#11-17 filles, un film de Muriel et Delphine Coulin

13 décembre 2011
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Aux confins de l’absurde et du réel : une fable douce-amère

Sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes, le film sort en salles ce mercredi 14 décembre.

Le point de départ est presque absurde. Et pourtant inspiré d’une histoire vraie. Dans un lycée, 17 adolescentes de 16 ans décident d’être enceintes en même temps, là, maintenant tout de suite.
De ce bref argument, le film pourrait partir dans de nombreuses directions. Du film fantastique au film social. Delphine et Muriel Coulin ont choisi une autre approche, la parabole. Même si la réalisation reste réaliste, le scénario vraisemblable, les personnages crédibles, le film n’en est pas moins une fable. Et une fable douce-amère fort réussie.
Cette réussite tient justement dans l’assemblage parfait entre premier et second degré, histoire vraie et métaphore, personnages touchants et allégories.

Eaux troubles

Les comédiennes sont parfaites, tout en simplicité désarmante et ambiguïté en devenir. La performance de Roxane Duran, déjà remarquable dans Le Ruban blanc de Michael Haneke, est à saluer. Ces adolescentes ne sont plus des enfants, pas encore des adultes, mais quoi, alors ? Elles sont cet entre deux eaux, cette matière en mouvement, cette essence sans cadre, sans forme fixe.
Le propos de 17 Filles est particulièrement troublant, bien sûr. Avant, pendant et après le film, on ne peut que se poser la question : qu’est-ce qui pousse ces filles à prendre une telle décision ?! Et à la mener à bien !

Aller simple pour une vie de merde ?

Ce questionnement est avant tout celui des adultes du film, parents, professeurs, infirmière… Pour eux, la grossesse à 16 ans est vue comme un échec, un enfermement, une virée directe vers une vie pourrie. Or, ces 17 filles ne voient pas du tout les choses ainsi. La maternité, pour elles, est une façon de s’en sortir.
Attention, le film est très loin de simplement dire qu’une femme n’aurait que la solution d’être mère pour se réaliser. La question n’est pas là. Absolument pas. Elle est bien au-delà.

« La vie, c’est quelque chose d’acharné, de furieux »

On est dans la parabole : ces filles enceintes portent la vie en elles. C’est une métaphore. Un peu comme Maggie dans La Chatte sur un toit brûlant. On se rappelle la fin de la pièce, ou celle du film. Maggie ment en annonçant être enceinte. Impossible puisque son mari refuse de la toucher depuis plusieurs mois. Et pourtant, celui-ci couvre son mensonge :

« C’est vrai. La vie, c’est quelque chose d’acharné, de furieux, et Maggie l’a dans le ventre… Quelque chose d’acharné et de désespéré qui ressemble à Maggie. (…) Quelque chose d’acharné… diablement acharné… (…) Quelque chose de furieux… d’acharné et de furieux… »

(La Chatte sur un toit brulant de Tennesse Williams).

« Si on courait après quelque chose, ça nous motiverait plus. »

Les lycéennes du film sont de petites Maggie en puissance. Dans leur ville en décrépitude, Lorient, cité ouvrière en crise, elles se font chier. Grave. Elles n’ont pas de vie, pas d’avenir, pas d’ambition, rien. C’est pourquoi, lorsque la prof de sport les engueule d’être en retard alors qu’elle les a envoyées courir, répondent-elles : « Si on courait après quelque chose, ça nous motiverait plus. » On les voit donc souvent en contemplation devant l’immensité de l’océan,« présence à la fois rassurante et inquiétante : une promesse d’horizon », selon le dossier de presse.

Porter la vie, pour elle, c’est donc avant tout avoir une vie. Il ne s’agit pas simplement d’avoir quelqu’un dont s’occuper, qui les aimera toujours inconditionnellement, d’avoir une raison de faire des études, de ranger sa chambre, de parler correctement… Ce « quelqu’un » pour qui elles sont prêtes à faire tout cela, c’est avant tout elles-mêmes. Avoir la vie en elles, au sens figuré, c’est avoir un but dans la vie, avoir envie de vivre cette vie. Elles veulent vivre. Bien au-delà du caractère concret de la grossesse et de la maternité.


Opposition

La maternité n’a aucun rôle là-dedans – ce qui pousse à lire le film comme une fable. L’accouchement, les bébés n’apparaîtront pas dans le film. Ces filles ne se projettent pas en mères, si ce n’est pour s’opposer à leurs parents, leurs profs, aux adultes : ne pas faire comme eux.
Parce que, bien sûr, elles sont dans le rejet total des adultes, qui symbolise le rejet de la société qu’on leur propose. Elles veulent changer le monde. Et les adultes veulent que le monde reste tel qu’il est.
Le monde que les adultes ont à leur proposer ne les séduit pas. Crise, chômage, difficultés financières, conflits armés. Elles n’en veulent pas, de ce monde, de cette vie.

La paternité, celle des pères de ces enfants à venir, est complètement absente du film. C’est ce qui pousse vraiment à prendre le film comme une fable. Les garçons – car ce sont encore des garçons – n’ont aucun rôle, si ce n’est de mettre la petite graine. On ne leur demande pas leur avis. Ils ne le donnent pas. Ni revendication, ni rejet d’une quelconque paternité. Ils ne se sentent pas concernés. C’est comme si ça ne les regardait pas.
Un combat féminin, donc, décalé, qui rend perplexe. Un combat très touchant.

Génération désenchantée

Déjà comparé à un Virgin Suicide inversé, 17 Filles est bien un propos sur l’adolescence : des filles qui s’ennuient, profondément, dramatiquement. À cause d’adultes qui leur interdisent tout. Qui leur interdisent de vivre. Dans le film de Sofia Coppola, elles n’en peuvent plus et se tuent. Dans le film de Delphine et Muriel Coulin, elles décident de ne pas suivre la voie tracée par leurs aînés, soit les fameuses « études pour s’en sortir », discours auquel elles ne croient plus.
Le frère de l’une des lycéennes est un soldat qui revient d’Afghanistan. « Avec ce que j’ai vu, avec ce que tu vis, on a pris dix ans d’un coup », confie-t-il à sa petite sœur enceinte. Cette génération semble comme vieillie trop vite. Par la force des choses. L’insouciance n’est plus d’actualité. Et la jeunesse n’a pas le choix, pas le droit, pas le temps. Comme prise en tenailles dans un système qui n’est plus fait pour elle et qui la broie.
Un prof de sport justement – encore, mais le corps de ces filles au ventre bombé est au centre des préoccupations – proteste :
« J’ai un programme, moi ! Comment je fais pour suivre le programme ? Je leur fais faire du saut en hauteur, là ? »
Bien sûr, on rit dans la salle. Et tout est là : il y a un programme pour ces gamins. Une marche à suivre. Aller plus haut. Soi-disant.


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One Response to #11-17 filles, un film de Muriel et Delphine Coulin

  1. 7 mars 2012 at 22 h 12 min

    j’ai très envie de le voir.
    en revanche, j’ai apris que en Angleterre beaucoup de jeune filles font ça pour partir de chez elles car elles peuvent toucher des aides.
    en tout cas c’ets un phénomène de société intéressant

    bonne soirée

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