Ho Chi Minh, avant d’être la grande ville du sud du Vietnam, anciennement nommée Saigon, c’est un homme. Que dis-je ? C’est L’Homme du Vietnam. Le Père de la Patrie (et souvenez-vous de vos cours de latin – ou, à défaut, de français : pater a donné paternel, mais aussi patrie !).
Portrait rapide du grand homme.
Nguyen Sinh Cung (son nom de naissance) naît en 1890 dans une famille de Lettrés (son père était mandarin) sous la colonisation française indochinoise. Il devient professeur de français, mais quitte rapidement le Vietnam en 1911. Engagé sur un bateau, il découvre le monde sous tous ses continents, puis débarque en France en 1917. Il y découvre une autre France, ou plutôt d’autres Français : les ouvriers, exploités par la bourgeoisie comme les Vietnamiens le sont par les Français dans son pays. Le jeune homme adopte un nouveau nom, Nguyen Ai Quoc, « celui qui aime son pays ». Il s’initie avec brio à la politique socialiste, puis communiste, participe à des conférences, écrit dans des revues, mais aussi des essais, des poèmes, une pièce de théâtre. Il va parfaire son apprentissage politique à Moscou, où on le charge d’introduire le communisme au Vietnam. C’est après trente ans d’exil qu’il retourne enfin dans son pays en 1941. C’est là qu’il prend le nom que nous lui connaissons tous, Ho Chi Minh, « celui qui apporte la lumière », et qu’il fonde le Vietminh, le mouvement pour combattre les armées française et japonaise qui tiennent le pays. Le 2 septembre 1945, il proclame l’indépendance du Vietnam et l’instauration de la République Démocratique du Vietnam, dont il devient le premier président. S’ensuivent la guerre d’Indochine (perdue en 1954 par les Français) et la guerre du Vietnam (perdue par les Etats-Unis en 1975). Les Vietnamiens, avec à peu près rien si ce n’est une volonté à toute épreuve, ont repris les rênes de leur pays. Ho Chi Minh n’a pourtant pas connu son pays libre et en paix, puisqu’il est mort en septembre 1969 d’une crise cardiaque, en apprenant la nouvelle d’une défaite. En 1976, Saigon est rebaptisée Ho Chi Minh Ville.
Ho Chi Minh est donc l’homme qui a créé le Vietnam communiste en 1945, et c’est toujours ce régime qui est en vigueur (si on en parle peu, voire pas du tout, les règles qui le régissent sont à peu près les mêmes qu’en Chine). Pour la très grande majorité des Vietnamiens, Ho Chi Minh est une véritable icône. Il est représenté en affiche partout dans le pays, comme figure éminemment symbolique du « Patriote », du Père de la Patrie. Mort avant d’avoir connu son pays libre et en paix, son aura n’a jamais été ternie par les soucis plus quotidiens (pourtant nombreux et ardus) qu’ont dû gérer ses successeurs.
Le concept de « père de la patrie » n’existant pas en France, j’ai voulu le comprendre un peu mieux. Quatre étudiants vietnamiens en français ont bien voulu me répondre à Ho Chi Minh Ville. Ils sont athées, bouddhiste ou catholique, jeune médecin, traducteur, étudiants. S’ils n’ont pas souhaité être photographiés, leur sincérité et leur enthousiasme à nous parler de l’oncle Ho ne peuvent être mis en doute.
Comment appelez-vous Ho Chi Minh ?
Tous : Nous l’appelons Oncle Ho (« Bac Ho » en vietnamien), ce qui est à la fois familier et très respectueux. Aujourd’hui, on devrait l’appeler Grand-Père, mais on imite la génération de nos parents. Tout le monde l’appelle ainsi, et le respecte beaucoup. Lorsqu’on entend Ho Chi Minh, on pense toujours à l’homme avant de penser à la ville. Son nom signifie « celui qui éclaire », il l’a pris en souvenir d’un ami mort.
Que représente-t-il pour vous ?
Tous : Il est le symbole de la liberté, de la lutte contre les ennemis, d’une grande volonté.
Quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit à propos d’Ho Chi Minh ?
Tho : Patriote.
Thao : Intelligence.
Dong : Courage.
Linh : L’amour des enfants.
L’amour pour les enfants ?
Thao : Oui, il aimait beaucoup les enfants. Une chanson s’appelle « Qui aime les enfants autant qu’oncle Ho ? ». Où qu’il aille, il allait toujours voir les enfants, leur donnait des conseils, des petits cadeaux. Une image très célèbre le montre assis par terre avec trois enfants sur les genoux, et entouré d’autres enfants.
Linh : Les enfants, ce sont les petits enfants, mais aussi tous les Vietnamiens, qui sont les enfants d’Ho Chi Minh.
Comment connaissez-vous sa vie ?
