#4 Pilophobe anonyme

15 février 2011
Par

Bonjour, je m’appelle Gigi et je suis pilophobe.

Bonjour Gigi.

Mais attendez, il faut que je vous explique tout ça.

Il n’y a pas deux minutes, j’étais sur le point de saisir ma pince à épiler pour traquer et arracher sauvagement le moindre petit poil rompant la ligne d’un sourcil ou luttant pour émerger d’un mollet lisse. Geste fréquent, mécanique, presque inconscient. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est quotidien, puisque ma pratique de l’épilation est à peu près semblable au broutage des chèvres : à force de supprimer jusqu’à la racine tout ce qui pousse sur mes jambes, certaines zones de mon corps ont été désertées par les poils. Et je kiffe ces zones désertiques, ô combien je les kiffe, amis lecteurs, vous n’avez pas idée. Je les contemple avec une satisfaction sans égal, un plaisir sans partage, une sorte de vertige devant tant de félicité.

De la fascination à la haine du poil

Et pourtant je n’ai pas toujours été comme ça. A 8 ans, je regardais avec admiration une fille de la classe qui avait des poils sous les aisselles : c’est peut-être à cause de la mise en scène de cette exhibition (il fallait limite faire la queue pour voir ce prodige), mais je trouvais ça so chic, tellement inaccessible et surtout tellement femme-femme ; bref, en deux temps, trois mouvements, elle était devenue la star de la classe, j’enviais sa chance et je priais secrètement pour pouvoir crâner moi aussi en levant les bras. Mais alors curieusement, quand le moment béni est arrivé, tout s’est gâté : déjà, impossible de me vanter, vu que le phénomène atteignait la plupart de mes camarades, et surtout, comble de l’horreur, le redoutable et redouté duvet au-dessus de la lèvre est apparu, obscur et désespérant. Et cette soudaine masculinité, là, ça n’allait pas du tout du tout avec la conception féminine que je me faisais du poil. A partir de là, j’ai déclaré la guerre aux cheveux cassants (ah non, on me dit que je me goure de slogan). Bref, je vouais une haine inextinguible à toute espèce de poil et j’essayais tout ce qui était humainement possible pour m’en débarrasser, et surtout pour m’en débarrasser secrètement par-dessus le marché. Après quelques coupes sauvages aux ciseaux des poils sous les bras et quelques tentatives malheureuses inspirées par un téléachat quelconque (à l’aide d’une pierre ponce qu’il s’agissait de passer sur ses jambes en effectuant un mouvement rotatif, méthode qui s’est révélée excellente pour se délester de ses poils mais aussi de sa peau du coup), j’ai enfin décidé de parler de mon problème pileux et là, une nouvelle vie s’est ouverte devant mes yeux ébahis. Quoi ! Il était possible de décolorer, de raser et d’enlever à la cire mes nouveaux ennemis ! La révélation, pour tout dire, a eu lieu chez l’esthéticienne qui multipliait conseils et anecdotes : j’étais le Padawan, elle était la maîtresse Jedi.

Malheureusement, je ne pouvais aller consulter cette prêtresse que de façon très espacée, faute d’argent de poche suffisant. Et puis la vie a voulu qu’un jour je quitte ce grand guide et que, encore balbutiante, je finisse mon initiation à l’aide des magazines féminins dans lesquels j’apprenais par cÅ“ur, méthodiquement, toutes les méthodes épilatoires. Incollable, je jetais les rasoirs – inconsciente que j’avais pu être ! Favoriser une repousse plus drue, quelle horreur ! – j’ôtais les bandes de cire que j’avais appliquées avec soin dans le sens du poil, je devenais d’une dextérité affolante en maniant ma pince à épiler.

L’origine du ticket de métro

Il n’y avait qu’une zone que j’avais du mal à attaquer toute seule, tant elle était sensible. Sensible, mais cruciale. Je ne suis pas de la génération de l’intégrale et le ticket de métro lui-même n’était pas encore très en vogue (à ma connaissance du moins) quand j’ai commencé à montrer ce qui était naguère caché. Je me débrouillais donc tant bien que mal, souffrant certes, mais heureuse d’arborer un parfait triangle. Jusqu’au jour où je suis tombée sur un article portant sur l’intégrale. Puis sur deux articles. Puis sur trois articles.

