#10-Rendez-vous au Planning

9 décembre 2011
Par

À force de baisses drastiques des subventions publiques, le Planning familial est menacé. Une Fauteuse de trouble a passé un après-midi dans l’une des antennes parisiennes de l’association.

13h30, le médecin n’est pas encore arrivé, mais on s’installe déjà dans la salle de consultation avec Véronique. Les fauteuils sont confortables ; il y a déjà un couple et deux jeunes femmes. D’autres jeunes femmes arrivent au compte-gouttes, Véronique leur demande chacune leur âge et leur prénom, qu’elle note sur une feuille quadrillée. Au bout d’une dizaine de minutes, elle décide de commencer. La majorité des patientes viennent pour « une pilule », à renouveler ou à essayer. Véronique commence alors son petit exposé (« je suis scolaire, c’est infernal ! », plaisante-t-elle) et répond aux questions : y a-t-il des effets secondaires ? que faire en cas d’oubli ? la pilule fait-elle grossir ? rend-elle dépressive ?

« on ne peut pas être contre le principe d’une pilule gratuite »

Toutes ces filles, ces femmes, sont venues à l’antenne du 13e arrondissement du Planning familial de Paris pour une « Consultation contraception et IVG médicamenteuse », sur rendez-vous. Toutes ont rendez-vous à 13h30, mais elles ne verront le médecin qu’après un moment d’échange et de discussion autour de la contraception et de la sexualité, animé par la conseillère et le médecin. Un moment essentiel qui permet de faire émerger des questions qu’on n’aborde pas facilement seule face à son gynécologue, et qui sont pourtant essentielles…

Les raisons de venir au Planning familial sont variées. Une jeune femme vient pour un rendez-vous de contrôle post-IVG (elle a dû aller se faire avorter aux Pays-bas en raison de délais dépassés, comme beaucoup de femmes en France aujourd’hui). Une autre a choisi le Planning parce qu’elle a pu obtenir un rendez-vous en une journée, au lieu d’attendre des mois en passant par un gynéco exerçant en cabinet. Une troisième, étudiante étrangère, est venue sur le conseil d’une amie. Deux étaient déjà venues. Et plusieurs jeunes filles viennent ici pour y trouver anonymat et discrétion : leurs parents ne savent pas qu’elles ont une sexualité.

En effet, le Planning familial est l’un des seuls endroits (avec les autres centres de planification qui peuvent aussi être situés dans les hôpitaux) où une mineure peut obtenir gratuitement et anonymement un moyen de contraception. Cela va peut-être changer après la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 14 novembre dernier, visant à rendre l’anonymat et la gratuité possibles pour les mineures chez tout médecin. Élise, conseillère conjugale et familiale (salariée, après avoir été bénévole pendant cinq ans), voit cette mesure d’un bon œil : « C’est une avancée, car on ne peut pas être contre le principe d’une pilule gratuite. » À ceux (dont Nora Berra, secrétaire d’Etat à la Santé) qui reprochent à une telle loi de court-circuiter le rôle des parents, elle répond que « les parents ne sont pas foncièrement obligés d’être au courant. C’est un jardin secret. Dans certaines familles, le dialogue est possible et facile, mais dans d’autres, c’est très compliqué… et même dans les familles où le dialogue est possible et facile, on n’a pas forcément envie d’en parler à ses parents. Le rôle des parents, c’est de sensibiliser, d’informer, de dire que la contraception existe ; mais ils n’ont pas à décider si leur enfant a besoin à tel moment d’un moyen de contraception ou pas. » Françoise, bénévole, va dans le même sens, tout en disant comprendre la « violence » qu’il peut y avoir à découvrir « que son enfant est en train de se construire une liberté, celle d’avoir des rapports sexuels… ».

« la politique du gouvernement n’est pas en accord avec les besoins de la population »

Toutes deux insistent sur l’importance de l’information et de l’éducation à la contraception, notamment en milieu rural. « Ici, on est très bien lotis, en plein centre ville, à côté d’un hôpital, explique Élise. Mais quand vous êtes en pleine campagne, vous êtes moins libre. Cela pose vraiment problème dans les endroits retirés. D’ailleurs, en supprimant les subventions du Planning, on crée un isolement encore plus important. La réduction des subventions en 2009 a été un peu freinée, mais il y a quand même des centres qui ont fermé. »

Il y a, selon Élise, un véritable manque de volonté politique sur le sujet, alors que « certaines IVG sont dues à un défaut de contraception, c’est sûr », et que, les menaces sur l’IVG sont toujours pesantes : « la politique du gouvernement n’est pas en accord avec les besoins de la population. »

En salle de consultation, le médecin, Marie Msika Razon arrive enfin, et prend le relais sur quelques questions techniques (les différentes sortes de pilules et leurs dosages). Elle est généraliste et vient au Planning deux fois par semaine, en plus de ses consultations au cabinet.

