#18 – « Liberté, j’écris ton nom »

15 octobre 2012
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Liberté d’expression

Vous ne pouvez pas la louper en ce moment car elle au cœur de tous les débats-pugilats-manifestations et même mise à mort pure et simple : la liberté d’expression, quèsaco ?

Tantôt bafouée, d’autres fois ignorée, souvent mal comprise, la sacro-sainte liberté d’expression revient ce mois-ci encore une fois sur le devant de la scène.

Si le lecteur a passé la dernière quinzaine dans un igloo, petit rappel de l’actualité : le 11 septembre, jour de l’anniversaire de la mort de feu les twin towers, l’ambassade américaine d’Egypte est attaquée par des manifestants ulcérés après la diffusion, sur internet, d’un film parodiant la vie du prophète Mahomet. Bilan : trois morts. Quand même. Depuis, l’hebdomadaire bien connu pour ses faits d’armes, Charlie Hebdo, s’amuse à publier une nouvelle caricature du prophète. Dans les deux cas, la liberté d’expression est donc avancée pour justifier les images…

Les auteurs de ces images ont-ils eu raison de considérer qu’ils étaient dans leur droit en osant représenter, caricaturer ou même moquer Mahomet ? Vu les conséquences politiques, nous sommes pour notre part en droit de nous poser la question !

Dans le cas du fameux film, qui, on l’aura compris, ne sera pas en lice pour les Oscars 2013 (hum… 5 millions de dollars ?), les Musulmans se sont sentis insultés, tout comme ils ont considéré que leur prophète l’était. Difficile de leur donner tort : Mahomet y est tout simplement représenté comme un gros lourd, un peu débile, cruel et carrément obsédé. Bref, le film n’expose pas juste un point de vue sur une religion, il est une véritable attaque envers tous ceux qui la pratiquent. C’est en cela que la notion de liberté d’expression atteint ici ces limites.

S’il y a débat, c’est que la frontière entre ce qui relève de la liberté d’expression et l’insulte est particulièrement difficile à
évaluer. Devons-nous raisonnablement penser que la liberté d’expression s’arrête là où l’égo de l’autre est atteint ? Le ressenti de la « cible » du message exprimé est-il une jauge vraiment fiable ?

Si on commence à limiter l’expression à tout ce qui ne touche aucune communauté, aucun groupe, aucun corps de métier, aucune génération, c’est la censeure permanente, ce que nous refusons.

Alors comment savoir ? Il me semble qu’il faut chercher du côté des valeurs et conceptions communes à une société, et partagées par tous, qu’on soit croyant ou athée, jeune ou vieux, riche ou pauvre. Si demain un journaliste se met à sérieusement vanter les mérites de la pédophilie, nous n’aurons aucun mal à nous mettre d’accord ! Or, dans le cas de l’Innocence des Musulmans, il bafoue des conceptions que nous ne partageons pas tous : par exemple l’interdiction de représenter le prophète. Pourtant, l’Occident a compris, dans une certaine mesure seulement, l’indignation des concernés,
partant du principe qu’un message incitant à la haine contre autrui est indigne. Le « cinéaste » sera-t-il pour autant condamné ? Encore faudrait-il le trouver…

Pourquoi le film ne relève-t-il pas de la liberté d’expression ?
Tout simplement parce qu’à trop revendiquer le mot liberté, on en oublie l’essentiel, l’expression, et donc surtout le message exprimé : s’exprimer oui, mais tout dépend de ce qu’on exprime. Je ne peux pas légitimement diffuser un message selon lequel tous les noirs devraient être licenciés, ou renvoyés dans leur pays d’origine, quand bien même ce serait mon avis, et même surtout si ça l’est, car ce message serait contraire aux idées communément admises dans notre société (à défaut d’être toujours respectées…), à savoir ici celle de l’égalité. Bref, la liberté d’expression s’arrête dès que celui qui s’exprime diffuse un message diffamant pour autrui, et qu’il le fait en le pensant vraiment. Bien sûr, l’humour, le second degré, puisqu’il n’exprime pas le point de vue réel de la personne, est toujours protégé.

Et Charlie Hebdo dans l’affaire ? Dans le cas de l’hebdomadaire satirique, les choses sont bien différentes. Tout comme en 2006, alors que la une nous montrait Mahomet désolé se plaignant d’être aimé « par des cons », il convient de différencier la forme du fond. Les cons ne sont pas les Musulmans, mais seulement les intégristes. Pourtant, ils n’ont pas été les seuls à s’indigner ! Si Charlie s’amuse à caricaturer le prophète aujourd’hui, ce n’est certainement pas qu’il considère l’Islam comme indigne d’exister, mais qu’il interroge les réactions excessives, car bien évidemment elles le sont, dues à l’existence du film du fameux Sam Bacile. Et qui peut les contredire ? Il est bien évident que la mort des trois Américains est ignoble, quelle qu’ait été la colère de la population. Les manifestations de colère qui ont eu lieu dans le monde conduisent simplement le journal à se poser la question suivante : est-il normal que des Musulmans aient de telles réactions après un film qui mériterait surtout un mépris généralisé ? La mise en œuvre peut choquer, le message n’en relève pas moins de la liberté d’expression. Il n’attaque personne, n’incite à aucune haine. Il se contente de questionner des événements politiques.

Les avis sont partagés sur ces caricatures, au sein des politiques comme des Musulmans. Cela va de l’indignation au mépris. Il s’agit d’une provocation inutile et même dangereuse dans le contexte actuel disent certains, même beaucoup. C’est vrai.
Pourtant, on peut aussi se demander si ce n’est pas précisément dans ce contexte-là qu’il ne faut pas lâcher prise, et sauvegarder la liberté d’expression, car comme chacun le sait, il ne faut pas hélas se battre uniquement pour obtenir des libertés, mais également pour préserver celles dont nous disposons déjà… C’est en tout cas la ligne de défense de l’hebdomadaire, qui n’en omet pas moins une dérive dans laquelle il est tombé : en critiquant DES Musulmans, la presse, qui s’adresse à tous, et non seulement à quelques intellectuels éclairés sur ces questions, diffuse un message pas toujours bien compris par la masse des lecteurs, qui, transformant trop souvent le des en les, a tôt fait de faire des amalgames dont l’extrême majorité des Musulmans sont victimes. Nous pouvons ici modestement les rassurer (ou pas d’ailleurs…), car ils ne sont pas les seuls : les profs et les chômeurs sont tous des fainéants et les paysans tous des idiots… Le problème est donc simple : quand un message passe par le second degré, ou qu’il n’est pas explicité dans sa totalité, les masses se tournent les unes contre les autres. C’est pourtant dans ce contexte que Marine Le Pen persiste et signe cette semaine dans Le Monde : «L’école n’a pas à donner des cours de langue et de culture étrangère. Le rôle de l’école laïque, publique et républicaine, c’est de fabriquer des Français ». En somme des Français ignorants, et donc nécessairement diabolisant l’autre. Maleck Chebel prônait il y a peu un Islam des Lumières. Il serait grand temps d’étendre ce vœu au reste du monde.

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