#4 Le poil, entre trouble et réalisme dans Maison Close

15 février 2011
Par

@Studio Canal

La diffusion de Maison Close sur Canal + avait un peu échauffé les esprits : relances du débat sur l’ouverture des bordels, cris d’orfraie d’associations chrétiennes qui condamnaient l’immoral misogynie de la série, une scène de viol… Tout le monde semblait découvrir avec stupeur que les maisons closes n’étaient pas des petits coins de paradis, où des filles choyées par la tenancière seraient protégées du vilain monde violent des prostituées de rues et pourraient s’ébattre follement en toute complicité. Il suffit juste de ne pas se tromper de lectures et de se plonger dans l’ouvrage de Laure Adler [1] plutôt que dans celui de Nicolas Charbonneau et Laurent Guimier [2] pour se rendre compte que s’il y a bien un pouvoir érotique des maisons closes, il n’existe que dans l’imaginaire (souvent masculin).

La série de Canal + a donc ce mérite (entre autres) de ne rien enjoliver et de nous donner à voir la vie quotidienne, brutale et sans concession des prostituées d’un bordel parisien. Mon propos ici n’est pas de parler de la série – cela pourrait faire l’objet d’un article prochain – mais, en lien avec notre pileux thème du mois, de mettre en perspective poils et vraisemblance.

Il y a en effet une scène, rapide – quelques secondes à peine -, qui vient révéler le souci du détail du réalisateur Mabrouk El Mechri ou du moins une volonté d’ancrer sa série dans une part de réalité. Il s’agit de la fête organisée pour le départ de la vedette du bordel, Véra, que vous pouvez voir dans cette bande annonce, à la 7ème et 8ème seconde :

Vous avez bien vu ? Elle a des poils sous les aisselles ! Chose peu commune sur nos écrans actuels, mais qui, dans la perpsective d’une reconstitution historique participe au réalisme. Or, paradoxalement, le réalisme n’est pas l’enjeu principal du réalisateur, ou plutôt, si la reconstitution historique est un moteur esthétique pour Mabrouk El Mechri, elle ne doit pas empesantir la série, comme il le précise dans cette interview pour StudioCanal : « Le seul challenge qui était très identifiable pour moi avant le tournage était de ne pas tomber dans « le style Maupassant »[3], avec lequel on flirte dès qu’on travaille sur des séries d’époque. Ça a quelque chose de très administratif. Je me rappelle de projections quand j’étais gosse, quand j’allais à l’école et qu’on allait voir La Révolution Française. Il y avait quelque chose de rébarbatif : on s’obligeait à expliquer pourquoi les gens étaient habillés comme ça, etc… Pourquoi pas plutôt faire un bout de chemin avec eux le temps d’une saison, pour découvrir petit à petit les mœurs de l’époque ? Il faut distiller l’exposition un petit peu partout dans la saison, plutôt que de se dire « en deux épisodes, tout le monde doit connaître tout le monde, et c’est seulement après qu’on peut commencer à raconter des histoires ».

Le souci du détail de Maison Close ne passe pas justement dans la reconstitution impeccable et dans les costumes absolument historiques. La bande-son résolument moderne vient souligner cette relecture du XIXè siècle. Les corps des héroïnes ne répondent d’ailleurs pas aux canons de l’époque (ça manque de cuisses !), mais « les moeurs de l’époque » sont en effet distillées, à l’image de ces quelques poils sous le bras de Véra. Signe de réalisme, mais également, peut-être, signe érotique, trouble pour notre regard contemporain, de quelque chose d’inattendu qui est soudain révélé. Ces quelques poils fascinants, entre attraction et répulsion, viennent souffler toute l’ambiguïté de ces corps féminins qui se donnent, se monnayent, participent à un plaisir qu’elles ne prennent pas, pour les clients comme pour les spectateurs.

[1] Laure Adler, Les Maison closes. 1830-1930, Paris, Hachette Littérature, 1990, rééd. 2008.

[2] Nicolas Charbonneau et Laurent Guimier, Le Roman des maisons closes, Monaco, Rocher, 2010.

[3] Le réalisateur fait ici certainement référence aux adaptations télévisuelles des nouvelles de Maupassant par France Télévisions.

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2 Responses to #4 Le poil, entre trouble et réalisme dans Maison Close

  1. 14 mai 2011 at 20 h 29 min

    En plus d’Anne Charrier, on peut aussi voir des poils aux aisselles de Jemima West et Blandine Bellavoir mais pas de façon aussi flagrante que ceux d’Anne.
    C’est en effet assez rare de voir des reconstitutions historiques montrant la réalité pileuse du passé. Voir « Titanic » par exemple, où Kate Winslet a des aisselles glabres, ce qui est totalement anachronique.
    Les poils féminins étaient censurés dès le début du cinéma à Hollywood (via le code Hays), ils étaient trop « sexuels ». Cette censure n’existe plus officiellement mais elle est dans tous les esprits.
    J’ai eu l’occasion de discuter avec des réalisateurs po-i-litiquement corrects et certains m’ont dit ignorer que les femmes ne s’épilaient pas dans le passé ! Même des historiens « spécialistes » du corps ne le savent pas ! Le lavage de cerveau de l’industrie cosmétique a fait vraiment bcp de dégâts.

  2. jim
    15 février 2011 at 18 h 32 min

    En effet, cette huitième seconde est bien troublante…

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