#1 Critique croisée : La Princesse de Montpensier

15 novembre 2010
Par

Affiche intrigante, intrigues affichées ?

Luise n’a pas vu La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier. Elle pose donc des questions, à partir de ses réflexions sur l’affiche, à ses amis Elenore, Marguerite et Jim, qui eux, les chanceux, ont vu le film.

1. Ce qui me frappe, c’est le positionnement des personnages les uns par rapport aux autres qui semble très éloquent. Une femme – la princesse, j’imagine – entourée de quatre hommes qui ont les yeux braqués sur elle, mais qu’elle ne regarde pas. Elle est de trois quart de telle sorte qu’elle délimite deux espaces, celui avec les personnages devant elle (L. Wilson et G. Leprince-Ringuet) et celui des hommes derrière elle (G. Ulliel et R. Personnaz). Cette répartition est-elle significative ? Devant elle les hommes des relations honnêtes, derrière elle ceux des relations secrètes ? Et quels liens les unissent ? Amour, mariage, désir, famille ?

Elenore : Oui, c’est exactement cela… les relations honnêtes d’un côté, les plus secrètes de l’autre. Pas de relation de famille non : ce qui unit ces hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour cette femme.
Marguerite : On a effectivement, d’un côté, les hommes qui incarneraient plutôt la force du sentiment, l’amour, de l’autre, ceux qui sont mus par une force tout aussi puissante, le désir. Tout le film oscille constamment de l’un à l’autre, comme s’il était question de savoir lequel des deux va gagner. Pendant qu’au centre, la Princesse est réduite au rôle d’objet convoité, la femme aimée, désirée, que personne – ou presque – n’écoute.
Jim : On peut remarquer que le positionnement des personnages sur l’affiche est caractéristique de ce qui sera le nœud relationnel de l’ensemble des personnages : Chabannes et Marie sont quasiment face à face. De l’intensité et de la spécificité de leur relation dépend toutes les autres.

2. Les costumes paraissent également révélateurs. C’est un film d’époque, certainement la Renaissance d’après la culotte et le pourpoint des hommes et le décolleté et les manches de la femme. Les hommes portent des épées, ils sont donc nobles et nous sommes à la Cour – ce qu’indique le titre : serions-nous pendant les guerres de religion, ce qui pourrait expliquer les costumes noirs, peut-être ceux de protestants, réputés pour leur austérité ? Quelle place occupe l’Histoire et les personnages historiques ?

Elenore : Oui, un film d’époque! Tavernier s’en donne à cœur joie (et moi aussi) avec les scènes de bataille, qui ne sont d’ailleurs pas un simple arrière-plan : elles participent à la construction des personnages et de leurs relation.
Marguerite : Oui, l’intrigue se situe à la fin de la Renaissance, au moment des guerres de religions entre Protestants et Catholiques. Pour situer même très précisément, le personnage au pourpoint rouge, incarné par Raphaël Personnaz (qui révèle ici tout son talent), c’est le Duc d’Anjou, bientôt roi de Pologne et futur Henri III. Quant aux costumes noirs, on s’y perd un peu, dans le film, car si Lambert Wilson est bien censé jouer un Protestant, Gaspard Ulliel est le très catholique Duc de Guise. La différence des costumes n’est donc pas très accentuée tout au long du film (contrairement à La Reine Margot de Chéreau, par exemple). Lorsque la séquence d’ouverture présente la boucherie des guerres de religion, on sent venir le propos du réalisateur qui fait si souvent dans le social. Et puis non. Non, non, le film ne traitera pas de l’absurdité des conflits religieux qui minent la France, hier ou aujourd’hui. Il faut dire que la période historique n’est qu’un prétexte à situations : une jeune épousée aussitôt délaissée par son mari pour les travaux guerriers, une rivalité de conquérants qui s’exerce sur les champs de bataille… La nouvelle d’origine date du XVIIe siècle. Il y a donc déplacement volontaire à une époque antérieure, sans doute, pour éviter « toute ressemblance avec la réalité » contemporaine. Alors que, bien sûr, l’intrigue ne tient que sur des considérations propres aux mœurs du XVIIe siècle. Cela crée un décalage dont le réalisateur ne semble pas trop avoir su quoi faire. D’autant qu’il a fallu essayer, en plus, d’insérer sa vision d’homme du XXIe siècle. Le tout forme donc un résultat plutôt grossier, mal défini.
Elenore : Ce palimpseste de regards et de points de vue ne me semble pas grossier du tout… Au contraire, la vision actuelle de Tavernier se coule avec nuance et subtilité dans le cadre posé par Mme de La Fayette
Jim : Tout à fait d’accord avec Marguerite : l’aspect historique du film ne semble pas être l’essentiel, La Princesse de Montpensier n’est pas un film historique au sens de la fictive logique du réel. Du reste, la nouvelle de Madame de Lafayette n’a pas non plus été conçue comme la chronique « romancée » de faits historiques ou familiaux (même si l’on sait que l’héritière de la famille Montpensier se brouilla avec Madame de Lafayette suite à la publication du texte, comme si ce dernier révélait quelque secret de famille). Après tout, le cinéma est-il autre chose qu’une manière de se remémorer le présent ? Réminiscence instantanée dont la force ne procède pas d’une logique du réel (fantasme d’une re-présentation des choses, des êtres, des évènements selon une volonté elle-même factice de « fidélité » historique) , mais bien d’une logique du sens (lequel sens est latent, infidèle en apparence, instable dans la mesure où il n’est que la création nécessaire d’une herméneutique sans cesse réitérée).

