#2 Pères de culture mixte : entretiens croisés

15 décembre 2010
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Aujourd’hui les couples dits mixtes sont de plus en plus nombreux, et il y a fort à parier que ce mode de vie est appelé à se répandre toujours plus. Or, si d’une manière simple et traditionnelle, être père, c’est d’abord transmettre une identité, par le nom de famille, la nationalité, la culture, la langue, on peut se demander dans quelle mesure la chose se complique quand le couple vit dans une double culture.

Nous avons rencontré un futur et deux jeunes papas : Fabrice est Français marié à une Vietnamienne, Eric est Français d’origine vietnamienne en couple avec une Française, et son beau-frère Yannick est Français marié à une Française d’origine vietnamienne… Ils habitent tous au Vietnam en ce moment, même si ce n’est pas forcément un choix définitif. Pour les Fauteuses, ils apportent des éléments de réponse à la question de cette paternité particulière.

Pouvez-vous présenter rapidement votre parcours personnel ?
Eric : Je suis né au Vietnam sous le nom de Quang, je suis parti en France à l’âge de quatre ans. J’y ai grandi, ai été naturalisé français à quatorze ans sous le nom d’Eric, j’ai fait des études, je suis devenu fonctionnaire, et j’ai rencontré Nathalie. Nous avons fait ensemble un premier voyage au Vietnam en 2000, et on est revenu en 2003 avec l’intention de rester deux ou trois ans : on est toujours là ! Je serai bientôt père d’un petit garçon.
Fabrice : Je suis de Haute Savoie. Je suis parti faire un stage de fin d’études d’Ecole d’ingénieur au Vietnam en 2001, où j’ai rencontré Trang. Je suis reparti en France faire un DEA, puis j’ai obtenu une bourse pour commencer ma thèse au Vietnam en 2002 ; en contrepartie, je devais suivre des cours de vietnamien deux heures par jour pendant deux ans. On s’est marié et on est revenu en France en 2004. Joseph est né en 2005. On s’est installé au Vietnam en 2006 et Carla est née en 2008.
Yannick : J’ai rencontré Tam en France en 2004. Tam est la sœur d’Eric, mais elle est née en France. On s’est marié en 2006, et on est parti au Vietnam, parce que Tam avait envie de connaître le pays de ses origines, et que j’étais aussi partant pour aller voir ailleurs. On a été accueilli par la sœur de Tam et son mari (qui est Français), et on vit ensemble depuis. En mai dernier, Tao est venu agrandir la famille, il a aujourd’hui sept mois !

C’est un fait acquis pour toi Fabrice, mais on peut se poser la question pour Eric et Yannick : considérez-vous que votre couple est de culture mixte ?
Yannick : Pas vraiment. Bien sûr, Tam a un physique vietnamien, et elle parle la langue. Mais elle est née en France, elle est de nationalité et de culture françaises. Je dirais qu’on est un couple français avec une histoire exotique.
Eric : Je me sens à 80% Français, sauf quand je me regarde dans une glace ! Il reste quand même 20% : la langue, et aussi le rapport aux parents et à leurs réactions, qui sont vietnamiennes et auxquelles je m’adapte par respect. Mon couple est plus international que Français ou Vietnamien, c’est aussi dû à Nathalie, qui a une ascendance aux origines multiples (Pologne, Mexique…)

Le père en France, le plus souvent, transmet son identité directement en donnant son nom de famille à son enfant. Vous faites tous le choix de donner un double nom de famille aux enfants, ce qui leur donne une identité officielle d’origines mixtes. Qu’en est-il pour les prénoms ?
Yannick : Mon fils s’appelle Tao, c’est un prénom chinois qui signifie la voix, la sagesse. C’est de ce nom que vient le taoïsme. J’aime beaucoup cette idée, je me suis d’ailleurs fait tatouer le nom de mon fils sur l’avant bras juste après sa naissance ! On voulait un prénom original, et pour moi, les sonorités étaient importantes, aussi pour s’accorder avec nos noms de famille.
Fabrice : Joseph n’a qu’un seul prénom officiel, français donc. Mais il a un deuxième prénom officieusement pour simplifier des situations au Vietnam, chez le docteur par exemple. Ma fille Carla a un deuxième prénom vietnamien.
Eric : Le prénom est encore un secret, mais il sera simple, un peu international, pour aller avec nos deux noms. Mais ce ne sera pas Kevin ! (rires)

