#12-Affiches des Infidèles : censure, à qui le tour ?

5 février 2012
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En parlant de couples

Provocation

Les affiches du film Les Infidèles font parler. Elles choquent, elles font sourire. Pour les uns, elles sont impudiques, pour les autres drôles. Bref, elles provoquent.

Donc elles ont été censurées*.
Qu’est-ce qui choque ? Plusieurs choses. Pour les uns, c’est l’adultère. Qui n’est exprimée que par le titre et le slogan. Sans quoi rien ne signale que les couples représentés soient illégitimes. Pour les autres, c’est le sexe, dont on est gavé, jusqu’à l’over-dose, et qui vient en plus s’étaler sous les yeux des plus petits, comme ça, là, dans la rue, sans carré rose ou cryptage de sécurité. De la pornographie de trottoir, tout bonnement. Pour d’autres encore, c’est l’image de la femme qui est salie, dégradée, bafouée, comme toujours.

Querelle

Difficile, pourtant, de se laisser convaincre par ces arguments.
L’adultère, d’une part, semble bien être le sujet du film. D’autre part, même si elle est jugée amorale par certains ou beaucoup (peu importe), elle reste l’un des premiers sujets de la littérature mondiale (de Dracula à Tristan et Iseut en passant par Madame Bovary), bien avant le cinéma. Vaste champ à censurer, donc, si on s’arrête là.
Le sexe, lui, est totalement absent de ces affiches. Aucune verge, aucune vulve. Pas même un anus. Les langues sont cachées. Les bouches fermées. Point de pornographie, donc. Seuls, mains, bras, jambes et visages sont nus, ce qui n’est pas systématiquement synonyme de débauche, du moins pas sous ces tropiques, même si, par le climat qui court, des cuisses nues peuvent faire frissonner de compassion, il est vrai. Et si des enfants identifient la fellation suggérée par la photo de Gilles Lellouche, alors c’est qu’ils savent déjà ce que c’est…
Quant à l’image de la femme, qu’est-ce qui la dégrade ? Le sexe ? Avoir des rapports sexuels serait donc dégradant. C’est bon à savoir. Maman ou putain, pour changer. La position ? Pourtant, la sexualité, ce n’est pas non plus missionnaire ou rien. Rien n’indique encore que ces femmes soient forcées. Que sous-entendent les critiques : qu’une femme ne peut pas avoir envie de se taper son collègue au bureau ? Car, on l’oublie, mais ce n’est pas l’image de la femme, mais de la collègue de travail, et même de bureau, qui est représentée ici. Escarpins assortis au vernis à ongles, chignon serré de working girl, manches courtes noires et strictes viennent dessiner la panoplie. Une femme qui travaille, indépendante et qui, apparemment, a bien envie d’un peu de bon temps. Bouh, la sale bête.
Ne serait-ce pas ça le plus choquant, finalement ? Une femme indépendante qui a envie de sexe, juste pour le plaisir. Berk. Vite, mieux vaut encore imaginer qu’elle n’est pas consentante ou pas vraiment, qu’elle est abusée par le méchant mâle con comme sa bite.

L’image de l’homme

On a pu lire que ces affiches étaient insultantes tant pour la maîtresse que pour l’épouse. Et l’homme, dans tout ça ? Est-il glorifié, ce beauf mal rasé qui sort une excuse grasse et bidon le temps de retourner sa partenaire sa cravate ? En quoi ces affiches ne salissent-elles pas l’image de l’homme ? Au contraire, on sentirait presque, au grain de la photo, au parti pris ultra réaliste de la représentation masculine (si, si, les petits plis de peau, çà et là, les rides non gommées, aucune imperfection effacée – ah, si, on note : les jambes et les bras de la femme sont parfaitement épilés et impeccablement lissés… mais c’est quand même elle qui serait dégradée, hein), on sentirait presque, donc, comme une volonté de moquer ces hommes balourds. D’ailleurs, ils ne sont pas beaux. On a déjà vu Jeannot et Gillou bien plus à leur avantage. Là, Dujardin est à deux moues de faire le chameau…


