#10-Tahiti : femmes d’ailleurs, regards croisés

12 décembre 2011
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Où plus qu’ici, à Tahiti, l’image de la femme est-elle un vrai mythe ? Mythe de la vahine avec sa fleur au coin de l’oreille, à demi-nue, assise dans l’eau claire du lagon, sa peau veloutée et tout juste hâlée… Vision d’explorateur qui, certes, donne de la femme un instantané plutôt flatteur mais réducteur. Qui sont aujourd’hui ces femmes qui vivent dans la « Nouvelle Cythère » ? Comment affirment-elles leur identité ? Quels sont leurs engagements ? Leur image de la femme ?

Heirani, Nathalie, Vaiteani et Vaihere ont bien voulu répondre à quelques questions.

Vaihere, Heirani et Nathalie

Tahitienne, Polynésienne, vahine, tant de noms pour une identité féminine (et j’en ai peut-être oublié). Comment se positionner là-dedans ? Doit-on se positionner par rapport à ces termes pour affirmer son identité ? Est-ce votre cas ?

HEIRANI. Je commence ? Alors moi je ne me suis jamais posé la question, autant de termes pour désigner le sexe féminin au final. Suis-je Tahitienne ? Oui, puisque je suis née à Tahiti. Suis-je Polynésienne ? Oui, puisque je suis née et je vis sur une île de Polynésie. Suis-je une vahine ? Oui, puisque je suis une femme. A mon goût, il y a trop de connotations, de sous-entendus, trop de clichés attachés à ces termes.

VAITEANI. Pour ma part, vahine, c’est connoté négativement, cela fait référence au côté séducteur de femmes aux moeurs légères. Même si ce n’est pas le sens premier du mot qui veut tout simplement dire « femme » en tahitien. Quand j’étais en France, pour parler de mes origines, je précisais Tahiti vahine car les gens confondent Tahiti et Haïti. Je préfère le terme Tahitienne car cela fait référence à une culture. Polynésienne, c’est trop vague. Ici, on a plus tendance à s’associer à notre île plutôt qu’au groupe Pacifique. Une femme des Marquises se dit Marquisienne.

NATHALIE. Moi, lorsque je me trouve ailleurs qu’en Polynésie, je me définis bizarrement comme TAHITIENNE. Je vois dans ce terme une appartenance presque ombilicale, une appartenance à une terre. Lorsque je suis à Tahiti, je ne peux pas vraiment dire que je suis TAHITIENNE car je suis, du point de vue du sang, une DEMIE : mi-tahitienne par ma mère et mi-chinoise par mon père. De plus, j’ai appris à parler chinois avant d’apprendre à parler français ou tahitien. Le terme VAHINE véhicule une image un peu désuète et de papier glacé qui est à mon avis loin de l’actuelle FEMME polynésienne. Il ne faudrait pas se cantonner à ces termes car je me sens profondément « une citoyenne du monde » aimant découvrir un maximum de cultures pour me forger une identité en accord avec l’évolution de ma planète.

VAIHERE. A moi ? Alors, je me sens plus Tahitienne vahine tahiti que Polynésienne. Il est vrai que Tahiti fait partie de la Polynésie, mais le fait de savoir mieux parler tahitien que pa’umotu, marquisien, mangarevien, maori, hawaiien… fait plus de moi une Tahitienne et pourtant je suis née à Rangiroa. La langue doit permettre un positionnement, et, c’est ainsi que j’affirme mon identité. Je dis souvent que la langue tahitienne est la langue de mon cœur alors que le français la langue de mon esprit. Il faut préciser, toutefois, que cette Tahitienne à laquelle je m’identifie n’est pas celle présentée dans les romans, les seins nus, cheveux au vent…

En 1771, Le Voyage autour du monde de Bougainville fait connaître la « Nouvelle-Cythère » (Tahiti). Pourquoi ce nom ? Avant même de débarquer, les Français ont reçu une visite à bord. Voici la description (Vaihere prend le livre et lit) : « une jeune fille se présenta, laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien : elle en avait la forme céleste. » Je ne suis pas cette Vahine, Tahitienne, Polynésienne…

Existe-t-il un courant féministe propre à la Polynésie? Si oui, quelles sont les revendications de ses femmes?

