#16 Le Manuel de civilité de Pierre Louÿs : parodie érotique de traité d’éducation

15 mai 2012
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« Quand vous vous êtes servie d’une banane pour vous amuser toute seule ou pour faire jouir la femme de chambre, ne remettez pas la banane dans la jatte sans l’avoir soigneusement essuyée. » (À l’office)
Ironie, sarcasme, provocation, jubilation, plaisir, jeu, impertinence, scandale, vice et même expérience personnelle composent le savoureux Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation de Pierre Louÿs.
À la mort de l’auteur, ses héritiers découvrent l’ampleur de son œuvre érotique, jusqu’alors inconnue. Les textes seront publiés, sans ordre, sous le manteau. Le Manuel est la première des nombreuses oeuvres licencieuses de Louÿs à être publiée.
« En jouant à colin-maillard, ne fouillez pas sous les jupes de votre capture en disant que vous allez la reconnaître tout de suite. Cela la compromettrait beaucoup. » (Jeux et récréations)
Saphisme + inceste + sodomie + pédophilie est un cocktail qui a toujours plu à cet écrivain. Explosive en son temps, son œuvre est encore plus choquante aujourd’hui. Essentiellement parce qu’il met en scène des enfants dans la littérature érotique et même pornographique. Aussi sa pédophilie n’a-t-elle pas le sens que l’on connaît aujourd’hui. Louÿs n’a pas spécialement le goût des enfants. En revanche, il considère que les enfants ont une sexualité et surtout une vie sexuelle particulièrement affranchie. Bien avant Freud, Louÿs considère la perversion de l’enfant comme naturelle.
« Ne demandez jamais à une dame la permission d’aller jouir avec sa fille. Dites « jouer », qui est plus décent. » (Jeux et récréations)
Dans son Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation, l’érotomane s’amuse. Il entreprend de parodier les traités d’éducation de l’époque, ceux qui sont chargés de transmettre les bonne manières aux demoiselles. En reprenant la forme traditionnelle des conseils donnés aux jeunes filles, Louÿs se lance dans une succession de facéties toutes plus scabreuses les unes que les autres. Non pas tant par goût de l’offense que pour le plaisir de rire. Un peu comme si la grivoiserie rabelaisienne s’était mise au dandysme. Tout est dans l’art de la pointe finale qui vient à la fois accentuer et retourner la situation.
« Ne suspendez pas de godmiché au bénitier de votre lit. Ces instruments-là se mettent sous le traversin. » (À la chambre)
On retrouve dans le Manuel de civilité deux marques de l’écriture de Louÿs : son penchant pour le faux et le caché. Le Manuel de civilité est ce qu’on appelle aujourd’hui un fake. Louÿs est un farceur et un excellent faussaire. N’a-t-il pas publié en 1894 Les Chansons de Bilitis en les faisant passer pour la traduction des vers d’une poétesse antique ? Il invente pourtant tout, des textes à l’existence même de Bilitis, jusqu’à la préface d’un certain professeur G. Heim… alors qu’en allemand, geheim signifie justement «caché». Trop énorme pour qu’on y croit ? Que nenni. Les hellénistes de l’époque préfèreront proposer des variantes de traduction plutôt que d’avouer qu’ils ignoraient l’existence de cette Bilitis… Et pour cause.
La dissimulation, qui a marqué sa propre vie (à la fois fils d’un père caché et père naturel du fils d’un autre…), se retrouve encore dans les conseils du Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation. L’ouvrage regorge de conseils judicieux donnés aux enfants pour cacher leur sexualité, aux adultes essentiellement, afin, bien entendu, de la vivre pleinement.
« N’abordez pas le premier jour une grande élève en lui demandant si elle se branle. 1o—Parce que la question est inutile : elle se branle certainement. 2o—Parce qu’elle pourrait être tentée de mentir. Emmenez-la secrètement au fond du jardin et livrez-vous devant elle à vos petites habitudes. Votre exemple lui fera honte de sa dissimulation. » (En classe)
Florilège, en attendant la lecture intégrale :
« Ne prenez pas deux mandarines pour faire des couilles à une banane. » (À table)
« Ne dessinez pas au tableau noir les parties sexuelles de la maîtresse surtout si elle vous les a montrées confidentiellement. » (En classe)
« N’offrez jamais de godmiché à une femme mariée, à moins qu’elle ne vous ait fait elle-même la confidence de ses infortunes. » (Cadeaux)
« Parmi les principaux verbes de la quatrième conjugaison, il est inutile de citer foutre, je fous, je foutais, je foutrai, que je foutisse, foutant, foutu. La conjugaison de ce verbe est intéressante mais on vous grondera plutôt de la connaître que de l’ignorer. » (En classe)
« Si vous sucez un monsieur avant de partir communier, gardez-vous bien d’avaler le foutre : vous ne seriez plus à jeun, comme il faut que vous le soyez. » (À l’église)
« Quand vous racontez toutes vos cochonneries au bon prêtre qui vous écoute, ne lui demandez pas si ça le fait bander. » (À confesse)
« Ne sonnez pas le maître d’hôtel à onze heures du soir pour lui demander une banane. À cette heure-là, demandez une bougie. » (À l’hôtel, en voyage)

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