Et puis un jour, alors que j’étais partie pour me faire faire une épilation du maillot classique, l’esthéticienne m’a demandé : « Mais vous ne voulez pas tenter une épilation semi-intégrale au moins ? Vous verrez, vous ne pourrez plus vous en passer ! ». Et j’ai tenté. Croyez-le ou non, passées la douleur et l’humiliation de se retrouver en position quasi gynécologique pour se faire épiler, le résultat était plutôt… comment dire… agréable. Sinon complètement réjouissant : une infinité de sensations nouvelles jaillissait de down there comme diraient les Amerloques, et je me sentais d’une humeur ardente, remarquée et appréciée d’ailleurs par celui qui put alors en profiter.

Seulement voilà, le hic, c’est que les poils, ça repousse, et que là, à moins d’être complètement masochiste, les retouches à la pince, sur cette zone, c’est complètement impossible. C’était moche, j’étais mal, et à l’ardeur a donc succédé l’abstinence. Et puis, addict que j’étais devenue, je suis retournée dans l’institut pour recommencer. Mais là, ce n’était plus la gentille esthéticienne capable de parler de la pluie et du beau temps pour faire taire tout élan de pudeur : c’était une vieille femme, une sorte de matrone, armée de sa boule de sucre, m’arrachant quasiment la culotte en répétant frénétiquement que les poils, c’était sale, et qu’on était bien obligées de s’épiler, hein, qu’on ne pouvait pas faire autrement. Son discours culpabilisateur fini, elle entreprit de me parler de son fils à marier. Et là, ça a été le pompon : je hurlais de douleur et elle finit par me faire taire en me couvrant les yeux pour que je ne voie plus ce qu’elle était en train de trafiquer.

Résister ?

Bref, les yeux masqués et la peau en feu, j’ai juré que je ne me laisserais plus torturer ainsi et c’est comme ça que je suis revenue à un triangle certes banal, mais harmonieux tout de même, et finalement tout aussi appréciable. Quant à mes autres poils, je continue de les enlever, mais j’ai moins de haine pour eux et j’ai bon espoir de pouvoir les tolérer un peu plus à l’avenir. Et puis, quand je lis l’article de ma copine Fauteuse ou l’excellent petit bouquin de Stéphane Rose, ça me donne presque envie de tenter l’exhibition de poils en public. C’est pour cela que j’ai rejoint les Pilophobes Anonymes, vous voyez ? Pour pouvoir, un jour, crier à la face du monde que j’aime aussi les poils sur les femmes.

Je vous remercie.

Tags: , , , , , ,

One Response to #4 Pilophobe anonyme

  1. 18 mai 2011 at 16 h 31 min

    Merci Gigi pour ce témoignage qui est plus nuancé que le titre ne l’indique. Cela fait plus de 10 ans que je collecte des infos sur la pilosité féminine et j’ai lu des milliers de témoignages de femmes de tous les continents dont le seul point commun est cette détestation d’une partie de leur corps, les poils. Mais pas n’importe quels poils. Ceux sur la tête et les sourcils, on les tolère. Mais pas les poils sexuels, pas ceux qui poussent à la puberté. Il y a même le tabou dans le tabou : les poils sur les seins. C’est une très vieille histoire qui trouve son origine dans la misogynie de nos ancêtres : dans les pays où les tenues dévoilaient les poils (à cause du climat), les hommes obligeaient les femmes à s’enlever les poils car il s’agissait de se différencier physiquement à tout prix des femmes, ces créatures monstrueuses, l’échec de la Création, dont le cerveau était dans l’utérus ! Or, quel est le point commun entre un homme et une femme adulte, d’un point de vue corporel, suite aux changements de la puberté ? Les poils sexuels.
    Voilà pourquoi le glabre a toujours été de mise chez les femmes alors que le dru était toléré pour les hommes, voire encouragé, selon les époques. Concernant l’épilation pubienne, Aristophane en parle (400 ans avant JC) dans « Les femmes aux fêtes de Dèmètèr » comme d’une punition infligée à une femme ayant fauté, elle était pratiquée avec de la cendre chaude !
    Plus près de nous, c’est dans les rituels SM qu’on rasait intégralement les femmes pour les infantiliser, les humilier.