Vous êtes des papas modernes, qui participez à part égale avec la maman à l’éducation des enfants. Est-ce une attitude plus française ou vietnamienne? Existe-t-il un modèle de père français et un modèle vietnamien ?
Fabrice : Il y a un proverbe vietnamien qui dit « le père est le pilier de la maison ». Dans la tradition, c’est la grande figure de la famille, qui porte une vraie responsabilité de la représentation de la famille. Par exemple, c’est lui qui se charge des invitations pour une cérémonie. Il est l’autorité morale, le modèle, celui qui travaille et qui commande. Mais cela change aujourd’hui : de plus en plus, le père partage la responsabilité avec la mère. Celle-là a d’ailleurs toujours eu, à mon sens, une grande force de représentation morale.
Eric : Pour moi, les valeurs que doit transmettre le père sont universelles. Les plus importantes à mes yeux sont celles de l’intégrité et du respect. On doit essayer de vivre au quotidien sans faire de mal aux autres et pouvoir s’adapter au mieux selon le contexte. Ce qui n’exclut pas l’idée de savoir se défendre ou de devoir zapper certaines personnes (choisir, et non se laisser choisir). Je n’aimerais pas que mon fils soit un mouton ou un requin… L’année du chat, c’est bien. (1)

Finalement, les deux modèles sont assez proches dans le fond, et évoluent de la même manière dans la forme ?
Yannick : Je pense. Le père vietnamien s’occupait peu de l’éducation quotidienne des enfants, comme avant en France. C’est sûrement différent aujourd’hui.
Eric : Ça dépend des familles, bien sûr, mais les pères vietnamiens d’aujourd’hui sont très investis dans l’éducation des enfants. Il y a quand même une différence importante : le poids de la famille est très lourd dans la culture vietnamienne, c’est d’abord le père qui doit subvenir aux besoins de tous, mais l’enfant devient ensuite celui sur qui on se repose. C’est quelque chose qui est ouvertement expliqué aux enfants, et c’est un mode de fonctionnement possible, surtout quand on vit tous ensemble. Mais cela m’a beaucoup pesé dans l’enfance, et j’ai aujourd’hui encore une phobie du long terme (je pense toujours à l’avenir, je me soucie des retraites…). Je ne veux pas que mon enfant ait cette inquiétude : je veux qu’il pense à lui et à sa vie, non à moi. Même si bien sûr l’entraide familiale est une belle valeur, que je veux transmettre, mais en la présentant comme naturelle, pas comme une obligation, un poids.

Donc, vous vous considérez davantage comme Français et dans la culture et dans la représentation du père, mais, ne serait-ce qu’en habitant au Vietnam au moins pour quelques années, vous souhaitez qu’une vraie part vietnamienne existe en vos enfants. Quelle forme prend-elle ?
Fabrice : Dans notre famille vraiment mixte, cela se réalise de plusieurs manières. Ça se fait sans qu’on y réfléchisse mais on s’en rend compte quand on voit comment sont éduqués les enfants de nos frères, qui ne sont pas en couple mixte. Par exemple, tout ce qui concerne la table : les enfants doivent rester à table et manger équilibré « à la française », alors que dans une famille vietnamienne, les enfants sont suivis avec la cuiller et mangent un peu ce qu’ils veulent quand ils veulent. Par contre, on mange du riz tous les jours ! On a aussi adopté des habitudes typiquement vietnamiennes, qui peuvent choquer des parents français : on enlève les couches le jour dès l’âge de six mois, on garde les enfants dans le même lit que nous très tard…
Yannick : On fonctionne complètement « à la française » pour ce quotidien. C’est même un problème quand il faut l’expliquer à la nounou vietnamienne, qui ne comprend pas toujours, et pour qui l’adulte doit être à la totale disposition de l’enfant ! La part vietnamienne, avant tout, se transmet par l’apprentissage de la langue. C’est pour nous très important qu’il parle vietnamien. Je lui parle français, et sa maman lui parle le plus souvent possible en vietnamien, alors que ce n’est pas la langue qui lui vient le plus naturellement. La nounou est une aide précieuse pour cet apprentissage.
Eric : Oui, parler les deux langues d’origine des parents est très important. Pour pouvoir parler avec la famille vietnamienne non francophone d’abord, et pour parler la langue du pays où l’enfant vit. C’est un gros atout d’être bilingue, et c’est une opportunité d’apprendre facilement qu’il serait dommage de ne pas saisir. Je parlerai vietnamien à mon fils, même si moi non plus ce n’est pas la langue que je possède le mieux. Moi aussi, j’ai beaucoup d’espoir que la nounou m’aide dans cette transmission !
Fabrice : Chez nous, on parle les deux langues. Souvent je parle en français et ma femme répond en vietnamien ! Quand on est arrivé au Vietnam, on était d’abord dans la famille, et Joseph n’avait que huit mois. Dans cet environnement vietnamophone, quand il a commencé à parler ce n’était qu’en vietnamien. Mais petit à petit il s’est mis à parler français. Aujourd’hui il est à l’école maternelle vietnamienne, parce que ma femme y tient, pour la langue justement. Ça me faisait un peu peur d’ailleurs, par rapport au programme, et au niveau de français, mais ça va. Par contre, il fera son CP à l’école française.