« ici, ce n’est pas vraiment tabou »

Une pratique qui a commencé au tout début de son exercice de médecin, et qui lui a beaucoup apporté. « Il y a de moins en moins de différences entre ma pratique au cabinet et ma pratique ici, mais parce que ce que je faisais à mon cabinet a évolué, et non l’inverse. Il y a plein de choses que je ne pensais même pas à dire, honnêtement, avant de travailler ici, notamment des choses très simples concernant la représentation corporelle. Quand je posais par exemple un anneau vaginal, je ne me posais pas trop la question de savoir si les patientes se représentaient où ça allait se mettre. Ça me paraissait évident, alors que pas du tout. Et ici, ce n’est pas vraiment tabou, les filles l’expliquent très simplement durant les consultations en groupe, avec des schémas, et en fait c’est pas mal ! Maintenant j’ai moi aussi des schémas à mon cabinet. » Elle a enrichi sa pratique, en abordant plus facilement les questions de sexualité en consultation : «  Il y a beaucoup de consultations gynéco qui se font sans même parler de sexualité, ce qui paraît quand même étrange… ».

Mais la pratique de la consultation au Planning reste différente : « L’avantage du petit groupe, c’est que beaucoup de choses peuvent être dites en groupe avant la consultation, en trois quarts d’heure – une heure, alors que je ne peux pas consacrer ce temps-là à faire une discussion générale à chaque consultation. Il y a sans doute plus de temps passé pour chaque patiente individuellement à mon cabinet, mais pas de temps spécifique de conversation sur la femme en général, la sexualité… ».

Une approche différente de la gynécologie qui devrait, selon elle, profiter à tous les médecins : « On a tendance à apprendre la médecine d’un abord très technique, et ce n’est pas mal, mais ça ne suffit pas. Ce n’est pas forcément ce qui est le plus utile aux patientes, finalement. Tout le côté technique, c’est important, parce qu’on ne pourrait pas faire notre métier sans, mais la patiente, que je lui raconte la physio, la pathologie, elle s’en fiche complètement. En revanche, que je lui parle de son quotidien, de sexualité, de symptômes, etc., ça c’est très important. Sinon, on passe à côté de la moitié de la consultation, c’est dommage. »

Car cette approche profite au médecin, mais surtout à la patiente. « Pour moi, c’est plus sympathique parce que je suis plus dans l’échange, et ça améliore mon écoute, mais c’est surtout pour les patientes que ça a vraiment une valeur ajoutée, d’ailleurs, elles me le disent. Ce qui serait bien, c’est qu’on rende par exemple obligatoire quatre journées de Planning dans le cursus de médecin. On n’a pas besoin d’en faire cinquante ! On a des passages obligatoires, comme les urgences, la pédiatrie… pourquoi pas le planning familial ? Déjà, rien que d’entendre une fois un groupe peut changer beaucoup de choses. J’accueille des externes en stage à mon cabinet, et je les fais venir ici en général au moins une fois. En ressortant, ils sont agréablement surpris, c’est quelque chose qu’on ne connaît pas en faisant médecine. »

Si elle se dit tout à fait en accord avec les idées portées par le Planning familial, elle ne se définit pas comme féministe : « parce que ça implique pour moi de faire partie du mouvement, d’être vraiment militant. Au-delà du fait que je travaille ici, je ne milite pas. Je me suis rendu compte en venant ici à quel point certaines femmes pouvaient être militantes, et à quel point c’est important, et à quel point ma génération [la trentaine, NDLR] est peu militante par rapport aux femmes qui sont ici. » Toutefois, informer les jeunes filles sur les droits de la femme, l’importance de maîtriser son corps et sa contraception, est au cœur de son travail ici. Elle concède « peut-être que maintenant je suis devenue féministe… ».