Jean Dujardin fait le chameau dans un talk show… par puremedias

On peut donc ainsi lire aussi que les féministes – certain(e)s ! – se trompent. Bizarrement, si ces hommes commettaient l’adultère avec un homme, on a du mal à croire qu’on crierait au scandale et à la dégradation de l’image de l’homme. Entendrait-on parler d’objet sexuel ? D’hommes abusés ? Bizarrement encore, personne ne semble imaginer que les femmes représentées puissent, elles aussi, être infidèles. Après tout, le monde du travail n’est pas constitué d’hommes exclusivement mariés et de femmes exclusivement célibataires (on n’est plus dans les années 60 où il n’était pas digne d’une femme mariée de travailler. Si ?…). Ah, la femme ne porte pas d’alliance. C’est vrai. Et dans un pays qui compte environ autant de mariages que de PACS, ça veut tout dire. Bizarrement toujours, une affiche tout à fait comparable par son slogan ambigu, sa position provocante et sa mise en scène de l’image de la femme n’avait pas été censurée en son temps (il y a dix ans très exactement) : celle du film La Secrétaire.

Auto-censure

Ce qui est plus inquiétant, c’est cette vague d’auto-censure qui semble envahir les sphères médiatiques au sens large. On a pu observer le même phénomène avec les affiches du spectacle de Stéphane Guillon, retirées par ceux-là mêmes qui les avaient posées. C’est aussi le cas avec la réédition des aventures du Club des Cinq, actualisée au goût du jour : le sexisme inhérent à l’époque (ce sont les filles qui pleurent et qui font la cuisine) est effacé. Hop ! comme par enchantement. Faire croire qu’il n’a jamais existé est-il réellement la meilleure façon de lutter contre ? Nier l’existence d’un fait n’a pourtant jamais empêché personne de le subir.
Que ce soit bien clair, dans ces trois cas, il ne s’agit pas de décisions prises par une autorité sanctionnante, mais de censures prises en amont par les premiers intéressés, préférant sans doute prévenir que guérir. On n’attend pas la sanction, on l’anticipe. Soi-même. Mieux que le diktat, l’auto-diktat.

Épilogue

Pour revenir à l’affiche des Infidèles – que l’on peut bien trouver beauf, vulgaire et moche –, des médias français se sont inquiétés de l’Oscar qu’elle pourrait coûter à Jean Dujardin dans un pays aussi pudibond que les États-Unis. Qu’on se rassure. Les Américains se marrent. Chouette, on a trouvé « plus puritains qu’eux » ! Qui ça ? Ces libertins de Frenchies.

* Censure qui apparaît d’autant plus inutile ou absurde que cette campagne n’était qu’un préliminaire préambule, ces affiches n’étant pas destinées à rester mais à ouvrir la voie à l’affiche officielle (toute sage, elle, à côté).

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2 Responses to #12-Affiches des Infidèles : censure, à qui le tour ?

  1. Arianne de Merteuil
    10 février 2012 at 13 h 12 min

    Et un débat de plus pour les féministes, un.
    Ce qu’il faudrait censurer ici, c’est bien la ligue anti-mysogynie, qui une fois encore nous GONFLE.

    Excellent article en revanche.

  2. 6 février 2012 at 11 h 26 min

    Je trouve ces affiches choquantes, non pas parce qu’elles parlent de sexe ou d’adultère, mais bien parce que je les trouve dégradantes pour les femmes.

    Et ce n’est pas parce qu’elles couchent que c’est dégradant, mais parce qu’elles sont objets sexuels et non pas sujets. On ne voit pas leur visage, juste des bouts de corps. A aucun moment elles ne semblent prendre une part active dans la relation. Elles semblent là, à disposition du plaisir des hommes.
    Je trouve que celle avec Jean Dujardin est particulièrement choquante : la fille a l’air complètement à la verticale, dans une position incongrue, voire ridicule. On ne voit même pas sa tête. Je trouve qu’on dirait un objet que Jean Dujardin trimbale.
    Quoique l’autre aussi est choquante… la fille a vraiment une attitude de soumission à son égard (rien que la façon dont elle a de poser les mains, telle une adoratrice)

    Si on avait vu des femmes entières, avec un visage, semblant prendre du plaisir et ressemblant un peu à des être humains, OUI. Mais là… :(

    Donc, non, j’aurais aimé voir des femmes indépendantes prenant du plaisir, mais ce n’est pas le cas.

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