HEIRANI. J’aurais tendance à dire non. Je ne perçois pas vraiment de mouvement unitaire de contestations en Polynésie. Pourtant, il y a de plus en plus de femmes qui s’engagent dans les mouvements associatifs, en politique, voire dans les communautés religieuses, mais leur objectif n’a pas forcement une finalité féministe. Il y a une telle diversité socioculturelle qu’un mouvement unitaire est difficile à atteindre. Les femmes en Polynésie s’engagent pour améliorer la condition féminine et soutenir les familles, leur objectif est d’abord d’améliorer leurs situations dans la sphère familiale. Pourtant, un thème les rassemble de plus en plus, c’est les violences à l’encontre des femmes.

NATHALIE. Heirani a raison, si mouvement il y a, il est loin des revendications des suffragettes et autres féministes qui ont marqué notre histoire commune. Je ne ressens pas de mouvement fort, rassembleur, partagé en Polynésie. Il n’y a pas de mouvement Ni pute ni soumise en Polynésie. Il n’y a pas de mouvement pour une meilleure représentation en entreprise ou dans une fonction à forte responsabilité dans un gouvernement. Il en faudrait peut-être. Nos revendications apparaîtraient à mon sens comme universelles et non spécifiques à la Polynésie: stop à la violence physique, stop à la discrimination au travail, stop à l’exploitation sexuelle…

VAITEANI. Pareil, je dirai que non, à ma connaissance, il n’y a pas de grande figure du combat féministe ici. Il y a surtout des écrits pour réhabiliter les femmes qui n’étaient pas telles qu’on les a décrites quand les premiers colons sont arrivés. Le premier combat à mener ici c’est la lutte contre les violences domestiques.

VAIHERE. L’objectif principal de la « première vague du féminisme » est de réformer les institutions, de sorte que les hommes et les femmes deviennent égaux devant la loi : droit à l’éducation, droit au travail, droit à la maîtrise de leurs biens et droit de vote des femmes. Comme partout ailleurs, la Tahitienne revendique les mêmes droits. Mais il n’y a pas de courant féministe propre à Tahiti.

Êtes-vous féministe ? Pourquoi ?

VAITEANI. Oui. A partir du moment où tu défends les femmes et leurs droits, tu l’es, non ?

HEIRANI. Oui, enfin, dire que l’on est féministe, c’est reconnaître qu’il y a des inégalités entre les femmes et les hommes. Oui de fait et par nature, ces inégalités sont réelles, mais est-ce une fatalité pour autant ? Je dis non, à chacune d’entre nous à agir à son échelle.

VAIHERE. Non car je n’ai rien à prouver. Je n’ai pas besoin de taper sur la table (d’être un homme…) pour me faire respecter, pour me faire entendre. Je pense tout à coup au Mouvement de libération des femmes (MLF) qui avait situé ses luttes dans une contestation radicale de l’ordre patriarcal, pour inscrire au cœur de la culture sa volonté absolue de voir abolie l’oppression des femmes. Il est vrai que le féminisme a engendré le « mythe de l’indépendance » mais sont elles pour autant heureuses ?

NATHALIE. Féministe, non. Je ne revendique rien de proprement « féministe » si ce n’est ma part de « féminité ». Je n’ai jamais connu dans ma vie d’étudiante ou de femme active une quelconque opposition au sexe masculin. Je n’ai jamais construit mon identité en opposition à celle de l’homme mais en fonction des modèles féminins que j’avais. L’image que j’ai des femmes de mon entourage est l’image d’une femme forte de caractère, indépendante en pensée, en paroles et financièrement. Il est moins sûr néanmoins que toutes les femmes polynésiennes partagent cette vision peace and love. Je me bats par contre pour une place pleine et entière du mot RESPECT dans notre société et j’ai décidé de m’activer auprès des plus jeunes. Telle est peut-être ma seule bataille.

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