Chronique anti-girly #1 : le rose, si j’veux !

15 novembre 2010
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Le rose, c’est pour les filles.

Que l’on mette un pied dans une boutique à joujoux et pas une seule boîte qui dépareille. Toute petite fille est amenée à se diriger vers les rayonnages qui s’étendent roses à perte de vue. Elle y trouvera de tout, pour elle, rien que pour elle. Le rose a tellement envahi les accessoires pour filles, des jouets aux vêtements, en passant par les fournitures scolaires, que le phénomène en devient vertigineux. Il est loin le temps où Barbie était facile à repérer parce qu’elle était la seule en emballage rose.
Aujourd’hui, il paraît évident pour tout le monde qu’Hello Kitty est l’incarnation de cette pinkification. Pourtant, le célèbre chaton est né en salopette bleue, t-shirt jaune et nœud rouge au coin de l’oreille. Pas une once de rose. Et ce de sa création, en 1974, jusqu’à la fin des années 80. En 1991 apparaît le rose dans les collections Hello Kitty et, en 1993, naît une version masculine – et bleue – du personnage : Dear Daniel, le boy-friend. Le dessin est identique. Une simple houppette sur le haut du crâne remplace le nœud à l’oreille. Depuis les années 2000, le rose a pris toute la place dans les collections du minou manga. Il y a donc une trentaine d’années, un jouet pour fille était multicolore, aujourd’hui, c’est un luxe qu’on ne peut plus offrir.
Il existe même désormais un Scrabble pour filles. Rose évidemment. Avec de petites lettres nacrées. Et le joli mot « fashion » épelé sur la boîte. So cute. À croire que le vocabulaire des pourtant renommées pipelettes est limité à certains domaines qui leur sont adorablement réservés. La contagion a atteint le Monopoly, enfin disponible en mode girly, afin de pouvoir acheter de jolies boutiques et d’immenses centres commerciaux plutôt que ces bêtes hôtels (de passe ?). Mieux, les pions sont bien sûr en forme de sac à main ou téléphone portable. Chose étrange, depuis que certains sites dénoncent l’existence même de ces coffrets, les produits n’apparaissent plus en ligne sur le site du fabricant…

En 2010, un jouet pour fille est rose. Corollaire : un jouet rose est pour fille…

En exilant les filles sur un îlot satiné (en forme de cœur, assurément), on bannit aussi les garçons de la partie rose du monde. Oui, ils ont droit à toutes les autres couleurs – ou presque, mais on les cantonne quand même dans un cénacle tout aussi étanche. Pas question de jouer à la poupée ni à la table à repasser de princesse. Que ces jouets soient définitivement marqués du sceau rosé afin que les garçonnets ne se trompent pas. Ni les filles. Ainsi, l’âge venant, elles reconnaîtront sans mal (et sans mâle) que le joli flacon rose de Vanish Oxy Action est fait pour elles et les garçons garderont bien à l’esprit que la grande aventure de la lessive est toute féminine…

Le rose, c’est pour les filles. Et les tapettes.

L’association de la couleur rose à la féminité se renforce depuis quelques années. En août 2007, des policiers thaïlandais ayant commis des infractions mineures, comme arriver en retard ou se garer au mauvais endroit, sont contraints, pour punition, de porter un brassard rose Hello Kitty pour plusieurs jours (ainsi que le rapporte le site de BBC News). Instructif. Affligeant. Il faut dire qu’une page FaceBook prévient : Real Men DO NOT Wear Pink. Heureusement, la page n’a, au bout de trois ans d’existence (à l’heure où s’écrit cette chronique), que dix-huit membres.
Les supporters de foot ont également du mal à habituer leurs prunelles à la vue du rose. Depuis que le FCGB (Football Club des Girondins de Bordeaux) a un nouveau maillot rose, certains fans font la tête : « Quand tu rentres sur un terrain, le maillot, c’est le premier message que tu donnes à l’adversaire. Quel genre de message on fait passer en rose ? « Ok les gars, pas de problème, après le match, on ramasse les savonnettes dans les douches ». » Dans le camp adverse, ça chambre tout en égale finesse : « Cool, du rose. Vous allez être mimi, les Bordelaises sur les prés de France… Et au niveau recrutement, vous avez trouvé des fifilles ??? Car, déjà, sans coupe d’Europe, ça va pas être facile de trouver des joueurs, mais alors là avec du rose… Essayez un atelier confection avec Brandao en meneuse de revue !!! Non ? Ho, vous êtes pas drôles, les filles… Sans rancune, à l’année prochaine, si vous avez des joueurs, hahaha. »   Ou de conclure amèrement : « Le rose, ça va pour des clubs comme Paris, Toulouse ».

Ces garçons qui n’ont pas peur du rose.