3. Ah toutes ces épées… autant de phallus exhibés comme pour savoir qui a la plus grosse… S’agit-il d’un film sur le désir, sur le rapport entre les sexes ? (Et d’ailleurs, sait-on qui a la plus grosse ?)

Elenore : Un film sur le désir, sur la passion amoureuse, oui : les jeux de regard, échangés ou évités, rendent très bien ce désir et le font ressentir. Il y a des scènes où on arrive à lire sur le visage d’un acteur à la fois la passion et l’effort fait pour paraître indifférent et ne pas laisser voir cette passion… Sur les rapports entre les sexes… pas tellement, même si Tavernier s’attache à rendre compte de la situation difficile de la femme à l’époque, notamment à travers l’épisode du mariage, au début du film, avec deux scènes remarquables à mon sens : celle où l’on voit petit à petit l’héroïne comprendre ce qui se trame autour d’elle, et celle de la nuit de noces.
La présence de toutes ces épées sur l’affiche me fait plutôt penser à la rivalité entre ces hommes, qui est le moteur de l’intrigue, le combustible de la passion… Leçon finalement assez amère, ce qui rend ce film moins culcul qu’il n’y paraît.
Marguerite : Du fait que les guerres de religion sont évincées à l’arrière-plan de l’histoire, on pourrait se dire que le cinéaste propose un film féministe. Mais, au final, à part quelques scènes – très réussies – concernant le mariage (du contrat à la consommation), cela ne semble pas non plus être son propos. Les rapports entre les sexes sont très clairs dès le début du film. Les pères parlent à leurs fils pour leur dire ce qu’ils ont à faire. La fille, elle, voit ces deux conciliabules de loin et comprend. Malgré elle. Et puis, qui se soucie de lui dire même ce qu’elle doit faire ? Ce n’est qu’une fille. Sa mère lui expliquera bien assez tôt les principes qui régissent son sexe : la femme est un objet, une mineure, mais on attend d’elle toutes les vertus. On ne saura pas qui a la plus grosse, même si on sait qui fait flancher la Princesse. Dans le même genre, on pourrait aussi se demander qui a les plus grosses. Je ne suis pas sûre que nous ayons tous la même définition du courage… Car, ce qui est sûr, c’est que tous ces hommes font preuve d’un grand courage, chacun dans un domaine. Lequel suppose d’en avoir le plus ?…
Jim : Concernant le fait de savoir qui a la plus grosse, je suis juge et partie, je ne puis répondre à la question. Il est certes vrai que les femmes font l’objet d’une réification qui pourrait nous surprendre s’il n’en n’était pas encore de même aujourd’hui : je crois que la notion de rôle social , c’est-à-dire de subordination de l’être à sa fonction , est toujours d’actualité… Souvenons-nous, que l’anthropologue Claude Lévi-Strauss en fait même un invariant communautaire : dans les Structures élémentaires de la parenté. Il ne faut pas, pour la survie du groupe social, que les femmes demeurent à disposition des hommes de ce groupe. Pour accroître sa richesse, pour éviter que d’autres groupes ne déclarent la guerre, il est de toute nécessité d’échanger. On échangera d’abord des femmes, ces femmes auquel on aura renoncé pour soi et qui seront ainsi l’élément transitionnel et politique par excellence. Le corps de le femme est d’emblée politique…

4. En parlant de rapport entre les sexes, quel type de personnage féminin est la Princesse ? On ne peut que penser à une autre Princesse tiraillée entre plusieurs hommes et également créée par Mme de Lafayette, la Princesse de Clèves. Se ressemblent-elles ? Et est-ce que le film reste prisonnier d’une écriture romanesque ?

