours, la corruption des mœurs. Les poèmes de Du Bellay écrits lors de son voyage en Italie sont éloquents : la courtisane est le signe de la décadence de Rome. Continuons. En ce sens, Diane de Poitiers n’est pas tout à fait une courtisane : elle est une favorite. Issue de la noblesse, maîtresse d’Henri II, on loue sa beauté, mais on ne peut pas vraiment dire qu’elle se prostitue. Il en sera ainsi pour un bon nombre de maîtresses et de favorites royales. Un saut dans le temps nous fait arriver au XIXe siècle, temps des « Splendeurs et misères des courtisanes » selon Balzac. Une courtisane c’est quoi ? Si elle vend toujours ses charmes, elle a perdu en route ses talents : souvent actrice ou chanteuse, protégée par un client bien riche qui lui offre robes et chevaux, la courtisane moderne désespère Alexandre Dumas qui ne voit en elle que cupidité et goût du luxe et qui regrette les belles spirituelles antiques. Bien souvent, la littérature l’aime repentie par l’amour ; La Belle Otero et Liane de Pougy au tournant du XXe siècle sont les incarnations dans la réalité de ces nouvelles courtisanes, avec lesquelles Zahia auraient donc plus à voir.

Alors, quoi ? Quels points communs avec Zahia ? La mise en scène du corps, c’est sûr. La beauté ? Ça, c’est une question de goût. Le sexe ? Zahia est, apparemment, rentrée dans le rang. Du luxe, de l’argent, du tapage médiatique ? A n’en pas douter. Les artistes qui lui rendent hommage ? certainement. L’ascension rapide et facile ? évidemment.

Liane de Pougy

Zahia l’Ambitieuse

Parce que ce qui paraît indécent chez Zahia, c’est la carrière facile. Je ne parle pas ici de ses années de prostitution. Si faire le tapin était si facile que ça, nous serions plus nombreuses sur le trottoir. Ce que j’entends par carrière facile c’est ce temps entre le moment où l’affaire Ribéry a éclaté et celui où elle devenue femme d’affaires à la tête de sa ligne de lingerie. Que l’ex-prostituée devienne styliste, c’est plutôt un signe positif, on évite le « pute un jour, pute toujours » dont nos consciences collectives ont du mal à se débarrasser. Ce qui est plus indécent, pour ceux et celles qui bossent comme des malades pour pouvoir un jour espérer avoir leur propre collection – et j’en connais des stylistes qui faute de boulot ont dû se reconvertir en gendarmes – c’est que ce temps est un temps seulement médiatique. Pas un temps de travail. Imaginons que son client n’ait pas été Ribéry, mais un illustre inconnu. Aurait-elle réussi quand même à arriver là où elle est maintenant ? C’est ça qui laisse un petit goût amer : l’impression de voir une poupée dans les mains de gars qui exploitent son image sulfureuse. Zahia, c’est une Loana peut-être moins fragile qui a réussi à rencontrer les bonnes personnes. Après, je n’en sais rien, elle maîtrise peut-être tout. En tout cas, c’est ce que j’espère pour elle, car sinon ça risque de ne pas être évident quand elle ne sera plus l’Indécente… Le sort des courtisanes n’est guère enviable sur ce point-là, la plupart ayant fini oubliées, pauvres, au mieux religieuses et repenties…

Zahia, c’est qui ?

Finalement, ce qui serait le plus indécent, c’est tout ce buzz autour d’une nana qui est avant tout une personne. On en parle comme si elle n’était que l’incarnation de quelque chose : de la Pute, de la Beauté, de l’Elégance, de la Revanche, de la Provocation, de l’Ambition etc. Mais derrière tout ça ? Le dossier de presse disponible sur son site balaie toutes ces facettes pour n’en ériger qu’une : Zahia Dehar, l’artiste et la créatrice. La répétition du nom et du prénom dans le dossier est significative : on ne cherche pas à exploiter la dimension sulfureuse de Zahia – aucun mot sur son passé -, mais à lancer Zahia Dehar. La campagne de communication est plus maligne que la polémique qui encense ou fustige la jeune femme, même si la collection et les photos répondent à l’image qu’on se fait de Zahia : enfantine, un peu vulgaire, lisse.

Au fond, je m’en fous un peu de Zahia. Mais son histoire est bien écrite. Et si je devais rencontrer Zahia, j’aimerais qu’elle me parle de son travail, qu’elle m’emmène au boulot. Pas qu’elle me reçoive dans un boudoir sucré avec des macarons. Que je puisse voir qu’elle est une femme comme les autres, pas en plastique, pas une icône, pas une marionnette qu’on fait parler. Entendre ses mots, ses vrais désirs, pas ceux des autres. Allez, au boulot, Zahia !

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