Tous : On l’apprend à l’école, c’est une matière obligatoire en Histoire, « Les pensées d’Ho Chi Minh », tous les ans, de la première année jusqu’à l’université. Il y a un examen sur ses pensées, c’est très difficile, le programme est long, politique, abstrait. On étudie aussi les idées de Marx et Lénine. C’est la matière « La philosophie marxiste et léniniste », qu’on appelle entre élèves « Marx Lénine ».
Tho : La télévision diffuse aussi des programmes et des films à l’occasion de sa fête d’anniversaire, le 19 mai, et de la fête nationale, le 2 septembre. Ce sont deux jours fériés au Vietnam. On apprend aussi à le connaître en famille, avec ce que racontent les parents et les grands-parents. Mon père m’en parle souvent, il l’admire beaucoup et me transmet son admiration pour oncle Ho.
Parlez-vous souvent de lui entre vous, pensez-vous à lui ?
Linh : Oui ! On raconte souvent des anecdotes à son propos.
Thao : Une pensée m’accompagne toujours : comment est-il possible d’être aussi intelligent, courageux, généreux ?
Dong : On compare souvent les idées du gouvernement d’aujourd’hui par rapport aux siennes, aussi.
Tho : Oui, aujourd’hui, on continue d’apprendre son enseignement, son idéologie, et on essaye de les suivre, de les appliquer.
Que penserait-il du Vietnam aujourd’hui, selon vous ?
Tous : Il ne serait pas complètement content. Le programme du gouvernement est bon mais l’application n’est pas toujours satisfaisante. Il y a des problèmes. Le Vietnam prend le chemin des pays occidentaux, comme la France, les Etats-Unis, ce n’est pas sûr que ce soit bon. Nous devrions trouver une autre voie, mais c’est difficile. Ho Chi Minh y arriverait sûrement. Lui vivait pour les autres, certaines personnes du gouvernement actuel sont trop individualistes (pas toutes, heureusement !).
Pouvez-vous traduire en une phrase l’idée d’Ho Chi Minh ?
Tous : Vivre pour les autres, vivre pour le pays. La devise qu’il a donnée au Vietnam est « Indépendance, Liberté, Bonheur ».
On peut rendre visite à Ho Chi Minh dans son mausolée à Hanoi, où il est embaumé. Y êtes-vous allés ? Irez-vous ?
Tho, Linh, Thao : Oui bien sûr, c’est une visite obligatoire dans la vie d’un Vietnamien !
Dong : C’est un peu moins vrai aujourd’hui.
Linh : Alors, toi, tu n’es pas Vietnamienne ! (Rires.)
Dong : J’y suis allée deux fois, avec ma mère la première fois, parce que tout le monde disait d’y aller, et une deuxième fois avec mon école de tourisme.
Tho : J’y suis allée aussi. C’était très important pour moi, pour connaître concrètement mon oncle.
Thao : Je n’y suis pas encore allée, mais j’irai. Je veux voir de mes propres yeux l’oncle Ho que j’aime tant.
Linh : Moi aussi. Et je veux le remercier d’avoir donné la liberté aux Vietnamiens.
Peut-on aller jusqu’à comparer Ho Chi Minh à un dieu pour les Vietnamiens ?
Tho : Il est aussi important. Mon dieu catholique a créé le monde. Ho Chi Minh a créé le Vietnam.
Linh : Pour moi, Ho Chi Minh est plus important qu’un dieu. Un dieu offre une spiritualité, une moralité, Ho Chi Minh aussi, et en plus, il les réalise concrètement. Dieu n’est pas réel, Ho Chi Minh est réel.
Thao : Je suis bouddhiste. Pour moi Ho Chi Minh est un saint avec un immense pouvoir puisqu’il a réussi à créer le Vietnam. Dans mon travail, je me sens en confiance grâce aux saints qui me protègent, Ho Chi Minh en fait partie. Je vous raconte une anecdote : mes parents avaient un gros problème, ils sont partis au Mausolée d’Ho Chi Minh pour le prier. Leur vœu s’est exaucé. Ils y sont retournés pour le remercier (NDLR : Hanoi est à 1700km d’Ho Chi Minh Ville, le train roule en moyenne à 45km/h…). J’ai entendu beaucoup de gens dire qu’il est sacré.
Dong : Pour moi, il n’est pas sacré, mais un être humain très important.
Un dernier mot ?
Dong : Respect.
Linh : Un proverbe vietnamien dit : « Chaque époque voit naître un héros ». J’aime Ho Chi Minh et je voudrais réussir à faire quelque chose comme lui.
Tho : Je l’admire mais je ne l’aime pas. Je voudrais suivre ses idées, qui sont un très beau modèle, mais ça s’arrête là. Je n’aime pas l’homme parce qu’il a aussi fait des erreurs.
Thao et Linh : C’est vrai qu’Ho Chi Minh reste un homme, et qu’il a des défauts. Mais tout ce qu’il nous a apporté est si important que nous pouvons oublier ses défauts.
Tous : Et en France, qui est le Père de la patrie ?
Moi : Euh… Personne !
Je permets de signaler l’excellent romain de Duong Thu Huong « Au zenith » dédié à cette figure tutélaire du Vn