13-Oscars versus César : le vintage au cinéma, une mode américaine ?

23 février 2012
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Un tapis rouge rétro

À l’approche des deux cérémonies paillettes, glamour et statuettes de ce week-end, on se retourne sur l’année cinématographique et l’on constate, rien qu’à la liste des différents films et acteurs nommés, qu’elle fut des plus rétro. Autant dire que les décorateurs et costumiers ont eu du pain sur la planche.
Les cinéastes, cette année, ont aimé mettre en scène les années 90 dans Omar m’a tuer, les années 80 dans The Iron Lady, les années 60 dans Les Femmes du 6e étage, les années 50 dans The Tree of life et My Week with Marilyn, les années folles dans Midnight in Paris, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle dans Albert Nobbs et L’Appolonide, et jusqu’au cinéma muet lui-même avec Georges Méliès d’un côté, dans Hugo Cabret, et le fictif George Valentin, The Artist, de l’autre. Ainsi, l’Américain Scorsese situe son action à Paris, tandis que le Frenchie Hazanavicius installe son personnage dans les studios hollywoodiens.

Chassé croisé

Si les Oscars semblent bien mettre à l’honneur un plus grand nombre de films rétro que les Césars, on n’oublie pas que les Américains sont les précurseurs quand il s’agit de traiter l’actualité. Le cinéma français a peut-être évolué en mettant – enfin – en scène la vie politique française actuelle dans La Conquête et L’Exercice de l’état, cette année, mais Clooney dirigeait Les Marches du pouvoir selon une tradition américaine qui a depuis longtemps l’habitude de s’emparer de son histoire politique contemporaine.
Le vintage au cinéma, quant à lui, est-il alors plus américain ou français ?

Faire du neuf avec du vieux

Cette année, plus que jamais peut-être, on a fait du cinéma moderne avec du cinéma à l’ancienne. Hugo Cabret et The Artist, tous deux nommés dans la catégorie Meilleur Film aux Oscars, parlent bien sûr du cinéma, celui des origines. Tous deux usent de références explicites à de vieux films, qu’on pense à Chantons sous la pluie, par exemple, devant ce dernier, ou à L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat, devant le premier. Quel clin d’œil, d’ailleurs de la part de Scorsese. D’un côté, il cite tel quel le film des frères Lumières, riant de la réaction du public de l’époque (les spectateurs, effrayés par le train arrivant sur eux, tentent de quitter la salle). De l’autre, plantant son décor dans une fictive Gare Montparnasse, le réalisateur ne résiste pas au plaisir malicieux de faire, à son tour, foncer un train droit sur le spectateur, qui, face à l’impressionnante 3D, se retrouve alors à comprendre celui de 1895.

Quand le vintage se fait hommage

Dans ces deux films, dont sujets et traitements sont très différents, les réalisateurs rendent avant tout un hommage humble et ému au Cinéma (oui, oui, celui avec un grand C). À un Monsieur Cinéma, chez Scorsese. Et quel monsieur. Georges Méliès. Incarné par un autre Monsieur Cinéma lui-même, Sir Ben Kingsley. Après avoir vu Hugo Cabret, on n’a qu’une envie, regarder des films de Méliès. Quelle meilleure preuve d’un hommage réussi ?
Hazanavicius, de son côté, célèbre les premiers pas du Cinéma et ses chefs d’œuvre d’un autre âge. The Artist plonge le spectateur moderne dans un univers suranné de claquettes, sourcils levés et moustaches lustrées. Pas de 3D, pas de couleur, pas même de son. Et pourtant, la magie opère toujours, comme indémodable, et le public se surprend à rire et à pleurer. Touché, comme disent les Américains en français dans le texte.
L’hommage est certain. La jeune Peppy, c’est Hazanavicius. Et George Valentin, c’est le Cinéma à l’ancienne. Comme Valentin est celui qui met le pied à l’étrier à Peppy, le cinéma des origines est ce qui pousse Hazanavicius à faire des films. Et comme Peppy n’oublie pas George, continue à penser à lui et à le vénérer, le réalisateur français rend hommage au cinéma des débuts, sans qui il ne serait rien. The Artist devient une œuvre pleine de reconnaissance pour un cinéma sans qui on n’en serait pas là, un cinéma qui maîtrisait déjà toutes les logiques de narration utilisées aujourd’hui, un cinéma qui marche encore, la preuve. C’est tout le message de The Artist. Ce n’est pas parce qu’ils étaient muets ou en noir et blanc que les vieux films ont vieilli. Ce n’est pas le progrès technique qui fait la qualité ou la modernité d’un film. Avec les techniques d’hier, on peut encore faire un super film.

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures

Là où le vintage est moins attendu et où il se fait donc plus étonnant, c’est dans La Guerre est déclarée. Sans que rien ne l’annonce vraiment, ni dans l’affiche, ni dans l’argument, ce film n’en est pas moins très inspiré par ses prédécesseurs. Les critiques ne s’y sont pas trompés qui ont parlé, à sa sortie, de nouvelle Nouvelle Vague. Valérie Donzelli se revendique d’une famille, s’inscrit dans une lignée. Mais elle revisite les recettes de ses grands-pères, à sa sauce. Elle n’emprunte pas à Demy que la mise en chanson, mais aussi les couleurs vives, parfois tranchantes, et le goût pour la réplique acidulée. Comme le cinéma peut l’être chez Jacques Demy, dans Les Parapluies de Cherbourg, par exemple, le film parvient à être grave et léger à la fois. La Guerre est déclarée donne au spectateur l’impression de se faire passer dessus par un bulldozer, mais un bulldozer rose à fleurs, quoi. De Truffaut, elle adopte le format CinémaScope et la musique des 400 Coups pour ouvrir son film qui se termine presque avec la même séquence finale : une course folle en bord de mer. Au bord de la vague, on l’a compris.

Dans quelques jours, ces films seront – ou ne seront pas – récompensés par l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma et l’Académie des Oscars. On ne peut encore présumer de la distribution des petites statuettes. En attendant, il y a fort à parier que le vintage sera à l’honneur ce week-end, qu’il soit gravé sur des figurines dorées ou, tout simplement, esquissé – avec grâce – par les tenues de gala qui défileront à l’entrée des artistes.

Nota Bene

On ne pourra que remarquer – s’indigner de – l’absence de Drive, non pas tellement dans ce papier, mais surtout dans la liste des nominations hollywoodiennes. Juste une seule petite nomination. Ce qui a mené un graphiste à composer cette photo ironique.
Pourtant, Drive aurait eu toute sa place aux côtés des plus prestigieuses nominations, à commencer, et de loin, par celles de Meilleur Film et Meilleure Réalisation. De plus, le réalisateur, Nicolas Winding Refn, pousse à la consécration le fait de revisiter une esthétique. Un brin baroque, un brin gore, mais surtout so années 80. De la typo rose fluo à la Footloose de l’affiche et du générique à la musique ringarde des vieux sons de synthé, en passant par une déco poisseuse et des fringues improbables. Le coup de maître est là : se servir de cette matière démodée pour créer une œuvre magnifique. L’image est à couper le souffle.

Alors merci aux Français qui n’ont pas eu peur, eux, de nommer Drive dans la catégorie Meilleur Film étranger.

37e Cérémonie des Césars : vendredi 24 février, 21h00, retransmise en clair sur Canal+
84e Cérémonie des Oscars : dimanche 26 février (lundi 27 à partir de minuit cinq, heure française), retransmise en cryptée sur Canal+
Reprises au cinéma : The Artist et Polisse sont actuellement de nouveau en salles
Sortie DVD : La Guerre est déclarée, Polisse et Drive

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