Oui, les rugbymen ont depuis longtemps adopté le rose de leurs maillots moulants (parfois même à fleurs !). En même temps qu’ils ont revendiqué un aspect plus vaste de leur masculinité en acceptant d’être des objets de désir pour femmes comme pour hommes. À progrès, progrès et demi. Certains penseront toujours que le rose sied aux homosexuels. Mais d’autres se permettent enfin de porter du rose tout en étant hétéro. On doit les en féliciter. Qui sont ces garçons en rose qui aiment les filles ? Des mecs tout ce qu’il y a – souvent – de plus macho : la jeunesse des cités. Et pourtant ils sont parmi les premiers à porter joggings, sweats et baskets roses. Eh oui, peut-être que ça la fout mal, mais le progrès vient aussi de jeunes hommes sexistes qui ne voient pourtant aucun problème à arborer du rose. CQFD. Dans la même veine, depuis 2009, Hello Kitty a un nouvel ami : Baby Milo, avec lequel elle orne les t-shirts des adolescents. Baby Milo, petit singe au design manga, est la nouvelle star des cours de collège et des vêtements sportwear pour teenagers. Ces garçons, eux, n’ont pas peur de porter du rose. Et l’on trouve bien des sweat-shirts roses au rayon garçons des sites de vente.

C’est la lutte rose pâle.

Aujourd’hui, l’omniprésence du rose pour les petites filles est à l’origine d’un collectif contre le rose, Pink Stinks (1), une association britannique qui revendique le droit à ne pas être une princesse. Pink Stinks défie la culture du rose basée sur la beauté surpassant le cerveau. Leur campagne lutte contre les stéréotypes en saluant chaque mois une personnalité exemplaire parmi des femmes ayant accompli de grandes choses, pris des risques, atteint des sommets. Ceci fait suite au résultat d’un sondage montrant que 44% des filles admettent qu’elles peuvent nommer plus d’épouses et copines de footballeurs professionnels que de femmes politiques. Pour Pink Stinks, si l’image des filles était associée à celle de la réussite, elles pourraient alors commencer à améliorer leur estime d’elles-mêmes, ainsi que leurs propres talents, et réévaluer à la hausse leurs ambitions. Et cela commence par leur autoriser autre chose que du rose. Le collectif propose ainsi des badges et des t-shirts estampillés de son slogan titre, mais aussi d’autres tels que « I’m no princess » ou « future role model ».

Paradoxalement, en grandissant, la femme se voit parfois interdire le rose, jugé trop niais, trop cul-cul, trop puéril pour une adulte digne de ce nom. Si l’on veut faire femme, il ne faut pas faire fille. Se créent alors deux clans, les femmes en rose et les femmes refusant d’en porter. Les premières passent pour des êtres futiles, les secondes pour des êtres qui n’assument pas leur féminité. Là encore, le rose cloisonne, enferme, aliène. Outrage ultime : le bleu est la couleur employée par les publicitaires pour vanter les pouvoirs absorbants des serviettes hygiéniques. Lorsque l’enfant devient femme, elle doit se défaire du rose comme d’une mue indécente. On usera donc du rose à petites doses, au risque de passer pour une écervelée, ou en cachette, en privé, toute seule. D’ailleurs, lorsqu’on tape « rose » dans le moteur de recherche du site La Redoute, le premier article rose à apparaître est le très plastique Gigi Rose : un vibro qui ressemble plus à un levier de vitesse ou un joystick – le bien nommé (2)– qu’à un membre nervuré…

La vie en rose pour tous.

La meilleure solution pour lutter contre l’équation faussée « rose = petite fille », c’est de laisser libre cours à cette couleur afin que chacun se l’approprie, suivant son genre, son âge, ses goûts propres (non ceux que lui impose la société) et peu importe sa sexualité. C’est aux adultes, bien sûr, de donner l’exemple. En portant eux-mêmes du rose, en habillant un peu plus les petits garçons en rose et un peu moins les petites filles. En autorisant tout un chacun à voir la vie en rose !
Bonne nouvelle, la tendance automne-hiver 2010-2011 est au rose, du nude (le mal nommé) au rose désormais dit « poudré ». Et Givenchy lance même la mode des cheveux roses dans une campagne très androgyne. Et si l’on en profitait pour réévaluer un peu le rose en lui donnant une autre dimension et une existence propre ? Oui aux garçons qui portent du rose !

(1) « Le rose, ça pue. »

(2) Il est à noter que le Journal Officiel n’a rien trouvé de mieux pour lutter contre cet anglicisme que de proposer « manche à balai »…

Photographie : Luise Yagreld. Pink suede shoes : Swear. Top : Bape.
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My bloody fucking prick Valentine

2 Responses to Chronique anti-girly #1 : le rose, si j’veux !

  1. 16 mai 2011 at 14 h 13 min

    Personnellement je porte beaucoup de rose, mais c’est principalement parce que c’est ce qui va le mieux avec mon teint!! Ahah.

  2. Sabrina
    21 novembre 2010 at 15 h 52 min

    une certaine marque de vêtements pour homme a un logo rose et prend plaisir a faire des vêtements roses… Un homme en rose est-il un jouet pour fille?
    Claro que si !

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