Pendant que Marie Msika Razon prend les patientes en consultation (à laquelle peut assister l’étudiante sage-femme venue ici pour un stage de trois semaines), Véronique continue d’animer le groupe. Elle présente le stérilet, l’anneau vaginal, l’implant contraceptif, le préservatif féminin (dont elle parvient, après avoir beaucoup insisté, à distribuer quelques exemplaires aux patientes, plutôt rebutées par la bête…). L’une des jeunes femmes, qui ne savait pas encore quelle contraception adopter, semble se décider pour un stérilet ou un implant plutôt qu’une pilule.

Se rendre compte de tout ce qu’il reste à accomplir pour atteindre une égalité qui n’est jamais acquise

Françoise insiste sur l’importance de cette liberté offerte dans le choix d’une contraception : « l’écrasante majorité des femmes vient pour avoir une pilule. On leur explique qu’il y a d’autres moyens… on est un peu monomaniaque de la pilule en France. » Cette retraitée qui consacre deux jours par semaines au bénévolat a commencé à militer au Planning pour rembourser une « dette », rendre à l’association ce qu’elle lui avait donné, en tant que « dinosaure », comme elle se désigne malicieusement.

Elle se définissait déjà comme féministe, mais ce militantisme lui a énormément apporté. « Ça m’a montré à quel point j’étais naïve, parce que je me disais que sur la contraception, beaucoup de choses étaient acquises, que le Planning, c’étaient de vieilles lunes… et ma grande surprise a été de voir toute cette ignorance sur… tout ! ». Être féministe, c’est aussi se rendre compte de tout ce qu’il reste à accomplir pour atteindre une égalité qui n’est jamais acquise.

Parmi les priorités du féminisme, selon elle, l’égalité des salaires, l’indépendance financière et le partage des tâches : « les hommes se comportent toujours, pour beaucoup, comme s’il y avait un gène qui permettait aux femmes de passer l’aspirateur, faire la vaisselle, faire les courses et à manger. » Mais pour Françoise, le féminisme n’est pas une lutte contre les hommes mais avec eux : « Notre égalité, et notre liberté, se construiront avec les hommes. Être libre seule, sur une île déserte, ça ne m’intéresse pas. » C’est un point sur lequel insiste également Élise ; elle se dit « féministe, mais pas contre les hommes », et n’apprécie pas trop les Chiennes de garde qui donnent une mauvaise image du féminisme, selon elle.

D’ailleurs, les hommes ont aussi leur place au Planning : plusieurs fois par semaine, on y reçoit des hommes venus se renseigner et poser des questions sur la contraception, la sexualité… Beaucoup accompagnent leur femme ou leur amie ; dans ces cas-là, explique Élise, il est important de les écouter et de les prendre en compte, mais sans qu’ils prennent le pas sur la première concernée.

Pendant la consultation, les portes du Planning restent ouvertes pour la permanence d’accueil. Un couple se présente ; l’homme annonce « C’est pour une IVG ». « Et ça concerne… ? » répond Élise en regardant la femme qui l’accompagne.

Les visites se succéderont tout l’après-midi, pour des questions, des demandes d’aide… Il s’agit surtout d’écouter et d’informer, nullement d’orienter la décision d’une personne, notamment dans les cas de grossesse non désirée. Chaque accueil est consigné dans un registre, de manière anonyme.

Vers la fin de l’après-midi, alors qu’il fait déjà nuit, il n’y a plus grand-monde. Mais cela peut être trompeur : souvent, c’est juste avant la fermeture que les cas les plus problématiques surgissent… on vient en espérant secrètement trouver porte close et pouvoir échapper à l’obligation de parler d’un problème qui nous mine. Tout en sachant que d’être accueillie, écoutée, informée nous permettra d’y voir plus clair et d’agir.

Le Mouvement Français pour le Planning Familial est une association militante et féministe fondée en 1956 sous le nom de « La Maternité heureuse » (devenu « MFPF » en 1960). Elle a joué un rôle clé dans la lutte pour la légalisation des moyens de contraception (1967) et de l’avortement (1975). Mouvement d’éducation populaire reconnu d’utilité publique, il a pour but entre autres de promouvoir et d’éduquer à la contraception, d’aider les personnes désirant une IVG, de lutter contre le sida et les IST, de combattre les violences faites aux femmes. Le site internet du planning

Tags: , , , , , , , , , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton