#12-Troubles dans le couple : La Garçonne et l’assassin de Fabrice Virgili et Danièle Voldman

C’est une bien fascinante histoire que nous racontent Fabrice Virgili et Danièle Voldman dans La Garçonne et l’assassin. Une histoire de couple qui suit le cours de l’Histoire dans les années 20. Du couple, il en est question dès le titre trompeur qui fait apparaître les deux protagonistes. Mais la garçonne n’est pas celle que l’on croit et l’assassin non plus. Car c’est une histoire de trouble dans le genre. La garçonne, c’est le mari et l’assassin, l’épouse. Troubles du genre, troubles de l’Histoire : si Paul Grappe, marié à Louise Landy, tous deux ouvriers parisiens dans les années 1910, devient Suzanne Landgard, ce n’est ni par désir ni pour afficher une identité sexuelle qui se cherche : c’est pour échapper à la condamnation qui le menace après avoir été jugé déserteur lors de la Première Guerre Mondiale. Paul pousse la dissimulation et le changement d’identité au-delà des genres, mais continue de vivre avec Louise, à la mode garçonne.

C’est donc ce parcours peu commun d’un couple peu commun, alors sans enfants, que nous racontent les deux historiens. Les changements de domicile, les problèmes d’argent, une Louise dévouée mais aussi un Paul qui habillée en femme se découvre un pouvoir de séduction insoupçonné et prend plaisir à cette double identité, un plaisir tout sexuel, fait de parties fines et de bisexualité. Et Louise qui suit. Fidèle. Qui travaille pour deux, qui accepte l’échangisme pour plaire à Paul/Suzanne. Jusqu’à l’amnistie de Paul. La condamnation est levée, Suzanne peut redevenir Paul, ce qu’il fait. Et la descente aux Enfers commence. Les atrocités vécues à la guerre, les dix ans vécus sous une identité féminine n’ont pas laissé Paul indemne. Il se met à boire, à frapper Louise. Celle-ci décide de s’enfuir, quelle ironie, avec son partenaire d’échangisme devenu son amant. Mais elle revient quand même auprès de Paul et se découvre enceinte. Un garçon naît, Paul s’apaise un peu, mais très vite il redevient violent, toujours porté par ses litres de vin quotidiens. Un soir, Louise devient l’assassin. Son enfant est malade, il n’y a pas d’argent, Paul refuse de travailler, les disputes sont incessantes. Elle tire sur Paul et le tue. Elle se rend immédiatement à la police, invoque la légitime défense. Elle est placée en détention. Son fils meurt des suites de sa maladie alors qu’elle est en prison. En attendant son procès, son avocat lui demande de mettre par écrit son histoire, sa vie avec Paul. C’est une voix qui pense à sa défense qui se lit bien sûr dans ses pages. Elle sera d’ailleurs acquittée, en dépit des ambiguïtés pointées par l’enquête. Puis se remariera.

L’histoire de Paul et Louise est digne d’un roman. Un roman en deux parties, La Garçonne puis L’Assassin, le roman de Paul puis celui de Louise. Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est son côté extraordinaire : le travestissement de Paul constituait déjà en soi une expérience particulièrement complexe pour le couple, celle de l’assassinat vient la redoubler en même temps qu’elle l’achève. Les deux historiens ne font pas de roman cependant : ils s’en tiennent aux faits, citant de nombreux documents, insérant des photos, les présentant tous, d’où qu’ils viennent, pour montrer la complexité de l’affaire et les faisceaux de regards et d’interprétations, pour souligner aussi la part de mystère, de ce qui nous échappe dans le couple formé par Paul Grappe et Louise Landy.

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Fabrice Virgili, Danièle Voldman, La Garçonne et l’assassin. Histoire de Louise et Paul, déserteur et travesti dans le Paris des années folles, Payot, 2011.

A écouter sur le site de France Culture, l’émission qui a été consacrée à cette histoire dans La Fabrique de l’Histoire.