Y a-t-il des traditions vietnamiennes liées à la naissance que vous suivez ?
Fabrice : Oui. Il y a un moment très important qui est la fête des un mois, pendant laquelle on présente l’enfant aux proches.
Yannick : Pour Tao, il y a eu la fête des un mois aussi. Et puis la prière aux ancêtres sur un autel au seuil de la maison avant qu’il y rentre pour la première fois. C’est une coutume bouddhiste qu’on a suivie surtout pour rassurer les grands-parents. J’y ai participé bien sûr, mais plus comme un observateur au regard curieux.
Eric : Pour moi ce n’est pas important. Mais je le ferai pour mes parents parce que ça l’est beaucoup pour eux.

Que souhaitez-vous transmettre en termes de traditions culturelles ? Par exemple, allez-vous privilégier telle ou telle fête ?
Yannick : Non, pas plus que ça. Le père Noël est prévu, mais je ne veux pas en faire des tonnes. Pour les fêtes vietnamiennes, comme le Têt, ou l’anniversaire des morts (2), c’est pareil. Si ma belle-mère organise une fête et qu’on est là, on ira, mais si on a prévu autre chose, on fera ce qu’on avait prévu. La mère de ma femme est très ouverte d’ailleurs, ça ne pose pas de problèmes.
Eric : C’est vrai que ma mère est assez ouverte pour nous laisser libres de nos choix. Je ne suis pas bouddhiste. Je participe quand même aux prières aux esprits et aux ancêtres, mais sans y croire. Je privilégierai les fêtes en fonction des lieux et du moment : quand j’étais enfant en France, Noël avait plus de sens que le Têt et j’étais en décalage avec mes parents. On ne fêtait pas non plus mon anniversaire. Pour mon enfant, j’organiserai ces fêtes pour qu’il ne soit pas différent de ses amis, mais pas pour l’événement en lui-même.
Fabrice : On est une famille catholique, et ici la pratique religieuse est très sérieuse. Noël est donc une fête importante ! On célèbre aussi le Têt et les anniversaires des morts, sans oublier l’anniversaire de naissance, alors que c’est une fête assez récente au Vietnam. Pour les enfants, c’est tout bénéfice ! Pourtant, en ce qui concerne la religion, je voudrais que mes enfants fassent leur propre démarche plus tard, même s’ils sont déjà baptisés.

D’autres envies ?
Fabrice : Je veux transmettre le goût pour la culture générale des Français, et je fais attention à entourer mes enfants de livres, par exemple, ce qui ne se fait pas trop ici.
Yannick : Je suis plus sensible au signe chinois qu’au signe du zodiaque. Tao est taureau, ce qui m’est assez égal, par contre qu’il soit Tigre a du sens pour moi, d’ailleurs je suis très fier qu’il soit Tigre ! Pour un garçon, c’est de bon augure.

Allez-vous régulièrement en France, avez-vous l’intention de vous y installer plus tard ?
Fabrice : On y va tous les deux ans environ. Aujourd’hui on est au Vietnam, mais ce n’est pas un choix définitif, on ira sûrement en France plus tard.
Yannick : Pour moi, le Vietnam est une étape, même si elle est longue. Je souhaite retourner en France, et notamment pour les enfants : le cadre de vie y est plus favorable, moins difficile (je pense à la nature, à la pollution…).
Eric : Je n’avais pas prévu de rester aussi longtemps, et aujourd’hui, j’envisage plutôt de rester au Vietnam. La vie y est plus facile, notamment financièrement. On va en France tous les deux ans environ. Mais c’est vrai que je n’ai pas encore réfléchi à comment faire découvrir la France à mon enfant…

(1) Le garçon d’Eric naîtra pendant l’année du chat, selon le calendrier chinois et vietnamien.
(2) Au Vietnam, on fête davantage l’anniversaire du jour de la mort que celui de la naissance.

Sur le même sujet, une réponse haute en couleurs écrite par Dang, Vietnamien, marié à une Française, père de deux enfants.


