#11-Des putes et des députés

16 décembre 2011
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À l’heure où l’Assemblée nationale discute une proposition de loi pour la pénalisation des client(e)s des prostitué(e)s, le plus vieux métier du monde est une nouvelle fois l’objet de débats.

Tant mieux. Mieux vaut une société qui en parle, qu’une société qui se cache derrière un fard de pruderie trop craquelé pour être honnête. De là à dire pour autant que le tabou est levé, il ne faudrait tout de même pas aller trop vite en besogne.

À l’unisson du côté des prostitué(e)s

Deux partis s’opposent assez clairement dans ce débat. D’un côté, les abolitionnistes (que leurs adversaires préfèrent appeler les prohibitionnistes – on sent bien que les deux mots n’entraînent pas les mêmes adhésions…) militent pour l’interdiction de la prostitution dans le but de lutter contre les violences subies par les prostituées. De l’autre, les partisans d’une prostitution assumée et volontaire, au rang desquels on compte des travailleur(se)s du sexe et des clients, défendent le droit à la prostitution. Il est à noter que, des deux côtés, on entend prendre le parti des prostitué(e)s avant tout.

Ce n’est pas le seul point, cependant, qui rende le débat compliqué. En effet, il paraît difficile de prendre position pour les uns ou pour les autres. La question est complexe. Et plus embarrassante qu’on n’y pense.

Amalgame

Il peut d’abord être gênant d’embrasser sous la même loi les différentes formes de prostitution. Car il y a bien des moyens et des raisons de monnayer son corps. On connaît le cas de la paysanne enlevée pour être vendue et/ou prostituée de force dans un autre pays. Au début du mois, Le Monde indiquait que « de plus en plus de femmes d’Asie du Sud-Est passent illégalement en Chine, où elles sont vendues à des villageois ou forcées à se prostituer ». À ce sujet, le film Seule contre tous met en scène un réseau de prostitution impliquant des soldats de l’ONU en Bosnie. Doit-on s’étonner de ce que le film n’ait toujours pas trouvé de distributeur en France ? On connaît peut-être moins celui de l’étudiante qui vend son corps le temps de financer ses études. Le film Mes Chères Études montre très bien comment une jeune femme comme tout le monde (incarnée par l’excellente Déborah François) se retrouve à se prostituer parce qu’elle a besoin d’un « job alimentaire ». On sourit plus facilement aux histoires d’étudiantes japonaises qui vendent leurs petites culottes ou plus pour s’acheter un sac de haute couture française. Ce n’est d’ailleurs pas une pratique purement nippone.
Du trafic d’êtres humains aux femmes qui choisissent, au cas par cas et en toute conscience, de vendre des services sexuels, peut-on mettre dans le même sac toutes les formes de prostitution ?

Cas de conscience

C’est bien la question du choix qui pose ensuite problème. Les abolitionnistes arguent le plus souvent qu’un tel choix n’est pas possible pour une personne qui a toute sa conscience. Ils allèguent que, forcément, les personnes qui revendiquent le droit à faire commerce de leur corps sont, d’une façon ou d’une autre, aliénées. Elles ne seraient pas en pleine possession de leurs moyens. Cet argument est dangereux. Qui peut décréter qu’une personne ne sait pas ce qu’elle dit ? Même s’il s’avérait que toutes les personnes réclamant ce droit aient été victimes d’abus ou de maltraitance dans leur enfance (c’est l’argument le plus répandu), cela déterminerait-il qu’elles sont des adultes irresponsables ? Autant un expert peut donner ses conclusions sur une personne, autant il n’apparaît pas possible, mais surtout périlleux, d’élargir ces conclusions à une catégorie de personnes.

Il est important de se demander si les prostitué(e)s sont réellement consentant(e)s. Mais dire d’un groupe de personnes qu’elles ne savent pas ce qu’elles disent, ce qu’elles font, c’est décréter qu’elles n’ont aucun droit de regard sur des décisions qui les concernent, c’est, donc, ne pas avoir à prendre en compte leur opinion. Et il est tout de même déplorable que les associations de travailleurs du sexe n’aient pas été reçues à l’Assemblée nationale ce mardi 29 novembre, alors que les associations adverses y étaient représentées, contraignant les premières à manifester… sur le trottoir.
Ne pas leur donner voix au chapitre, c’est aussi leur retirer dignité et conscience de soi. Et cela rappelle, entre autres, le débat sur l’avortement dans les années 60-70 ou, plus récemment, sur les femmes portant le voile.

Putes, avortées, voilées… un point commun ? Des femmes.

Les oubliés : les prostitués

Lutter contre les violences faites aux femmes est une chose. S’en réclamer pour interdire la prostitution en est une autre. Il vaudrait mieux alors parler de violences faites à la personne. D’une ce serait plus juste, de deux, ce serait plus honnête et (donc ?) plus efficace.
Même si la prostitution concerne en majorité des femmes, il ne faut pas oublier que, en France aussi, des hommes se prostituent.
Entend-on dire, de la même façon, de ces « gigolos » et « hustlers », qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ? Se pose-t-on la question de savoir si leur consentement à se prostituer est bien sincère ?

Encore une fois, il reste difficile de prendre position dans ce débat pour ou contre la prostitution. Mais, sérieusement, il faudrait commencer par se poser les bonnes questions.

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2 Responses to #11-Des putes et des députés

  1. AnelliaHolly
    2 janvier 2012 at 18 h 04 min

    Olivier toute parole est le produit d’une situation sociale….

    alors pourquoi toujours utiliser cet argument seulement contre les personnes dominées ?
    Nous sommes tous influencés par la situation sociale dans laquelle nous vivions, cela ne nous enlève pas pour autant le droit de parler, être écouté.

    Enfin pourquoi tu évoques seulement les femmes qui se prostituent et pas les hommes qui font de même ?

  2. olivier
    16 décembre 2011 at 10 h 55 min

    Salut

    juste une remarque en passant sur votre excellent blog.
    Je comprend bien que rien n’est possible sans entendre la parole des prostituées mais cette parole est elle-même le produit d’une situation sociale qu’il faut interroger.
    Pour le dire vite, dans un monde débarrassé de l’exploitation et des oppressions, la discussion sur le consentement des femmes prostituées serait sans doute intéressante…
    Mais en l’état, il faut avoir en horreur et vomir un monde qui prétend « offrir » de tels choix à des personnes.

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