Folie furieuse
De Jeanne d’Arc à Ségolène Royale, la folie semble être la meilleure attaque pour décrédibiliser une femme qui se rapprocherait du pouvoir. Olympe de Gouge sera tour à tour traitée de « furie ! » par Rétif de la Bretonne en 1790, de « folle » par l’abbé de Bouyon, de « fougueuse bacchante » par Michelet lui-même. Théroigne de Méricourt, femme politique sous la Révolution française, réclame le droit pour les femmes de s’organiser en garde nationale et porter les armes. Camille Desmoulins la décrie alors « enivrée, (…) furieuse et brandissant la mort ».
À côté de ça, quel homme politique peut se vanter d’avoir déjà été traité de fou ? Dernièrement, on a pu dire de DSK que c’était un malade. Un fou, non. C’est bien simple, si l’on fait une simple recherche « DSK folie » dans Google, la folie n’est purement et simplement que « médiatique ». « Judiciaire » à la rigueur. L’homme, lui, aurait une maladie, quelque chose qui se soigne, donc. La femme serait atteinte de folie, quelque chose d’irrationnel, qui fait peur et qui implique l’enfermement.
Femme d’intérieur : bonne à interner ?
C’est là l’idée. Lord Byron déclare bien : « J’ai toujours eu un grand mépris des femmes. Les Turcs et les peuples d’Orient entendent ces choses-là mieux que nous. Ils les enferment et n’en sont que plus heureux. Donnez à une femme un miroir et des bonbons, elle sera satisfaite. » Et Proudhon d’ajouter : « Bien loin d’applaudir à ce qu’on appelle aujourd’hui émancipation de la femme, inclinerais-je bien plutôt, s’il fallait en venir à cette extrémité, à mettre la femme en réclusion. »
Il faut dire qu’à partir du XIXe siècle, il devient plus difficile de justifier l’exclusion des femmes par leur infériorité, les médecins et les biologistes prennent alors la relève : le corps des femmes explique tout. Leur utérus, clef bienvenue de l’hystérie, les rend inaptes à la vie extérieure. Leur sein provoque la « folie d’allaitement » (on croyait que le lait leur montait à la tête…). Leur cerveau, qui serait plus léger et plus lisse, plus primaire, donc, les condamne à rester à l’abri et réclame l’indulgence (elles sont quasi irresponsables pénalement). Après tout, à l’origine, une « femme publique » désigne une prostituée. Alors une femme qui prend la parole en public…
Dans son Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes du Code civil, Sylvain Maréchal écrit en 1801 qu’une « femme poète est une petite monstruosité morale et littéraire ; de même qu’une femme souverain est une monstruosité politique. »
La folie de la différence : « Est folle la rebelle, l’engagée, la créatrice, l’émancipée, la féministe. »
Au final, toute femme qui n’accepte pas le rôle auquel la société la consacre, toute femme qui envisage sa vie différemment prend le risque d’être qualifiée de folle, au mieux, d’être internée, au pire.
« Toute femme née pourvue d’un grand don au XVIe siècle serait certainement devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans une chaumière solitaire à l’orée du village, à demi sorcière, à demi magicienne, crainte et faisant l’objet de moqueries… »
Virginia Woolf, Une chambre à soi
Corinne François-Denève synthétise ainsi l’ouvrage de Lisa Appignanesi, Mad, Bad and Sad, Women and the Mind Doctors (2008) : « est folle toute femme qui sort de la droite ligne de ce que la société attend d’elle. Est folle la rebelle, l’engagée, la créatrice, l’émancipée, la féministe. »
« Me présenter comme une anormale »
La folie reste bien une arme pour se débarrasser d’un discours – féministe ou féminin – dérangeant. Simone de Beauvoir le constatera elle-même dans La Force des choses :
« On a forgé de moi deux images. Je suis une folle, une demi-folle, une excentrique. (Les journaux de Rio rapportaient avec surprise: « On attendait une excentrique ; on a été déçu de trouver une femme habillée comme tout le monde. ») J’ai les moeurs les plus dissolues; une communiste racontait, en 45, qu’à Rouen, dans ma jeunesse, on m’avait vue danser nue sur des tonneaux ; j’ai pratiqué tous les vices avec assiduité, ma vie est un carnaval, etc.
Souliers plats, chignon tiré, je suis une cheftaine, une dame patronnesse, une institutrice (au sens péjoratif que la droite donne à ce mot). Je passe mon existence dans les livres et devant ma table de travail, pur cerveau. « Elle ne vit pas », ai-je entendu dire par une jeune journaliste. « Moi si j’étais invitée aux lundis de Mme T., j’y courrais. » Le journal Elle proposant à ses lectrices plusieurs types de femmes, avait inscrit sous ma photo : « Vie exclusivement intellectuelle. »
Rien n’interdit de concilier les deux portraits. On peut être une dévergondée cérébrale, une dame patronnesse vicelarde ; l’essentiel est de me présenter comme une anormale. Si mes censeurs veulent dire que je ne leur ressemble pas, ils me font un compliment. Le fait est que je suis écrivain : une femme écrivain, ce n’est pas une femme d’intérieur qui écrit mais quelqu’un dont toute l’existence est commandée par l’écriture. Cette vie en vaut bien une autre. Elle a ses raisons, son ordre, ses fins auxquels il faut ne rien comprendre pour la juger extravagante. La mienne fut-elle vraiment ascétique, purement cérébrale ? Mon Dieu! je n’ai pas l’impression que mes contemporains s’amusent tellement plus que moi sur cette terre ni que leur expérience soit plus vaste. En tout cas, me retournant vers mon passé, je n’envie personne.
Je me suis entraînée dans ma jeunesse à me foutre de l’opinion. Et puis Sartre et de solides amitiés me protégeaient. Tout de même je supportais mal certains chuchotements, certains regards : aux Deux Magots les ricanements de Mauriac et des jeunes gens qui l’accompagnaient. »
C’est un peu ce que je disais moi-même toujours en ce qui concerne Ségolène Royal:
Ni pute ni sainte: http://lamouettepolis.wordpress.com/2011/04/19/ni-pute-ni-sainte/
Merci pour cet excellent article, il est bon de rappeler que les mots ont leur importance, et qu’un terme n’est que rarement utilisé à contre-emploi.
Quand je vois des collègues abandonner leur boulot pour s’occuper du foyer ou des gosses pendant que madame reprend ses études. Déjà en temps de crise c’est n’importe nawak. Ca me donne envie d’enfermer ma femme chez moi comme avant. Mais chut il paraît que c’est mal vu par la société de mépriser une femme.
Tais toi homme !
Homme ou femme, vouloir le pouvoir = mégalomanie dangereuse.
Vouloir être chef à la place du chef est une caricature. Effectivement, il s’agit au moins de névrose.
Mais je le répète (sachez lire avant de mordre), que ça vienne d’hommes ou de femmes.
Le pouvoir, il faut le détruire. Les chefs, il fait les virer.
À moins que toutes et tous, nous ayons comme passionnant projet de nous faire exploiter et infantiliser jusqu’à la fin de l’éternité.