Quelle est le rôle du père dans la culture vietnamienne ?
Battre ses enfants et sa femme…non je plaisante, qu’est-ce que la culture vietnamienne ? Je n’aime pas trop le terme de culture au singulier, je le préfère au pluriel, il y a des cultures vietnamiennes, une culture confucéenne, une culture bouddhiste, des cultures populaires, familiales, régionales etc… non ? Le père de famille a, selon moi, un rôle d’accompagnateur et de « caretaker »(3).
Est-ce très différent de celui de la culture française ?
Qu’est-ce que la culture française ? ….Pour moi, il n’y a pas de différence de fond mais peut-être des différences de forme. Quel est le rôle du père selon vous dans la culture française? Ben c’est le même non, battre ses enfants et sa femme, non ? Ma femme m’a dit qu’en France il y une femme battue qui meurt tous les trois jours… ces hommes qui battent leur femme sont-ils aussi des pères?
Votre propre père a-t-il suivi la tradition ou s’en est-il écarté ?
Mon père est né dans les années 40, il ne m’a jamais parlé de la tradition, je ne sais pas ce que c’est… je l’ai vu comme il est. Maintenant avec du recul, je pense qu’il a dû donc suivre la tradition tout en s’en écartant ??? N’oublions pas qu’il a accepté une belle-fille française et que son fils tire un trait sur la belle carrière dont il avait tracé le chemin…
Vous sentez-vous un père plus vietnamien ou plus français ?
Je me sens Vietnamien…(car j’ai de projets pour mes fils!) mais toutefois un peu « entâyé », un mot qu’on a inventé à partir du terme colonial « encongaïe » car j’ai souvent le sentiment de m’écarter de la « tradition ».
Dans quels domaines ?
Ma femme m’a surement transmis l’extériorisation, la manifestation des sentiments et de la tendresse sous des formes très françaises. Un exemple ? Embrasser ses enfants au lieu de les sentir.
Y a-t-il des coutumes vietnamiennes particulières liées à la naissance de l’enfant ?
Oui, des tonnes.
Les avez-vous suivies ?
Non car comme partout ailleurs, c’est, en général, la femme qui est la gardienne des traditions donc la mienne a plutôt respecté les coutumes françaises que les coutumes vietnamiennes et j’ai toujours respecté ma femme. Une anecdote : nous nous promenions à Saigon avec notre deuxième fils âgé de deux semaines aux abords de la cathédrale. Ma femme voulait faire du shopping, car cela faisait deux semaines qu’elle n’avait pas mis le nez dehors. Une dame s’est approchée de nous pour nous demander l’âge de l’enfant. En entendant ma réponse, elle s’est mise à m’engueuler littéralement et à me sommer de rentrer tout de suite chez moi avec ma femme, père et époux indigne que j’étais. Une deuxième anecdote? Dès la naissance de mes fils, je leur ai donné le bain, nettoyé le cordon et tous les orifices sous l’œil ébahi des infirmières du FV Hospital (Hôpital Franco-Vietnamien, NDLR)…. les exemples abondent de situations de ce type dans tous les couples mixtes.
Que voudriez-vous transmettre de la culture vietnamienne à vos enfants ?
L’adaptabilité, la débrouillardise, l’humilité, l’humour, la dérision, l’optimisme, le goût de l’aventure, la souplesse, l’endurance… Et de la culture française ? l’esprit critique, l’autonomie, la démocratie, la parlotte… c’est bien la culture française, n’est-ce pas ?
Quelle langue leur parlez-vous ?
Plus français que vietnamien, car le français est une langue dominante comme dirait ma femme, et car c’est dur pour moi d’être en minorité face à une femme et deux enfants qui parlent français tout le temps. Heureusement que ma mère qui n’est pas francophone rétablit un peu l’équilibre.
Comment vous faites-vous appeler par vos enfants ?
« Bô, papa, daddy » car mon second est en section bilingue « français anglais »
Ont-ils des prénoms français ou vietnamiens ?
Ils ont les deux.
Pensez-vous rester au Vietnam ?
Moi oui.
Retourner en France ?
Qui sait?
Aller ailleurs ?
Je cherche, en précisant « pour ma femme », un endroit aussi bien que le Vietnam mais je n’ai pas encore trouvé…

Information de dernière minute: j’ai couché les enfants. Maintenant je vais faire un massage à ma femme. Après quoi, je vais pouvoir m’endormir, tranquillisé à l’idée d’avoir rempli mon rôle de père.

(3) caretaker : littéralement, celui qui prend soin de.

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One Response to #2 Pères de culture mixte : entretiens croisés

  1. LeNouf
    20 décembre 2010 at 13 h 13 min

    Excellent article!! Nous sommes nous-mêmes une famille « internationale », et ça soulève énormément de questions vis à vis des enfants. Merci :-)

Répondre à LeNouf Annuler la réponse.

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