Elenore : Elle est très différente de la princesse de Clèves : plus passionnée, plus amoureuse. D’ailleurs, dans la nouvelle, Mme de La Fayette la juge sévèrement pour cela, contrairement à la princesse de Clèves pour qui elle a une certaine admiration. Et c’est là que Bertrand Tavernier s’écarte de l’œuvre littéraire de départ : il lui donne plus d’épaisseur, la regarde avec empathie, en fait une femme que la passion grandit au lieu d’écraser.
Marguerite : Selon moi, la Princesse de Montpensier est très proche de la Princesse de Clèves. Elle a un mari gentil, mais elle éprouve une passion folle pour un autre. Beaucoup de points communs, aussi, entre le Duc de Guise et le Duc de Nemours. Tous deux ont beaucoup de succès, sur les champs de bataille comme auprès des femmes. Et ce que redoute la Princesse de Clèves est exactement ce qui arrive à la Princesse de Montpensier… On est donc dans le même type de problématique.
Jim : Je crois que l’écriture est le grand principe de liaison/déliaison aussi bien entre les personnages, qu’entre les deux œuvres. On songe, bien sûr à la deuxième partie de La Princesse de Clèves, où le Prince de Nemours, par amitié pour son ami Sancerre, prétend être le rédacteur d’une lettre de rupture. Le malentendu puis la complicité amoureuse entre de Nemours et la Princesse constituaient déjà cet épisode comme optimiste. Rien de cela ici : Madame de Montpensier saura donc écrire, mais la complicité entre elle et Chabannes qui en procédera demeurera intellectuelle et sera créée à l’encontre du Prince : Mieux que le « lettre volée » introuvable parce que sous nos yeux, la lettre écrite, anodine mais indéchiffrable, – indéchiffrable donc porteuse de la trahison.

5. Et le principal, dans tout ça ?

Elenore : Le plaisir de la fiction… pour moi, en tout cas. Je me suis laissée emporter par le plaisir de me faire raconter une histoire. J’ai l’impression que Tavernier s’est éclaté à faire ce film, et c’est cette jubilation qu’il m’a transmise.
Marguerite : Dans l’ensemble, malgré les longueurs, le film maintient l’attention. Entre les intrigues qui se resserrent autour de l’héroïne jusqu’à l’étouffement et les scènes de reconstitution historique qui plonge le spectateur dans l’effroi ou la stupéfaction, on ne s’ennuie pas vraiment. Seulement, entre les guerres de religions évacuées, la condition féminine désastreuse évoquée rapidement et les histoires de sentiments, on ne sait pas très bien de quoi le film a voulu parler.
Elenore : Ben, c’est une histoire d’amûûûr, quoi. Je ne trouve pas que les guerres de religion soient évacuées : au contraire, elles sont très développées par rapport à ce qu’on peut lire dans la nouvelle.

6. Bon et pour finir une question de fan : c’est qui le plus beau ?

Elenore : Gaspaaaaaaaaard, quelle question ! Mais… les autres aussi sont très bien…
Marguerite : Le plus beau… C’est définitivement Mélanie Thierry. Elle irradie. C’est sans aucun doute la réussite du film. On conçoit sans problème que tous succombent à son charme extrême, innocent, indécent malgré elle. Elle incarne la Beauté parfaite, à merveille. Et on ne se lasse pas de la regarder, c’est vrai.

Une bonne raison d’aller voir le film ?

Marguerite : Les costumes que porte Mélanie Thierry. Ma-gni-fiques. Et vas-y que je change de manteau brodé de soie à chaque scène. Peut-être un peu trop, mais je suis une princesse oui ou merde ?
Elenore : Gaspard Ulliel, bien sûr, pour les fans. Et de manière générale, les acteurs : ils sont tous excellents à mon sens, en particulier Raphaël Personnaz et Grégoire Leprince-Ringuet, très justes.
Marguerite : Tout à fait, ces deux-là tirent sans conteste leur épingle du jeu. Ce sont deux acteurs que j’ai beaucoup appréciés dans ce film.
Jim : pour l’aspect existentiel présent à l’état latent dans les rapports entretenus par les personnages.

Une bonne raison de ne pas aller voir le film ?

Marguerite : Si on y va que pour Ulliel, on sera déçu. D’abord, il n’est pas top, ensuite, il n’apparaît pas tant que ça à l’écran.
Elenore : Si on n’aime pas les histoires d’amour et les films en costume, il vaut mieux s’abstenir !
Jim : Il est long.

Un bon point ?

Marguerite : Le film m’a donné envie de lire la nouvelle de Madame de La Fayette.
Jim : Pareil pour moi ! Ceci dit, il me semble que derrière les apparences d’un film historique, il s’agit en fait d’un manifeste cinématographique : comme si au travers d’une nouvelle du XVII ème siècle, Bertrand Tavernier insistait sur le « désenchantement du monde » qui est le nôtre, aujourd’hui et toujours : monde humain en proie à l’impossible liberté, hormis celle de l’image ou de l’écriture (en grec, le verbe ‘graphein’ veut dire aussi bien écrire que dessiner…).

La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, sortie en salles françaises le 3 novembre 2010.

2 Responses to #1 Critique croisée : La Princesse de Montpensier

  1. Anne
    19 novembre 2010 at 10 h 27 min

    Bonjour ! Merci de cette intéressante analyse ! Tout à fait d’accord sur Raphaël Personnaz: stupéfiant, complexe, sincère… très surprenant (et pour moi le plus beau, haut la main ;) ). Et j’ai une petite question : je vois que vous postez des photos d’exploitation et je suis curieuse de savoir comment vous vous les êtes procurées… Merci par avance !

  2. La Princesse de Clèves
    16 novembre 2010 at 23 h 41 min

    Je suis tout à fait d’accord avec Marguerite.

Répondre à La Princesse de Clèves Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Suivez-moi sur Hellocoton
Retrouvez Fauteuses sur Hellocoton