    >Geste fréquent, mécanique, presque inconscient

    Pour être plus près de la réalité de nombreuses femmes, j’enlèverais le « presque ». Mais cette chasse aux poils obsessionnelle montre bien le problème et comme les poils poussent à des vitesses différentes selon les endroits du corps, certaines femmes finissent par ne plus penser qu’à ça : traquer le moindre poil naissant. Mais pendant qu’on s’occupe de ce dont tout le monde se fiche, on a moins de temps à consacrer à ce qui est vraiment important : son émancipation. Je ne dis pas que c’est votre cas mais c’est celui de bcp de femmes.

    >Et je kiffe ces zones désertiques,

    C’est marrant, je préfère nettement les forêts luxuriantes au désert. ;)
    Dans le désert, tout se ressemble. C’est comme toutes ces actrices porno : le corps glabre, les lèvres rabotées (on n’aime pas ce qui dépasse), ce sont des clones. Rien ne ressemble plus à une aisselle glabre qu’une autre aisselle glabre. Par contre, des aisselles poilues sont différentes pour chaque personne, la couleur, l’implantation, la longueur des poils, la quantité, etc. Cette diversité est fantastique et en plus, les aisselles sont une zone érogène, ce qui est très méconnu.

    >j’ai déclaré la guerre aux cheveux cassants

    Ah les cheveux. Ce sont des poils selon les dermatos. Pourquoi ont-ils un traitement de faveur ? Parce qu’ils ne sont pas liés à la puberté.
    Il ne viendrait à l’idée d’aucune femme de se raser le crâne car ses cheveux seraient « inutiles ». On peut parfaitement vivre sans cheveux, même s’ils ont leur utilité. Seuls les hommes ont la liberté de se les enlever ou pas.
    Les femmes ont peur de voir tomber leurs cheveux et pour cause. La symbolique du crâne rasé est très forte, tout le monde sait que c’était une punition ou le signe d’une grave maladie. Mais la différence, c’est que le pubis est intime et les cheveux sont « publics », on a tous en tête ces images de femmes humiliées en 44, pour collaboration « horizontale » avec les « boches ». Plus loin dans le temps, c’est le pubis qu’on rasait pour punir les femmes mais on n’en a pas d’images qui frapperaient les esprits. En fait, les gens devraient avoir la même réaction face à un pubis rasé que face à un crâne rasé, étant donné que ces deux pratiques étaient des punitions.

    >je hurlais de douleur

    C’est étonnant comme l’industrie cosmétique a réussi à faire passer le message insidieux « prenez soin de votre corps, épilez-vous ». Depuis quand s’arracher les poils du corps est une forme de soin ? Avez-vous déjà arraché une touffe de cheveux ou tenter d’arracher les poils de votre chien ou de votre chat ? Laisser son corps à l’abri des souffrances, n’est-ce pas ça « prendre soin de son corps » ?
    Oui mais non. L’industrie cosmétique ne vend pas de produits pour embellir les poils du corps. Elle ne vend que ce qui permet de les enlever. Ne pas les enlever, ça ne rapporte rien du tout aux marchands de rasoir. Du coup, pour faire passer la pilule, on explique aux femmes que c’est indispensable de s’enlever les poils (« free your skin », selon V**t), comme si les poils emprisonnaient les femmes.
    Bcp d’hommes se fichent pas mal de savoir si une femme a des poils aux aisselles ou aux jambes. Bien sûr, une femme doit agir pour elle avant de le faire pour un-e autre mais comme bcp de femmes invoquent le fait que ça plaît aux hommes, ça fait du bien de rappeler la réalité. C’est malheureusement en train de changer pour la jeune génération, qui a le cerveau complètement retourné à cause des films X. :(
    Merci en tout cas pour la touche d’espoir qui termine votre témoignage.

Répondre à Pierre Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton